Une compagnie d'assurances condamnée à renoncer à un produit de protection juridique
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Publié le 10-04-2020 à 14h19 - Mis à jour le 10-04-2020 à 18h21
Avocats.be ne lâche pas la compagnie d’assurances ARAG. L’Ordre des barreaux francophones et germanophone a introduit contre elle un nouvelle action en cessation et obtenu gain de cause devant le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles.
Au début de l’année 2019, ARAG a fait la promotion d’un produit d’assurance protection juridique (appelé LegalU) répondant aux conditions de la loi du 22 avril 2019 qui vise à rendre plus accessible l’assurance protection juridique.
ARAG annonçait accorder un double avantage financier (plafonds plus élevés et non-application de la franchise contractuelle de 250 euros) à ceux de ses assurés qui acceptaient de confier la défense de leurs intérêts à un avocat “labellisé partenaire d’ARAG”.
Deuxième round
Avocats.be a estimé que l’octroi de ces avantages portait atteinte au principe du libre choix de l’avocat consacré par la loi sur les assurances. Le 11 septembre 2019, la chambre des actions en cessation du tribunal de l’entreprise de la capitale ordonnait la cessation de la publicité et de la commercialisation du produit en question.
La compagnie a modifié son produit à plusieurs reprises. L’actuel contrat, appelé LegalU 3, ne contient aucune référence à la notion “d’avocat labellisé partenaire” mais il n’a pas davantage plu à Avocats.be. Pour qui il offre le même double avantage financier aux assurés qui confient la défense de leurs intérêts à un avocat acceptant de limiter ses honoraires aux barèmes fixés par l’arrêté royal d’exécution de la loi d’avril 2019.
Pour Avocats.be, il s’agissait d’une nouvelle atteinte au principe du libre choix de l’avocat. Résultat: une nouvelle action en cessation.
Devant le tribunal de l’entreprise, ARAG a affirmé que le nouveau contrat ne parlait plus “d’avocat labellisé partenaire” et a estimé que l’assuré était libre de s’adresser à l’avocat de son choix. “Si celui-ci n’applique pas les barèmes fixés par l’arrêté royal, le client bénéficiera d’une couverture d’assurance raisonnable, suffisante et équivalente à celle offerte par les autres compagnies d’assurances en Belgique. Si l’assuré décide de collaborer avec un avocat qui adhère aux barèmes, il bénéficiera de conditions plus favorables”.
Pour Avocats.be, dans la pratique, les assurés seront influencés et incités à choisir la voie la plus intéressante sur le plan financier. L’avantage proposé par ARAG porte donc atteinte au libre choix de l’avocat.
Pratique "contraire aux pratiques honnêtes du marché"
Selon le tribunal, si ARAG s’était contentée de proposer un contrat d’assurance comprenant une limitation de couverture sous forme de plafond à son intervention et de franchise laissée à charge de l’assuré, on n’aurait rien pu lui reprocher, ces deux limitations étant "acceptables” “pour autant qu’elles ne vident pas la liberté de choix de l’avocat de sa substance et que la couverture offerte soit suffisante”.
Mais ARAG a décidé d’aller au-delà, relève le juge, “en empiétant sur le libre choix de l’avocat, qui est une prérogative exclusive de ses assurés”. Ce que fait ARAG, ajoute-t-il, c’est “s’arroger une prérogative qui ne lui est pas accordée par la réglementation mais qu’au contraire ARAG doit garantir à l’assuré”. Autrement dit, “le choix de l’avocat par l’assuré n’est plus totalement libre” mais est orienté par les avantages financiers réservés par ARAG aux seuls assurés faisant un choix limité à un avocat appliquant les barèmes.
Pour le tribunal, le produit Legal U3 proposé par ARAG viole le principe de libre choix de l’avocat et en commercialisant ce produit, la compagnie se rend coupable d’une pratique contraire aux pratiques honnêtes du marché, pratique qu’il s’agit de censurer. Le tribunal a donné dix jours à ARAG pour arrêter la commercialisation du produit et l’ordre de cessation prononcé est assorti d’astreintes.
Enfin, le tribunal a rejeté la demande d’Avocats.be de voir le jugement publié dans la presse et a balayé la demande reconventionnelle d’ARAG, qui lui demandait de condamner Avocats.be pour avoir refusé de préciser auprès de ses membres, après la première condamnation d’ARAG, que la compagnie avait modifié son (premier) produit, un refus qui portait atteinte, selon elle, à sa réputation.
Vendredi, la compagnie d'assurances nous a fait savoir qu'elle avait décidé d'interjeter appel du jugement afin de "défendre sa poisiton de justice pour tous". Elle dit regretter la décision du tribunal de l'entreprise mais vouloir s'y conformer et d'ailleurs, elle va adapter son produit en attendant que la cour d'appel tranche. Selon elle, son approche est conforme à l'esprit de la loi Geens et à la jurisprudence européenne.
Pour rappel, ARAG est un assureur international fondé en Allemagne en 1935. Le groupe est actif dans 19 pays, principalement en Europe mais également aux Etats-Unis ainsi qu’au Canada. ARAG emploie plus de 4.000 collaborateurs à travers le monde.
ARAG est actif en Belgique depuis 1965 et est spécialisé dans les assurances protection juridique.