Des avocats se battent pour faire sortir les détenus non dangereux: "En prison, il ne leur reste qu'une perspective: choper le virus"
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Publié le 01-04-2020 à 10h38 - Mis à jour le 17-08-2020 à 20h17
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Des avocats se mobilisent pour faire libérer les détenus non dangereux jusqu'à a fin de l'épidémie. Des citations en référé ont été introduites devant les tribunaux de Liège, Bruxelles, Namur, Nivelles et Tournai.
Lundi 30 mars, on dénombrait exactement 9989 personnes derrière les barreaux, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire. Après deux semaines de confinement, le coronavirus a concrétisé la promesse que le ministre de la Justice n’a jamais réussi à tenir : faire descendre la population carcérale sous la barre des 10 000 détenus. Le commentaire, grinçant, émane d’un avocat, affolé de voir les conditions dans lesquelles ses clients sont aujourd’hui détenus. “C’est intenable. J’ai eu des clients, qui sont pourtant des caïds, en pleurs, hurlant au téléphone : ils crèvent de trouille d’être contaminés par le coronavirus”.
Au 30 mars, seuls 5 détenus ont été testés positifs au coronavirus : un à Mons ; 3 à Turnhout (ils ont été transférés à la prison de Bruges, qui dispose d’un centre médical) et le dernier, détecté à Forest, est hospitalisé à Saint-Pierre à Bruxelles. “Et nous n’avons aucun décès”, insiste un médecin qui travaille en prison. “Pour l’instant, le système tient le coup.”.
La stratégie “courageuse” privilégiée par l’administration pénitentiaire fonctionne : interdire les visites, supprimer les activités qui impliquent des tiers, interrompre les congés pénitentiaires… “Les détenus ont été confinés au maximum. Ce ne sont pas eux qui sont un réservoir de virus, mais tous ceux qui entrent en prison : les agents pénitentiaires, le personnel administratif, les médecins, les infirmiers…”, poursuit le médecin.
“Aussi des héros”
“Tous les membres du personnel qui viennent travailler chaque matin malgré le risque sont des héros, autant que les soignants en première ligne: on devrait aussi les applaudir chaque soir sur les balcons!”, scande ce directeur de prison qui mesure bien que la situation sanitaire pourrait très vite basculer vers le pire.
Parce qu’il y a des suspects de Covid-19 parmi les détenus dans toutes les prisons (“environ 1 pour cent de la population carcérale”, évalue le médecin qui a accès aux chiffres) . Il y a des agents sous certificat médical (l’absentéisme a doublé depuis la crise du corona) et des directeurs d’établissement aussi touchés (deux sont en quarantaine chez eux à la maison).
Au-delà de 37,4°C
Dès qu’un détenu présente des symptômes du coronavirus (toux, nez qui coule…) ou que sa température corporelle dépasse 37,4°C, il est placé en isolement médical au sein de la prison.
Lundi, Sciensano, l’Institut scientifique de santé publique, recommandait de tester les cas potentiels parmi les détenus, comme parmi les résidents des maisons de repos, “en raison de l’importance et des implications logistiques d’un isolement correct”. Des tests en prison ? “Quels tests ?”, raille un directeur. “On n’en a jamais vu la couleur : vous imaginez bien qu’on n’est pas la priorité !”.
Les détenus suspects sont donc “mis à l’écart” en prison, comme c’est possible dans ces lieux par définition très étriqués. Ici, on vide une aile pour créer un (semblant de) confinement ; là, on réserve des cellules pour les prisonniers qui seraient contaminés. Des masques FPP2 ont été mis à disposition des agents en contact avec les détenus malades. Et on répète les consignes d’hygiène et de distanciation.
“Les mesures ne sont pas respectées”, affirme une infirmière active dans une prison wallonne. “Pour que ça ne pète pas, on a maintenu les préau. Mais les gardiens n’ont pas tous des masques et s’abstiennent d’intervenir quand des détenus se rapprochent”.
Ni toilette, ni eau courante...
Dans certaines sections, qui fonctionnent en régime communautaire, le confinement imposé est matériellement impossible à respecter: comment faire pour se laver les mains régulièrement tout en évitant les contacts quand il n'y a ni toilettes ni eau courante en cellule?
“Le virus a pu circuler tranquillement. Que va-t-il se passer si 20 détenus déclarent des symptômes graves du Covid-19 et doivent être placés sous respirateur? Ils devraient être transférés vers un hôpital civil: les trois centres médico-chirurgicaux n’ont pas de service de soins intensifs. Mais dans les grandes villes, on a déjà une saturation des lits avec respirateur. Je ne sais pas vers quoi on va...”, s’angoisse un pénaliste bruxellois.
“Dans une situation horrible”
L’angoisse monte derrière les barreaux. Les incidents se multiplient. “On peut comprendre les détenus qui n’ont aucune perspective”, note un directeur de prison : “Ils sont dans une situation horrible : pas d’activités, pas de visites de leurs proches, pas d’espoir de sortie à court terme… La seule chose qu’ils voient devant eux, c’est le risque de choper le virus”.
Que faire pour soulager la pression ? Les médecins des prisons sont en train d’examinner les dossiers des patients âgés de plus de 50 ans qui sont les plus à risques de contracter le coronavirus, en vue d’une libération pour raison médicale.
D’autres possibilités de sortie sont examinées par les avocats. Une récente circulaire ministérielle a permis aux directeurs d’établissements d’octroyer un congé prolongé pour certaines catégories de détenus : ceux qui ont été condamnés à des peines de plus de 10 ans, les abuseurs sexuels et les terroristes en sont exclus. Au total, 323 détenus ont ainsi vu leur congé prolongé jusqu’au 19 avril. Mais tous les autres doivent rester dedans.
Actions en référé
“Il faut aller beaucoup plus loin et sortir le maximum de monde”, clame Thierry Moreau, avocat au barreau du Brabant Wallon et professeur extraordinaire à la Faculté de droit et de criminologie de l’UCLouvain. “Le ministre a confondu dangerosité et nombre d’années de prison. Il faut prendre les dossiers au cas pas cas et examiner si le détenu est dangereux ou pas. Si on ne fait pas ça, les prisons seront une bombe à retardement pour la propagation du virus. On doit faire comprendre cela à la population”.
Me Moreau et plusieurs confrères se mobilisent pour tenter de faire libérer leurs clients “non dangereux”. Huit actions en référé ont été introduites devant les tribunaux de Liège, Bruxelles, Namur, Nivelles et Tournai. Une première décision pourrait tomber ce mercredi.