Elections "en mode confiné" du futur bâtonnier du barreau francophone de Bruxelles : "C’est du jamais vu !"
Du 16 au 19 juin, les avocats francophones de Bruxelles devront voter pour élire leur futur bâtonnier.
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Publié le 14-06-2020 à 18h23 - Mis à jour le 24-06-2020 à 19h55
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Du 16 au 19 juin, les avocats francophones de Bruxelles devront voter pour élire leur futur bâtonnier.
Les élections ordinales du barreau francophone de Bruxelles, cela ne parle peut-être pas au lecteur lambda, mais pour les près de 5 000 avocats que représente cet Ordre, il s’agit d’un moment important dans l’agenda. Ces élections permettront en effet de savoir qui sera le prochain chef de ce qui n’est pas moins que le premier barreau du pays, le troisième barreau francophone du monde.
Le bâtonnier est en effet celui qui dirige et représente l’Ordre. Il est responsable de la gestion journalière, il conseille les avocats dans les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur vie professionnelle, règle les incidents entre eux et intervient dans les différends qu’ils peuvent avoir avec les tribunaux. Le bâtonnier est également un des garants du respect de la déontologie. Il reçoit et examine les plaintes contre des avocats et décide, le cas échéant, de saisir le conseil de discipline. Une haute fonction actuellement occupée par Michel Forges qui cédera sa place, en septembre prochain, à Maurice Krings, son actuel dauphin.

Un système électoral assez spécial
Si les élections ordinales ont bien lieu du 16 au 19 juin prochain, le nom du futur bâtonnier est, en effet, déjà connu. C’est que le système électoral au sein de l’Ordre est assez spécial, puisqu’il permet d’élire le prochain bâtonnier deux ans à l’avance. Ainsi, l’arrivée de Maurice Krings est connue depuis 2018 pour une entrée en fonction prévue le 1er septembre prochain. Entre-temps, il occupait la fonction de dauphin, sorte de “stage très formateur”, avant de porter le costume de bâtonnier assure Maurice Krings.
Ce stage n’était d’ailleurs pas un long fleuve tranquille, chamboulé en fin de course par la crise du covid qui pourrait laisser des traces. “Le barreau a réalisé un sondage auprès de ses membres. Le taux de réponse était important et on dénote, par exemple, que la communication menée par l’actuel bâtonnier Michel Forges est saluée par la grande majorité de l’Ordre. C’est ce qui a permis à la Justice de continuer à relativement fonctionner malgré l’abandon ressenti, puisque notre secteur a eu le sentiment d’être un peu oublié par le politique. Mais la donnée la plus significative à mes yeux, c’est que, sur 50 % des répondants, une part significative abandonnerait le barreau si la situation ne change pas au niveau économique, car, on ne s’en rend peut-être pas compte mais l’impact économique sur la profession est sans commune mesure”, s’inquiète Maurice Krings, qui préapre déjà sa prise de fonction.
Campagne virtuelle, Covid oblige
Dans sa mission, il sera accompagné de son futur dauphin, qui sera donc élu au terme des élections ordinales prévues du 16 au 19 juin. Deux candidats s’affrontent pour ce poste : Emmanuel Plasschaert et Nathalie De Wulf. Cette dernière, si elle est élue, pourrait d’ailleurs devenir la première femme à accéder à la fonction au sein de l’Ordre français à Bruxelles. Elle a axé sa campagne sur la solidarité entre avocats.

Tisser des liens et renouer le contact n’a pourtant pas été facile en cette période. La campagne a en effet été chamboulée par la crise du Covid. Conséquence : tout (ou presque) s’est déroulé de façon virtuelle. “Des élections en mode confiné, c’est du jamais vu ! D’habitude, on se déplace, on échange et on parle, mais ici, l’écrit est redevenu noble puisque nos échanges ont été virtuels, rédactionnels”, poursuit Nathalie de Wulf. Un exercice différent qui permet d’avoir une réflexion plus profonde sur l’aspect humain explique pour sa part Emmanuel Plasschaert. “Même si c’est ancré en nous, cette période nous a permis de prendre conscience de l’importance du contact humain. Il a fallu aussi être créatif pour maintenir un contact avec nos confrères et remplir les missions qui sont les nôtres : conseiller, défendre, concilier”.
“Manque de volonté politique”
L’avocat estime que cette crise a également permis de démontrer les forces et les faiblesses du système. “La gestion a été menée en parfaite intelligence et les avocats se sont très vite adaptés à la situation, même s’il est clair que certains ont été davantage touchés que d’autres. Il y a eu de la créativité, de la résilience et une capacité d’adaptation importante, mais la crise aura un impact profond et rend d’autant plus nécessaire une adaptation du modèle économique qui est le nôtre, pour évoluer en même temps que la société. C’est d’ailleurs là ma grande priorité”, poursuit Emmanuel Plasschaert.
Mais au-delà des objectifs de chacun, comment les deux avocats jugent-ils la gestion de la crise pour le monde de la Justice ? Nathalie De Wulf et Emmanuel Plasschaert estiment que Koen Geens ne prend pas assez en considération l’avis des personnes de terrain. “Il donne l’impression d’écouter, mais il n’entend rien. Or le problème est là, si nous voulons être soudés, il faut rétablir une vraie communication”, s’exclame Nathalie De Wulf.
Pour Emmanuel Plasschaert, “Koen Geens est un homme intelligent, mais il s’est comporté davantage comme un professeur que comme un ministre. Il s’est focalisé sur la modernisation du droit, alors que l’urgence, c’est la modernisation de l’appareil judiciaire”.
Mais l’urgence n’est-elle pas dans le manque de moyens, d’infrastructure et de personnel ? Ne faut-il pas davantage investir dans la Justice pour la rendre plus efficace ? “Quand on veut trouver des sous, on y arrive. Ce n’est donc pas qu’une question de moyens, mais de volonté politique”,explique Emmanuel Plasschaert.
“Cela fait 10 ans que l’on pourrait faire quelque chose, on ne peut plus rester chacun dans son coin. La cacophonie actuelle devient inaudible. Si chacun se mettait à enfin écouter l’autre, nous pourrions avancer dans l’intérêt du justiciable et des valeurs essentielles qui caractérisent un État de droit. C’est fondamental”, conclut Nathalie De Wulf. L’assemblée générale qui annoncera le nom du prochain dauphin aura lieu le 22 juin et permettra de dire qui accompagnera Maurice Krings pendant son mandat, et qui sera donc le bâtonnier en 2022.
Une première femme bâtonnière ?
Il n’y a jamais eu de femme à cette fonction au sein de l’Ordre français du barreau de Bruxelles.
En 2022, cela fera 100 ans que la loi permettant aux femmes d’accéder au Barreau est votée (loi du 7 avril 1922). La symbolique est belle, avoue Nathalie De Wulf, qui refuse toutefois de faire campagne sur le sujet. “Je veux être choisie pour mon combat et mes idées, pas parce que je suis une femme”,explique l’avocate qui préfère axer sa campagne sur les priorités qui l’attendent en tant que potentielle bâtonnière.
“Je veux me consacrer à ma corporation, avoir un ordre soudé de l’intérieur, pour être plus forts et lutter ensemble à l’extérieur. Cela m’interpelle de croiser des confrères qui disent ne pas être entendus tout en constatant que le taux d’abstention aux élections est de plus en plus important. Cela dénote qu’il y a beaucoup de déceptions. Si l’Ordre appelle chacun à évoluer individuellement, il doit en être l’exemple et doit avoir l’audace de se renouveler, de se réinventer dans ses actions tout en assurant concrètement la continuité de ce qui fait notre force, nos valeurs. L’Ordre ne se renouvelle pas, cela finit par provoquer des cassures internes, et ma priorité, c’est de ressouder les liens et d’être ainsi un Ordre tourné vers l’extérieur, qui est proactif et entendu loin de l’image trop empoussiérée véhiculée à tort dans les consciences. Nous faisons tous le même métier même si la sphère du droit s’est élargie et que le prétoire n’en constitue plus le seul lieu d’expression”, explique Nathalie de Wulf.
Mais le barreau francophone bruxellois est-il prêt à voir une femme accéder à la fonction ? Nathalie De Wulf en est convaincue, d’autant que l’Ordre néerlandophone a déjà vu des femmes accéder à la fonction. Emmanuel Plasschaert en est également persuadé. Comme Nathalie De Wulf, il estime que ce sont les convictions, qualités et compétences propres à chacun, sa vision du barreau et de la profession qui comptent dans cette élection. “La forte présence des femmes au barreau, comme dans la magistrature, tant au niveau de l’exercice du métier que de l’occupation de postes clés dans nos institutions, est une réalité dont notre profession ne peut que se féliciter. Cette donnée positive ne doit toutefois pas masquer les obstacles et injustices qui font que trop souvent, les femmes sont obligées de renoncer à poursuivre leur carrière au barreau, ou à exercer des responsabilités au sein de leur cabinet, parce qu’elles ne parviennent pas à les combiner avec les contraintes de leur vie privée. Il est notamment injuste, sinon insupportable qu’aujourd’hui encore, les femmes “payent” plus que les hommes les exigences de la vie familiale. Le barreau peut et doit favoriser des solutions qui prennent en compte cette réalité”, conclut-il.