Caroline Heymans : "La concurrence entre pénalistes est très particulière"
De l'aveu d'un confrère pénaliste ayant pignon sur rue, Caroline Heymans est déjà "une très bonne avocate". Du haut de ses 28 ans, cette Bruxelloise a quitté l'équipe de Dimitri de Beco pour lancer son propre cabinet. "En ce moment, c'est plus calme à cause du Covid et plus lent à cause des vacances, mais les audiences pour des dossiers de détenus, qui constituent la majorité de mes clients, continuent. Et puis, la crise actuelle a vu apparaître une nouvelle forme de criminalité : les infractions aux mesures contre le Covid", souligne-t-elle. Caroline Heymans est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
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- Publié le 11-07-2020 à 11h44
- Mis à jour le 27-08-2021 à 13h50
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Pourquoi avoir opté pour le pénal ?
Depuis toute jeune, je suis attirée par cette matière. Je lisais des romans policiers, de psychologie, des récits de vie d'anciens délinquants. J'ignorais si je voulais travailler en psychologie, au barreau ou à la police, mais je savais que c'était dans ce domaine-là. Ensuite, j'ai adoré mes cours de droit pénal, j'ai assisté à des cours d'assises et c'est devenu une évidence.
Vous aimez vous plonger dans l'esprit des gens, tenter de comprendre ce qui a guidé leurs actes ?
J'aime comprendre comment ils ont pu arriver à commettre certains faits, comment ils fonctionnent. J'aime aussi voir comment ils évoluent et les accompagner. Parfois, ils sont complètement en marge de la société et je les aide à créer un plan de reclassement. Voir que certains s'en sortent est un bon moteur. Je défends aussi des victimes. Dans ce cas-là, j'ai besoin de comprendre leur douleur pour pouvoir la traduire en paroles au tribunal.
En tant que jeune avocate, vous devez accepter beaucoup de dossiers pro deo ou vous êtes déjà contactée directement par les clients ?
Je ne fais pas énormément de pro deo. Je le pratique pour des personnes détenues car les contraintes administratives sont alors allégées, mais à condition que les clients soient à Bruxelles et que le feeling avec eux soit bon. Autrement, vu les démarches supplémentaires à entreprendre dans le pro deo, c'est trop pesant.
Quand on débute, comment se fait-on un nom ?
J'ai été formée durant quatre ans et demi dans le cabinet de maître de Beco. Je travaillais essentiellement pour lui, mais j'avais aussi un peu de temps pour développer ma propre clientèle. Je suis parfaite bilingue donc je plaide tant en néerlandais qu'en français. C'est un avantage énorme pour une jeune avocate car des confrères tant francophones que néerlandophones me renvoient des dossiers. Après, c'est le bouche-à-oreille qui joue. Quand un client est très content du résultat qu'on a pu obtenir, il le fait savoir à d'autres détenus, à certains de ses amis ou à des gens de son quartier.

Avez-vous déjà pu cerner vos matières de prédilection ?
En droit pénal, je fais de tout : du simple roulage, des stupéfiants, des dossiers de meurtre, des faillites frauduleuses... Ce que j'adore vraiment, c'est le droit de l'exécution des peines.
La circulation routière, est-ce un passage obligatoire pour se lancer ou y trouvez-vous un vrai intérêt ?
La matière peut paraître moins croustillante mais, juridiquement, c'est très intéressant. On peut penser qu'il suffit de reconnaître auprès du juge qu'on a roulé trop vite. Or, il y a beaucoup de procédures à faire valoir devant les juridictions, la matière n'est pas si évidente. Même pour les petites infractions, il est possible de faire passer un client entre les mailles du filet en jouant de la procédure.
En trouvant des failles de procédure, certains avocats parviennent à faire libérer des clients dangereux. Etes-vous prête à cela ?
Tout à fait. Ça peut être mal compris par l'opinion publique, mais la procédure fait entièrement partie de notre métier. Il faut lire chaque ligne du dossier, être créatif, chercher la faille et défendre son client jusqu'au bout.
Accepteriez-vous de défendre tout type de clients, que ce soit un terroriste, un pédophile... ?
Je n'ai aucun a priori. Ce qui m'importe, c'est le bon feeling avec le client, peu importe les faits commis. Je tiens à tous les rencontrer, à établir un lien de confiance, voire même à avoir de l'affection envers certains. Si le contact ne passe pas ou si la confiance n'est pas présente, je préfère recommander au client d'aller voir un autre avocat, mais c'est vraiment exceptionnel.

Si un client tente de vous embobiner dans ses explications, comment réagissez-vous ?
Un client n'est pas obligé de me dire la vérité. Lors de la première rencontre, je le laisse me raconter son histoire, aussi invraisemblable qu'elle puisse paraître. Si, à la lecture du dossier, je me rends compte que ce n'est pas crédible, je vais le confronter à cette version et voir si nous parvenons à nous mettre d'accord sur l'approche. Car si je vois des incohérences, le juge les verra aussi...
Est-ce plus difficile de percer dans l'univers pénal quand on est une femme ?
Oui, c'est plus difficile. Parmi les pénalistes renommés, le ratio de femmes est clairement inférieur. Je trouve que les hommes ont aussi une voix qui porte plus, une façon de plaider qui est plus spectaculaire. Mais ce n'est pas un obstacle, percer est loin d'être impossible pour une femme. Les avocates parviennent à formuler certains aspects différemment. Ce qui compte, c'est l'ambition, la motivation, la force de travail, la passion. L'humilité aussi.
Est-ce un milieu machiste ?
C'est ce qu'on entend. C'est surtout, tant pour les hommes que les femmes, un milieu avec beaucoup d'ego.
La concurrence entre pénalistes est-elle forte ?
Forte, je ne dirais pas, mais elle est très particulière. Les pénalistes se voient quotidiennement au palais de justice. On est parfois adversaire et parfois du même côté. On boit parfois des cafés ensemble en attendant les audiences et on finit par bien se connaître. La concurrence existe mais elle n'est pas pesante. Il y a de la solidarité, de la bonne entente. C'est mon point de vue actuel, on verra comment cela évolue avec les années...
Vous avez ouvert votre propre cabinet. Est-ce un pari risqué ?
Etre indépendant est forcément risqué, mais j'ai l'avantage d'être bilingue, de plaider partout en Belgique et travailler énormément ne m'effraye pas, donc je sais que les dossiers vont continuer de rentrer.