Les critiques pleuvent sur Me Sven Mary… et sur "ces machos d’avocats"
En justifiant, dans la presse, un choix "professionnel", le conseil d’Abdeslam suscite le tollé et risque des ennuis. L'avocat pénaliste a expliqué pourquoi son cabinet n’engageait plus de femmes stagiaires.
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Publié le 10-03-2020 à 07h43 - Mis à jour le 10-07-2022 à 14h52
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En justifiant, dans la presse, un choix "professionnel", le conseil d’Abdeslam suscite le tollé et risque des ennuis.
Les propos tenus, samedi, dans Het Laatste Nieuws, par l'avocat pénaliste Sven Mary continuaient, lundi, à entraîner des réactions. Ils ont même suscité une dizaine de plaintes adressées à l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes.
Dans l'interview qu'il a accordée au quotidien flamand, Sven Mary a indiqué que son cabinet n'engageait plus de femmes depuis qu'il a eu "un problème avec une stagiaire qui prétendait avoir eu une mauvaise évaluation parce qu'elle n'avait pas cédé à mes avances". "Je ne veux plus m'exposer à ce genre de risque", a-t-il déclaré.
Depuis, les critiques s'abattent sur le ténor dilbeekois de 46 ans. Sur Twitter, la ministre flamande de la Justice, Zuhal Demir (N-VA), n'y est pas allée avec le dos de la cuillère : "Peut-être que Sven Mary a trop écouté ses clients Salah Abdeslam et Fouad Belkacem. Ceci est inadmissible, nous ne sommes pas au Moyen Âge", a-t-elle écrit. Le président du CD&V, Joachim Coens s'est dit "étonné" par les déclarations de l'avocat.
Sven Mary ne s'est pas démonté outre mesure. "Qu'on me traîne donc en justice, je saurai me défendre", a-t-il lancé, comme un défi, estimant qu'il avait posé un "choix professionnel, pas plus". "Je ne dis pas que toutes les femmes sont comme ça. Je suis prudent, je peux… ?" a-t-il renchéri.
Me Mary n’a jamais eu sa langue en poche. "L’avocat des crapules", comme on le surnomme parfois, a déjà, au cours de sa carrière, "taillé des costards" au parquet fédéral, à certains politiques, comme Bart De Wever (N-VA) ou Annemie Turtelboom (Open VLD), ou à certains confrères que ce "pitbull au crâne rasé" n’a pas peur d’affronter dans les prétoires du nord comme du sud du pays.
Discrimination à l’embauche ?
Certaines de ses prises de position ont attiré sur lui les foudres de l’opinion. Des gens sont allés jusqu’à souhaiter à ses filles "d’attraper le cancer". C’est dire…
En guerre contre la "récupération politique de la lutte contre le terrorisme", il n'aime pas, en général, suivre le troupeau. Cela le conduit parfois à tenir des propos très carrés et très peu politiquement corrects.
Reste à savoir si Sven Mary n’est pas allé trop loin cette fois et ne s’est pas rendu coupable d’une discrimination à l’embauche. Écarter une candidature sur la base du sexe, de l’origine, du handicap ou de l’orientation sexuelle du demandeur est interdit par la loi. Mais est-ce bien cela qu’a fait Sven Mary ? La question pourrait être posée à un tribunal.
Cela dit, le phénomène du harcèlement dans le monde judiciaire n’est pas un mythe. Voici deux ans et demi, Avocats.be a décidé d’agir. L’Ordre des barreaux rémunère une assistante sociale, dont le travail consiste à écouter les avocats et avocates (et pas uniquement les jeunes stagiaires) qui se sentent l’objet de harcèlement. Si la victime présumée le désire, elle peut saisir les instances ad hoc du barreau, à charge pour celles-ci de l’accompagner dans ses démarches (confrontation avec celui ou celle qui est soupçonné de la harceler, saisine du bâtonnier avec, à la clé, de possibles sanctions administratives ou disciplinaires, etc.). Avocats.be se charge aussi de la soutenir matériellement.
Suffisant ? Pas vraiment si l'on en croit la teneur de la carte blanche publiée, lundi, par Le Vif et signée par une bonne trentaine d'avocates qui ont décidé de saisir le bâtonnier.
"La culture machiste du barreau"
"Nous ne savons pas si Me Mary a effectivement tripoté sa stagiaire. Ce que nous savons par contre, c'est qu'un certain machisme semble faire partie de l'ADN de notre profession, écrivent les signataires. Refuser d'engager des avocates parce qu'elles sont femmes n'est pas seulement une manière inacceptable de faire changer la honte et la culpabilité de camp : cela constitue en outre une discrimination pénalement répréhensible, affirment-elles. Que dirions-nous si un confrère affirmait publiquement qu'il renonce dorénavant à engager des Noir·es ou des homosexuel·les ?"
Et de demander au barreau de s'engager réellement en faveur des droits des avocates. "En condamnant publiquement les affirmations de Me Mary. Mais aussi en s'attaquant à la culture machiste du barreau, en réfléchissant à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée pour les avocates, en s'attelant au sexisme des magistrat.es et bien plus encore." Cela s'appelle une charge en bonne et due forme. Et Me Mary n'est pas le seul à en prendre pour son grade.