La justice belge saisie d’une enquête de l’Olaf sur la société d’un expert vétéran des crimes de guerre
Accusé de fraude par l’Olaf, jugé à Bruxelles, Bill Wiley doit rembourser 378 000 euros. Il fait appel.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/3db27521-05f2-4d07-b3b8-02602abf6d9b.png)
- Publié le 05-05-2020 à 06h59
- Mis à jour le 05-05-2020 à 09h10
:focal(2495x1671.5:2505x1661.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/5D7BMAL43NAGPLWDCZY35HP2SE.jpg)
Accusé de fraude par l’Olaf, jugé à Bruxelles, Bill Wiley doit rembourser 378 000 euros. Il fait appel.
Le patron d’une ONG spécialisée dans les crimes de guerre en Syrie accusé de fraude par l’Olaf, l’office chargé de déceler les fraudes au budget européen, ce n’est pas habituel. Pourtant, c’est l’affaire qu’a dû traiter, au civil, le tribunal de première instance de Bruxelles dans un jugement qu’a lu La Libre Belgique.
Ce tribunal ordonne à la société Tsamota, gérée par le Canadien William Wiley, de rembourser plus de 378 000 euros à l’Union européenne à l’issue d’une longue dispute entre cette firme britannique spécialisée dans l’aide juridique à des pays tiers et les autorités européennes, avec en pointe l’Olaf qui enquête sur Tsamota depuis 2013.
Le tribunal coupe la poire en deux
Coupant la poire en deux, le tribunal ne retient pas l’accusation de fraude, estimant que l’Olaf n’en a pas fourni la preuve, mais évoque des irrégularités dont la liste, dit-il, est "impressionnante". Une décision que les avocats de la firme britannique ne comprennent pas. Ils ont interjeté appel.
Le jugement prononcé le 17 janvier par le tribunal néerlandophone concerne un appel d’offres de la Direction générale du développement et de la coopération lancé en 2013. Le projet d’1,834 million d’euros visait à améliorer les études juridiques dans trois universités en Irak. Il a été remporté par Tsamota Ltd. Le jugement interpelle car le fondateur de Tsamota est en même temps le directeur-général de la Commission for International Justice and Accountability (CIJA), une ONG réputée qui rassemble des preuves pour pouvoir poursuivre les crimes de guerre qui ont été commis en Syrie, tant par Damas que par les groupes djihadistes. Elle a fourni des documents au tribunal allemand qui juge actuellement un officier des services de renseignement syriens, Anwar R., accusé de torture.
Un Canadien spécialisé dans les crimes de guerre
Cette ONG a été fondée sous l’impulsion du Foreign Office et est financée actuellement par l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis. Elle est née de l’impasse dans laquelle les pays occidentaux se trouvent au sein du Conseil de sécurité, la Russie, en parrain de Damas, bloquant toute poursuite du gouvernement syrien pour crimes de guerre. D’où est venue l’idée d’une justice internationale en quelque sorte privatisée, qu’incarne la CIJA.
Même fondateur, même patron, Tsamota n’a toutefois pas de liens avec la CIJA, affirme Bill Wiley, qui est aussi un ancien militaire et ex-analyste des tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.
"Un consortium qui n’a jamais existé"
Selon le jugement du tribunal belge, l’Olaf reproche à Tsamota de "s’être présentée pour plus importante qu’elle est" en soumettant sa candidature en 2013 à quatre contrats de la Commission européenne pour aider l’état de droit (rule of law) en Irak. "Tsamota s’est présentée elle-même comme dirigeant un consortium qui n’a jamais existé" et qui devait inclure l’université de Gand et deux firmes privées. Un expert a aussitôt démissionné.
L’Olaf a aussi trouvé une série d’irrégularités dans la gestion du dossier, dont la double facturation des frais de logement en Irak, un siège jugé fictif au Royaume-Uni (et aussi rue Molière à Bruxelles), des frais excessifs de gardes de sécurité et une administration pour le moins artisanale, en tout cas aux yeux des très tatillonnes institutions européennes. Sans doute un cas de "nonchalance administrative", estime le tribunal.
Après avoir consulté les documents internes de Tsamota, l’Olaf considère qu’"il existe un sérieux doute que Tsamota ait effectivement réalisé le travail" lié au contrat irakien. Il observe que des experts ont été engagés en janvier 2015, à la fin du projet, alors que celui-ci était censé être terminé pour septembre 2013.
Parallèlement, la société d’audit KPMG a été chargée par la Commission européenne d’examiner les comptes de Tsamota. Elle en est arrivée à la conclusion qu’un montant de 372 000 euros sur des dépenses de 1 266 000 euros a été "injustement comptabilisé" à la Commission.
Le silence de l’Olaf
Se retranchant derrière le secret de l’instruction, l’Olaf refuse d’en dire plus que ses communiqués de presse. Tsamota se plaint aussi du silence de l’Olaf, qui a enquêté pendant plus de 4 ans et demi et n’a fourni à ses avocats qu’un rapport partiel dont certaines parties avaient été effacées. Le tribunal belge reconnaît le droit à l’Olaf de protéger ses sources mais reproche à celui-ci de ne pas avoir fourni la preuve de la fraude, celle-ci revenant à l’accusation. "Il reste un doute qu’il y a eu des violations délibérées de la loi par Tsamota […] Le doute bénéficie à Tsamota", conclut le tribunal.
L’Olaf est-il allé trop loin dans cette enquête ? Veut-il discréditer Bill Wiley, qui propose une alternative privée aux enquêtes criminelles internationales normalement dévolues aux États ? Bill Wiley et ses avocats se le demandent mais n’ont pas de réponse.
Contactés par La Libre, les avocats de la Commission européenne restent silencieux et cela, à la demande de leur client, car, disent-ils, la procédure devant la justice belge est toujours en cours.
D’autres affaires en cours
Ce n’est pas la seule affaire saisie par l’Olaf en ce qui concerne les importants fonds débloqués depuis 2013 en faveur de l’Irak ou de la Syrie. Une enquête a visé à partir de 2016 plusieurs ONG de renom dont des employés, en fuite, avaient truqué à leur avantage des appels d’offres dans l’aide aux réfugiés syriens. Et le 24 mars, en pleine pandémie, l’Olaf a annoncé avoir bouclé une "enquête longue et compliquée" sur une fraude à un projet de soutien à l’État de droit en Syrie, où trois sociétés (britannique, néerlandaise et émiratie) pourraient avoir grugé le budget européen sur un contrat d’1,99 million d’euros.
Dans cette dernière affaire, l’Olaf a saisi les justices britannique, néerlandaise et belge. Il s’agit là aussi d’un projet visant "à soutenir des poursuites possibles pour des violations du droit humanitaire et pénal international", selon l’office. Nerma Jelacic, porte-parole de la CIJA, affirme que cette enquête ne touche pas son organisation non gouvernementale. "L’Olaf n’a jamais approché la CIJA à propos des cinq contrats qu’elle a signés avec l’Union européenne", assure-t-elle.