Les réformes de Koen Geens déplaisent aux magistrats: "Nous voulons plus de moyens et un peu plus de confiance de la part du ministre"

Le projet d’arrêté royal concernant la procédure dans la justice civile soumis par le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), se heurte à l’opposition de l’Association syndicale des magistrats (ASM) et de sa présidente, Marie Messiaen.

Le projet a été modifié suite à vos réactions, mais ça ne suffit pas. Qu’est-ce qui pose problème ?

La première version du projet était tout simplement inacceptable. Le texte évoquait un recours généralisé à la procédure écrite et donc le jugement des affaires sans audience, quelles que soient la situation des parties (avec ou sans avocat) et la matière (famille, travail, locatif, droit commercial…). Malgré une absence de consultation, les magistrats dans leur ensemble se sont opposés au texte, ce qui est inédit. Nous sommes heureux de constater que notre courroux a été pris en compte. Mais cela ne nous empêche pas de rappeler à notre ministre de la Justice que nous sommes conscients que la machine judiciaire doit continuer à fonctionner malgré la crise et que nous, sur le terrain, en sommes bien conscients au quotidien.

Avez-vous l’impression que les mesures prises n’ont, en fait, pas vraiment d’utilité dans la crise actuelle ?

En tout cas, nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement décide de mesures aussi générales et floues sans prendre en considération la réalité de terrain que nous, magistrats, vivons et connaissons sur le bout des doigts. Nous voulons plus de moyens et un peu plus de confiance de la part du ministre Geens, pas des mesures abstraites et incompréhensibles qui risquent, en plus, de devenir la règle une fois la crise passée. La crise actuelle est inédite, mais les indispensables mesures doivent aider à rencontrer les problèmes existants, pas nous en ajouter des nouveaux après le confinement. Si des mesures d’exception - qui ne semblent pas très utiles - sont prises et qu’on se dit ensuite : oh mais finalement, ça va plus vite avec ces mesures, gardons-les, nous allons nous retrouver face à une série de problèmes ingérables au sein de la justice. Est-ce vraiment nécessaire de modifier des règles de procédure dans un contexte d’exception ? Voilà la bonne question. Et notre impression, c’est que le ministre de la Justice veut imposer des mesures qu’il n’a pas réussi à faire intégrer auparavant, avec un argument phare : des procédures numérisées permettront d’aller plus vite.

Mais une justice qui va plus vite, c’est une justice plus efficace, non ?

Certains nous pointent du doigt comme si nous étions des vieux réacs opposés à la numérisation. Ce n’est pas le cas. Ce que nous voulons, c’est une numérisation qui a du sens, qui permette d’avancer dans notre travail, et non des décisions prises tous azimuts. Les mesures annoncées vont en fait dans le sens des projets de Koen Geens, qui vont, effectivement, vers une numérisation plus poussée et devraient mener à une justice plus rapide. Mais dans certains tribunaux, certaines audiences, la présence des personnes est fondamentale. On ne peut donc pas généraliser les mesures sans prendre en compte la réalité du terrain. Et puis, soyons honnêtes, on veut une numérisation mais certains tribunaux manquent de logiciels performants, permettant de disposer d’un véritable dossier électronique. Focalisons-nous sur l’essentiel. Et dans le monde de la justice, l’essentiel, c’est le justiciable.