L’itinéraire glaçant d’Osama Krayem, l’homme qui devait exploser dans la station Maelbeek
Il y a quatre ans, des kamikazes mettaient Bruxelles à feu et à sang (32 morts), en frappant à Zaventem puis dans le métro de la capitale. L’un d’eux a renoncé in extremis. Voici son itinéraire sur la base de son dossier judiciaire.
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- Publié le 22-03-2020 à 08h40
- Mis à jour le 19-06-2020 à 08h10
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Il y a quatre ans, des kamikazes mettaient Bruxelles à feu et à sang (32 morts), en frappant à Zaventem puis dans le métro de la capitale. L’un d’eux a renoncé in extremis. Voici son itinéraire sur la base de son dossier judiciaire.
Osama Krayem devait mourir le 22 mars 2016. Il devait tuer des innocents en mettant à feu son sac d’explosifs dans le métro, à Bruxelles. Il a renoncé. Il a fait demi-tour avant de pénétrer dans les couloirs du métro.
Mais il n’a pas évité un terrible carnage. Il n’a rien entrepris pour empêcher Khalid El Bakraoui de poursuivre sa route. Il savait pourtant que ce dernier était déterminé et que des complices avaient frappé une heure plus tôt à Zaventem.
Khalid El Bakraoui tuera 16 personnes et en blessera une centaine d’autres en se faisant exploser dans une rame bondée à la station Maelbeek.
Osama Krayem sera arrêté le 8 avril 2016, le même jour que Mohamed Abrini, "l’homme au chapeau" qui, comme lui, mais à Zaventem, ne s’est pas fait exploser.
Osama Krayem sera jugé en France pour les attentats de Paris du 13 novembre 2015 avant d’être jugé en Belgique pour ceux du 22 mars 2016. Il a été interrogé à de très nombreuses reprises par des enquêteurs belges, mais aussi français et américains.
Osama Krayem ne s’est pas complètement livré. Il a parfois adopté un discours en contradiction avec les résultats de l’enquête. Il a été recadré. Ces interrogatoires ont contribué à reconstituer le parcours des terroristes. Ils ont permis d’appréhender son cheminement intérieur.
Quatre ans après les attentats, nous retraçons, sur base d’éléments du dossier, les 15 heures qui ont précédé l’attentat de Maelbeek.

Son itinéraire
Nous sommes le 21 mars 2016, veille des attentats de Bruxelles. Des caméras de surveillance, installées dans le centre commercial City 2, dans le centre-ville, dont les images seront exploitées bien plus tard, filment Osama Krayem.
Il est venu en tram, suivant les indications sur les arrêts qui lui ont été inscrites sur un morceau de papier. Suédois d’origine syrienne, Osama Krayem ne parle pas le français. Il ne connaît pas Bruxelles. Il se dirige sans hésiter vers le magasin SportDirect.
Ibrahim El Bakraoui, qui se fera exploser le lendemain à Zaventem, lui avait donné des instructions : "Prendre le plus grand sac possible du magasin de sport. Je savais que je devais en acheter deux ", a expliqué Osama Krayem.
Quatre dans l’appartement
Khalid El Bakraoui, qui commettra le lendemain l’attentat à Maelbeek, lui avait remis de l’argent. "Je ne me rappelle plus la somme exacte. Peut-être 300 euros" , a dit Osama Krayem aux enquêteurs.
Osama Krayem est ensuite retourné dans la planque de la rue Max Roos, à Schaerbeek, d’où partiront le lendemain les kamikazes de Zaventem.
Ils étaient quatre dans l’appartement : aux côtés de Krayem, il y a les trois hommes qui se rendront le lendemain à l’aéroport.
"Je leur ai remis les sacs à dos. Ils sont partis dans la chambre, je suis resté seul à attendre", a expliqué Osama Krayem. Il a attendu deux, voire trois heures. "Une des personnes est sortie de la chambre avec un sac à dos rempli d’explosif."
Des explosifs dans un tram et un bus
Osama Krayem recevra pour mission de l’amener dans la planque de l’avenue des Casernes, à Etterbeek, où il logeait depuis quelques jours avec Khalid El Bakraoui. "L’homme qui m’a remis le sac m’avait inscrit sur un morceau de papier le chemin, le numéro de bus et le numéro de tram à prendre" , a-t-il expliqué aux enquêteurs.

Il a déposé le sac chargé d’explosif dans l’appartement. Il a pris un taxi pour retourner à Schaerbeek chercher le second sac. Il a mentionné comme adresse la gare de Schaerbeek, proche de la planque. Il y est resté une vingtaine de minutes.
"Une fois le sac prêt, l’un est sorti et me l’a remis. L’un d’entre eux a appelé un taxi." Il n’a pas parlé au chauffeur, lui remettant un papier avec l’adresse d’Etterbeek : "J’avais le sac à côté de moi dans la voiture. Je savais déjà ce qu’il contenait." Il dit qu’il était alors "paniqué, stressé" .
À son retour, il est 0 h 21. Osama Krayem a compris, qu’après une dernière nuit, il partira avec Khalid El Bakraoui, chacun porteur d’un des sacs à dos, pour se faire exploser.
Khalid El Bakraoui a essayé le sac en le mettant sur son dos. "Nous avons discuté de ce que nous allions faire mais n’avions pas encore décidé de la station. Les sacs étaient lourds, je ne sais pas combien ils pesaient. On savait marcher avec" , a expliqué Osama Krayem.
"Comme un jour ordinaire"
Osama Krayem est resté assis toute la nuit. Khalid El Bakraoui a un peu dormi. Ils se sont levés vers 7 h, 7 h 30 : "On a prié à l’heure de la première prière prévue. C’était comme un jour ordinaire." Ils n’ont pas mangé : "Pas dans une situation pareille."
Osama Krayem ne pense pas que Khalid El Bakraoui a pris contact avec le groupe qui frappera à 7 h 58, à l’aéroport.
Ils ont quitté ensemble, après 8 h, l’immeuble du 39 avenue des Casernes, situé à 1,2 km de la station de métro Pétillon.
Ils ont été filmés, à leur sortie de l’immeuble. Sur les images, Khalid El Bakraoui apparaît comme hésitant, revenant sur ses pas. "Bien sûr qu’il hésitait, il savait qu’il allait mourir", dit Osama Krayem qui explique qu’il n’a pas hésité "car je savais que je n’allais pas le faire".
Khalid El Bakraoui portait une tablette. Sur le trajet, il a appris qu’il y avait eu un attentat à Zaventem. "Il me l’a dit. J’ai directement pensé à ceux qui étaient dans la maison Max Roos" , en a déduit Osama Krayem.
Ils n’ont pas pris le trajet le plus court vers la station de métro. En rue, Osama Krayem a manipulé le sac qui était sur le dos de Khalid El Bakraoui afin d’y fixer la deuxième batterie qui devait permettre le déclenchement de l’explosion.
Ils ne connaissaient pas le chemin vers une station de métro. "On a demandé à quelqu’un. C’est moi qui ai demandé en anglais. C’est lui qui m’a envoyé demander pour passer pour des touristes" , a dit Osama Krayem.
Khalid El Bakraoui voulait qu’ils s’installent de part et d’autre du métro, "par exemple lui dans le premier wagon du métro et moi dans le dernier. Il m’avait dit que lorsque j’entendrais la première explosion, je devais appuyer sur le bouton afin de me faire exploser".
"Je ne descends pas, je n’y vais pas"
Selon ses dires, c’est en arrivant dans l’allée menant à l’entrée de la station qu’il a dit qu’il ne se fera pas exploser. "C’est à ce moment que je dis à Khalid : ‘je ne descends pas, je n’y vais pas’." El Bakraoui était énervé. "Il a fait un geste. Je pense que Khalid pensait plus à lui qu’à moi à ces moments-là."
El Bakraoui se trompera, prenant un métro vers la périphérie. Il s’en rendra compte à Beaulieu et prendra un métro en sens inverse. À 9 h 11, il a déclenché sa bombe dans la rame qui s’apprêtait à quitter la station Maelbeek.
La juge a demandé à Osama Krayem pourquoi il n’a pas retenu Khalid El Bakraoui. Il lui a répondu qu’il y avait énormément de policiers dans la rue après les attentats de Zaventem. "Je ne pouvais pas crier sur lui, ni lui sur moi. Puis c’était pour moi l’occasion de m’enfuir" , lui a-t-il répondu.
Ce qu’il fera, sans prévenir la police, par peur et "parce qu’un homme avec un sac à dos rempli d’explosif ne se rend pas à la police" .
Attendre que la chasse se remplisse d’eau
Krayem est retourné dans l’appartement de l’avenue des Casernes. Il a utilisé un plat en plastique pour transvaser la poudre explosive dans les toilettes. "Cela m’a pris une vingtaine de minutes car je devais attendre que la chasse se remplisse d’eau".
Il ne s’est pas attardé à l’appartement. Il s’est réfugié chez un des derniers membres de la cellule, Hervé Bayingana, chez qui il sera arrêté alors qu’il avait tenté de joindre son frère pour qu’il l’aide à rentrer en Suède.

"Je suis un soldat de Daech"
De l’exécution d’un pilote jordanien au 22 mars 2016 à Bruxelles
Une cicatrice au sourcil droit. "Je suis un soldat de Daech. J’adhère à sa philosophie et cela de manière inconditionnelle bien que je ne cautionne pas certains actes. Ce n’est pas Daech qui nous guide, c’est l’islam qui est là. Ce sujet est un peu difficile à aborder. C’est difficile de discuter avec n’importe qui de cela." Devant la juge, Osama Krayem a été clair sur sa pensée. Il avait rejoint Daech en Syrie en août 2014. En janvier 2015, il a participé à l’exécution médiatisée du pilote jordanien, brûlé vif dans une cage. Son frère, resté en Suède, reconnaîtra son visage masqué grâce à une cicatrice au sourcil droit.
Rentrer en Suède, vraiment ? Il quitte la Syrie en septembre 2015, empruntant le chemin des réfugiés. Il fera la route avec l’artificier des attentats de Paris et Sofien Ayari, l’homme arrêté à Molenbeek avec Salah Abdeslam. Le jour des attentats de Paris, il a fait un aller-retour à l’aéroport de Schipol avec Ayari. Il dira longtemps que ce n’était que des repérages de consignes, avant de se faire mystérieux lors d’un dernier interrogatoire. "Si vous étiez détenu par l’État islamique, qu’on vous pose des questions, diriez-vous spontanément des choses que l’État islamique ne sait pas ? Je pense que vous savez lire entre les lignes." Aux enquêteurs, il ne cessera de répéter qu’une fois en Allemagne, où Salah Abdeslam viendra le rechercher, le 3 octobre 2015, son but n’était que de rentrer en Suède. Mais dans les six mois qui ont suivi, il n’entreprendra aucune démarche pour fausser compagnie aux hommes qui frapperont avec lui à Paris et à Bruxelles.