"En 2020, l’immunité parlementaire demeure une nécessité démocratique"
Pour Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCLouvain et directeur du Centre de recherche sur l’État et la Constitution, et Marie Solbreux, assistante au sein de ce centre, pas de doute : il faut se garder de mettre fin aux immunités parlementaires afin de se prémunir contre d’éventuels dérapages de magistrats et, surtout, contre l’évolution inquiétante de l’État.
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Publié le 05-03-2020 à 15h42 - Mis à jour le 05-03-2020 à 15h44
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C’est le sens de l’article de Marc Verdussen et Marie Solbreux publié par le "Courrier hebdomadaire du Crisp".
Pour Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCLouvain et directeur du Centre de recherche sur l’État et la Constitution, et Marie Solbreux, assistante au sein de ce centre, pas de doute : il faut se garder de mettre fin aux immunités parlementaires afin de se prémunir contre d’éventuels dérapages de magistrats et, surtout, contre l’évolution inquiétante de l’État. C’est ce qu’ils écrivent en conclusion d’une étude consacrée au statut pénal des parlementaires publiée dans le dernier Courrier hebdomadaire du Crisp (Centre de recherche d’information socio-politiques). Le sujet est d’autant plus intéressant que l’actualité récente (affaires Wesphael, Mathot, etc.) a été riche en dossiers impliquant des politiques.
Si l’on pourrait croire, écrivent les auteurs, que l’évolution du parlementarisme rend hypothétique l’idée d’une action pénale instiguée par le pouvoir exécutif dans le seul but de neutraliser un parlementaire gênant, si l’on peut imaginer que l’exécutif a moins qu’il y a deux siècles la possibilité d’abuser des tribunaux contre ses adversaires politiques au Parlement, la plus grande prudence s’impose cependant.
L’affaire Trusnach et l’omnipotence de l’exécutif
Le risque de dérapage d’un juge ? Souvenez-vous de l’affaire Trusnach qui, en 1996, a vu Elio Di Rupo (PS), vice-Premier ministre fédéral, et Jean-Pierre Grafé (PSC), ministre wallon, devoir se défendre d’accusations mensongères de pédophilie.
L’évolution inquiétante de l’État belge ? Réelle, affirment Marie Solbreux et Marc Verdussen, l’équilibre des pouvoirs étant de plus en plus menacé par l’omnipotence du pouvoir exécutif et la dévalorisation du rôle de l’opposition parlementaire affaiblissant l’État tout entier.
Bref, s’il n’y avait pas les articles 58 et 59 de la Constitution (le premier consacre l’irresponsabilité des parlementaires ; le second, leur inviolabilité, les deux leur assurant un régime d’immunité sur le plan pénal), un élu pourrait faire l’objet de "poursuites vexatoires" et mues "par la volonté de le soustraire aux bancs de son assemblée" . Plus grave : aux yeux des auteurs, nous ne sommes pas à l’abri d’un basculement de régime, comme l’illustrent les dérives autocrates, souvent populistes, que subissent certains États européens.
Liberté d’expression et discours raciste
La conviction des juristes est donc qu’il ne faut pas supprimer les immunités parlementaires mais, en revanche, qu’il s’impose de réfléchir à réformer le régime actuel.
Si l’irresponsabilité parlementaire, qui fait obstacle à toute action pénale ou civile dirigée contre un membre d’un Parlement pour les propos tenus en lien avec ses fonctions, a été conçue pour protéger la liberté d’expression des élus, on voit bien que son caractère absolu suscite aujourd’hui un malaise. Il ne serait donc pas inutile de trouver un équilibre entre la nécessité de protéger les parlementaires contre des pressions inacceptables et celle de lutter, par exemple, contre les propos intolérants car l’irresponsabilité n’a pas été créée pour permettre à un élu de se répandre en discours racistes ou homophobes. Par ailleurs, se pose la question des contours du champ d’application matériel de l’irresponsabilité dès lors que les débats parlementaires ont, réseaux sociaux et révolution technologique obligent, des prolongements nombreux en dehors des hémicycles.
S’agissant de la notion d’inviolabilité parlementaire, qui concerne les infractions non couvertes par l’irresponsabilité, spécialement celles commises dans le cadre de la vie privée de l’élu, elle octroie aux parlementaires des garanties procédurales. Elles encadrent les poursuites menées contre eux, leur arrestation et leur traduction devant un juge et ont pour but d’éviter que le fonctionnement d’une assemblée soit perturbé par des actes judiciaires, légers, injustes ou partisans.
Depuis 1997, la Constitution présume que les devoirs d’instruction sont compatibles avec les activités parlementaires. Restent deux actes qui requièrent toujours une levée de l’immunité du parlementaire : la saisine du juge et l’arrestation. Pour décider d’une telle levée, l’assemblée vérifie si les poursuites sont sérieuses et sincères. Mais, constatent les auteurs, les commissions des poursuites des Parlements se contentent souvent d’un examen marginal des faits (sauf dans le dossier d’Alain Mathot), sans qu’on sache vraiment à quels indices les parlementaires accordent de l’importance.
Les "lâchetés" de l’affaire Wesphael
Par ailleurs, dans l’affaire Wesphael, écrivent-ils, les Parlements wallon et de la Communauté française ont interprété de façon légère la notion constitutionnelle de flagrant délit, qui permet de traiter un élu comme un simple citoyen. La Constitution veut éviter que l’arrestation présente un risque objectif d’arbitraire. Or, au moment de l’arrestation de Bernard Wesphael, il n’était pas permis de penser que ce risque n’existait pas. Pourtant, les Parlements ont décidé de ne pas suspendre l’arrestation alors qu’ils avaient parfaitement le droit de faire échec à la décision du pouvoir judiciaire et, en tout cas, de s’interroger et de débattre d’initiative de la question. Pour les auteurs, c’est problématique.