Un passager meurt dans une cellule de l'aéroport de Charleroi: l’attitude des policiers et des médecins pose question
Dans son rapport, l’expert décrit que sur base des images, un des policiers s’est assis de tout son poids sur la cage thoracique de la victime pendant seize minutes.
Publié le 19-08-2020 à 12h41 - Mis à jour le 20-08-2020 à 09h49
Une avocate alostoise, Ann Van de Steen, réclame une nouvelle enquête sur la mort de Jozef Chovanec. Cet homme de 38 ans est décédé en février 2018 après avoir été arrêté à l’aéroport de Charleroi. Selon des images de surveillance, retrouvées par nos confrères de Het Laatste Nieuws, il apparaît que des policiers sont restés assis pendant plusieurs minutes sur l’homme agonisant. L’un d’eux faisait même le salut hitlérien.
Jozef Chovanec était un homme sans reproches au casier judiciaire vierge. Jusqu’à ce jour de février 2018 où il a bousculé un collaborateur de l’aéroport de Charleroi et est monté à bord d’un avion sans présenter de carte d’embarquement. L’homme fut débarqué et enfermé dans une cellule de l’aéroport. Un docteur appelé en urgence n’a pas fait d’objection à ce qu’il y passe la nuit. "Pupilles dilatées. Peut-être la drogue ou l’alcool", a-t-il déclaré à la police mais sans procéder à un test. L’autopsie démontrera que Jozef Chovanec n’était pas sous influence.
Durant la nuit, plusieurs incidents se sont produits dans la cellule. La police y pénétrera après que l’homme aura frappé sa tête jusqu’au sang contre le mur. Selon les images de surveillance, six policiers se trouvaient à côté et au-dessus du Slovaque. D’après le rapport d’un médecin, un inspecteur s’est assis pendant seize minutes de tout son poids sur la cage thoracique du malheureux.

Entre-temps, une couverture avait été disposée sur son visage. Les images montrent des policiers hilares, l’une occupée à danser et faisant le salut nazi. La victime fut transportée au matin à l’hôpital où elle décédera. Son épouse Henrieta, 40 ans, se pose des questions sur l’intervention de la police et l’enquête qui a été menée. "Rien n’a pratiquement été fait. Comme si la justice ne voulait pas savoir ce qui avait provoqué la mort de mon mari. Moi, oui, parce que notre petite fille de 5 ans me demande sans cesse pourquoi son papa ne vit plus."
Jozef Chovanec faisait depuis des années la navette entre la Slovaquie et la Belgique. Il était le patron d’une société qui mettait des ouvriers slovaques à disposition d’entreprises du bâtiment en Belgique.
Ce vendredi 24 février 2018, il avait appelé sa femme pour savoir si elle pouvait venir le chercher le soir à l’aéroport de Bratislava. "Je me vois encore l’attendre dans le hall d’arrivée avec Lucia dans mes bras. Elle avait alors 2 ans et demi. Des centaines de passagers sont sortis devant nous. Mais pas Josef."
Henrieta ne trouvait pas cela normal. Son mari n’avait jamais raté son avion durant toutes ces années. "Je l’ai appelé aussi bien sur son numéro slovaque que belge. Pas de réponse."
Elle se hâte alors vers le check-in. Est-ce que son mari a bien embarqué à Charleroi ? Réponse : "Nous ne pouvons rien dire, madame. C’est privé. Désolé."
Prise de panique, elle appelle le frère de Jozef et deux connaissances qui travaillaient aussi en Belgique. Pouvaient-ils s’informer à l’aéroport de Charleroi ? Peu avant minuit, ils la rappelaient. "Selon la police, Jozef a été arrêté."
"Arrêté, répète-t-elle encore aujourd’hui, comme si elle ne pouvait toujours pas y croire. Ce n’était jamais arrivé auparavant. Jozef n’avait jamais eu aucun problème."

Les trois hommes n’ont pas pu voir Jozef. Selon la police, il dormait. Mais sa famille et ses amis pouvaient être rassurés. Le lendemain, il serait remis en liberté.
On apprendra plus tard que Chovanec avait bousculé un employé de l’aéroport et était monté dans l’avion sans montrer de ticket. Selon l’équipage, il paraissait nerveux. Ils ont craint des problèmes et l’ont conduit hors de l’appareil. Lorsque la police arriva sur le tarmac, il s’est rebellé. Il a même fait dans son pantalon. On découvrira plus tard que son ticket se trouvait dans la poche de sa veste.
Cette nuit-là, Henrieta n’a pas fermé l’œil. Elle était déjà debout depuis longtemps lorsque son téléphone retentit. C’était son beau-frère. La police l’avait appelé. Elle demandait que Henrieta la contacte sur le numéro de Jozef. L’explication : "Jozef n’allait pas bien. Il était dans un état critique."
Henrieta appela le numéro de son mari et tomba sur un policier francophone "qui parlait très mal anglais. Il m’a expliqué que Jozef était entre la vie et la mort dans un hôpital de Charleroi".
Aussitôt, Henrieta partit en voiture vers la Belgique avec ses beaux-parents et sa fille. Après 14 heures de route et 1 200 km, elle arriva à Anvers où elle avait habité avec son mari quelques mois auparavant. "De là, nous nous sommes rendus aussi vite que possible à l’hôpital Marie Curie à Charleroi. Jozef était relié à toutes sortes de machines. Sa tête pendait, son visage était bleu et il y avait des tuyaux dans son nez. Lucia m’a demandé : ‘Il dort papa ?’"
Henrieta s’interrompt. Des larmes coulent sur ses joues. "Le médecin nous a dit que Jozef ne réagissait plus. Il pensait qu’il était en état de mort cérébrale. Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. C’est comme si Jozef avait reçu une série de coups violents."
Le jour suivant, son mari décédait à l’hôpital.
Henrieta Chovanec a porté plainte contre inconnu auprès du parquet de Charleroi. "Mais après deux ans et demi, les enquêteurs ne sont encore nulle part, soupire-t-elle. Un médecin légiste pense que mon mari est mort parce qu’il a cogné sa tête contre les murs. Il parle d’un œdème cérébral. Mais sur l’intervention policière ? Aucun mot. Pourquoi n’a-t-on pas au minimum fait une enquête ?"
Au sujet du rapport du médecin qui a examiné Jozef à l’aéroport, il apparaît qu’il l’aurait simplement interrogé à travers l’ouverture de la porte. Le médecin avait été appelé à 20 h 05 mais suite à un malentendu, il n’est arrivé qu’à 23 h 25 après avoir examiné six autres patients.
Deux heures plus tard, du bruit s’échappait de la cellule. Il est 1 h 25 du matin. Jozef frappe et cogne contre la porte. Deux policiers entrent pour le calmer. Selon eux, l’homme s’excuse. Il retourne sur son lit mais les caméras montrent des images d’un homme confus. Il s’habille puis se déshabille, il saute dans sa cellule, boxe dans l’air et semble chanter - la caméra capte seulement les images, pas le son.
Les agents interviennent à nouveau. Chovanec demande un verre d’eau. Deux heures plus tard, nouveau tapage. Sur les images, on voit que Chovanec se cogne la tête contre les murs jusqu’au sang. Les policiers interviennent, le poussent sur le lit et lui attachent les mains et les chevilles avec des liens. Il semble se calmer.
Lorsque les pompiers et les ambulanciers arrivent, Chovanec se rebelle à nouveau et brise les liens de ses chevilles. C’est alors que six inspecteurs de la police fédérale font irruption dans la cellule. Cinq s’asseyent au-dessus de l’homme afin de le maîtriser. Le sixième doit, comme le règlement le prescrit, surveiller son visage en permanence. Il doit vérifier qu’il respire encore.
À un certain moment, un des inspecteurs jette un drap bleu sur le visage de l’homme. "Pour le calmer", dira-t-il.
Entre-temps, une policière danse et effectue un salut hitlérien !
Lors de l’intervention du service médical d’urgence, Chovanec reçoit un calmant. On lui procure aussi une réanimation cardiaque sur le lit puis dans le couloir, en dehors du champ des caméras. À 5 h 29, il est réanimé et est transféré à l’hôpital.
"Vraiment, je ne reconnais pas mon mari sur ces images, réagit Henrieta. Je peux seulement imaginer qu’il a eu une espèce de psychose et qu’il voulait à tout prix sortir de la cellule. Pourquoi Jozef se serait-il fait du mal ?"
C’est surtout l’attitude des policiers et des médecins qui révolte Henrieta. "Ils rient à gorge déployée. Le plaisir se voit sur leur visage alors que mon homme est en train de mourir à côté d’eux. Est-ce que ce n’est pas le rôle de la police d’aider les gens ?"
Comme l’enquête était pour ainsi dire au point mort, les avocates Ann Van de Steen et Leroy Lievens ont demandé à plusieurs reprises des devoirs d’enquête au juge d’instruction de Charleroi.
Elles ont également engagé une contre-expertise médicale. Celle-ci laisse entendre une violence policière. La respiration de Chovanec aurait été comprimée "longuement, sérieusement et de manière excessive".
Dans son rapport, l’expert décrit que sur base des images, un des policiers s’est assis de tout son poids sur la cage thoracique de la victime pendant seize minutes.
À certains moments, d’autres collègues font pareil. L’expert conclut aussi que le drap sur la figure de Jozef Chovanec aurait pu boucher ses voies respiratoires. Sa conclusion : l’intervention policière a provoqué plus que probablement une situation qui a facilité une perturbation fatale du rythme cardiaque.
Les inspecteurs en cause ont été interrogés. Ils disent qu’ils n’ont pas eu d’autre choix. "Parce qu’il continuait à résister." Selon eux, c’était également pour sa propre sécurité. "Le sol de la cellule est en béton. Sans quoi, il aurait pu tomber de son lit et se faire mal."
Pourquoi la police a-t-elle attendu si longtemps avant de donner l’alarme ? "Parce que le premier docteur avait dit que l’homme prenait probablement de la drogue et qu’il allait se calmer petit à petit."
"Je ne veux plus me taire, dit Henrieta. Je veux que le plus de gens possible voient ces images terribles et que l’on enquête sur la cause de la mort. Lorsque j’ai vu les images terribles de George Floyd, mort étouffé lors d’une interpellation policière aux États-Unis, j’ai tout de suite pensé à mon mari."
Son avocate Ann Van de Steen comprend la frustration de sa cliente. "Cette femme est entièrement brisée. Elle ne désire pas de vengeance, pas d’argent. Elle veut rétablir son honneur. Ce dossier révèle des fautes commises à la fois par les intervenants mais aussi par les enquêteurs. Car il est évident que cette affaire n’a pas été traitée jusqu’à présent avec le sérieux qu’elle mérite."
L’avocate réclame qu’un nouveau juge d’instruction soit désigné. Ce sera à la chambre des mises en accusation de Mons d’en décider.
Henrieta : "Je veux une peine adaptée pour les gens qui sont responsables de la mort de mon mari. Pourquoi ne l’ont-ils pas aidé ? Pourquoi l’ont-ils maintenu si longtemps sous leur contrainte alors qu’il ne pouvait plus bouger depuis de longues minutes ?"
Elle ne réclame pas de prison pour les éventuels coupables. "Cela ne fera pas revenir Jozef. Et je ne suis pas favorable au principe œil pour œil, dent pour dent. Mais j’estime que chacun doit faire son travail selon les règles. Autrement, ces gens doivent être écartés de leur poste. Je trouve que ce serait une bonne décision."
Sauf erreur, les policiers concernés sont toujours en service. Parce que l’enquête est en cours, la police fédérale ne fait pas de commentaire. "Sitôt après les faits, nous avons pris une série de mesures internes. Cela se traduit entre autres par le rappel des règles internes ainsi que des débriefings", explique la porte-parole Sarah Frederickx à nos confrères du Laatste Nieuws. Elle insiste sur le fait que la police fédérale attend elle aussi les résultats de l’enquête.
Henrieta veut encore mettre les points sur les i. "Mon mari n’était pas le bagarreur que la police essaye de décrire. Jozef n’était tout simplement pas lui-même ce soir-là. Il avait juste besoin d’aide."