Anne Gruwez : “J’espère qu’on aura un ministre avec un peu plus de respect pour la justice”
La juge d’instruction bruxelloise a publié un livre qui, quatre jours après sa sortie, suscite déjà la critique. Anne Gruwez se dit ouverte à la discussion, mais refuse de débattre avec ce qu’elle nomme les “terroristes des idées”. Après "Ni juge, ni soumise", c'est un ouvrage intitulé "Tais-toi" qui la relance dans l'arène médiatique. Mais la juge d'instruction accepte également de commenter l'actualité politique du moment et évoque, par exemple, le départ de Koen Geens (CD&V), ministre de la justice sortant.
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Publié le 29-09-2020 à 08h44 - Mis à jour le 30-04-2021 à 09h21
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Tais-toi ! C’est le titre de l’ouvrage rédigé par Anne Gruwez, juge d’instruction bruxelloise qu’on ne présente plus. Un livre paru le 26 septembre, mais qui fait déjà beaucoup réagir.
“Faire parler avec un livre qui s’appelle Tais-toi !, fallait le faire”, ironise la juge qui explique, pour sa part, que cette injonction au silence lui a trop souvent été répétée. “Peut-être que je parle un peu trop, certes, que je dois la fermer un peu. Alors je me dis parfois, à moi-même : ‘Anne, tais-toi’. Mais je sais aussi que le silence et l’écoute sont importants, surtout pour nous, juges. Nous nous devons d’écouter d’abord, c’est peut-être un peu pour ça aussi que je suis restée longtemps sans rien dire”, explique Anne Gruwez, qui réfléchit en levant les yeux au ciel.
“Si je choque, je l’assume”
Mais aujourd’hui, elle ne veut plus se taire et a choisi d’écrire pour raconter sa vision de la justice, son expérience de terrain, mais aussi et surtout son rapport avec le justiciable. Un récit qu’Anne Gruwez propose, à sa sauce, sans le moindre filtre. Avec une volonté de choquer ? “La réalité est ce qu’elle est, cela ne choquera pas, sauf peut-être ceux qui veulent voir uniquement ce qu’ils ont envie de voir”, tacle la juge d’instruction, visant, de façon à peine voilée, ses potentiels détracteurs. Elle ne voit d’ailleurs pas en quoi ses propos sont choquants, “mais si c’est le cas, j’assume”, s’exclame Anne Gruwez, qui n’en est pas à son coup d’essai en la matière.
Consanguinité et féminicide tabous
En 2017, elle avait marqué les esprits dans le film documentaire "Ni juge, ni soumise". Depuis, elle sait que sa notoriété médiatique dérange. Pour son côté excentrique, mais aussi pour l’image de la justice qu’elle laisse transparaître. Si le film a fait débat, elle dit, aujourd’hui, assumer seule la sortie de son livre, sorte de continuité du documentaire.
Les thématiques traitées dans son livre ressemblent d’ailleurs à celles entendues dans le film. Parmi ces thèmes, deux sujets qu’Anne Gruwez considère comme tabous, mais qui, selon elle, doivent être évoqués sans détour : la consanguinité, d’une part, et l’épineuse question du féminicide, d’autre part. “Concernant la consanguinité, sans entrer dans le détail, je peux vous dire que j’ai rencontré, en tant que juge d’instruction, des personnes qui m’ont clairement fait réfléchir. Mais qu’on soit bien d’accord, je ne dis pas qu’il faille rechercher un gène du crime, on n’en n’est pas là. Mais il faut attirer l’attention sur la prudence qui est de mise dans ces mariages”, explique Anne Gruwez, qui dit ne pas vouloir aller plus loin.
Quid du féminicide ? “J’ai l’impression qu’on veut inscrire le féminicide dans le Code pénal simplement pour faire plaisir. À ce rythme-là, une femme qui tue son mari, on appellera ça comment, un virilicide ? Moi, je revendique l’égalité des genres, même dans la mort.”
“On veut déshumaniser la justice”
Avant de conclure l’entretien, la juge d’instruction ne manque pas de commenter l’actualité, notamment le départ annoncé de Koen Geens (CD&V), qui ne sera pas le prochain ministre de la Justice. “J’espère qu’on aura un ministre qui aura un peu plus de respect pour la justice qui est en lambeaux, avec des palais qui s’effondrent. Mais en attendant, on continue de construire une méga-prison à Haren qu’on préfère parachever, alors qu’on sait que l’idée est néfaste. En fait, on veut réformer sans débattre. Voyez ce qui se dit sur la fonction du juge d’instruction qu’on veut transformer en juge de l’instruction. Pour finir avec quoi ? Un système où les justiciables seront des numéros qu’ils vont devoir tatouer sur leur bras pour ne pas l’oublier. Tiens, cela me fait penser à quelque chose ça…”, conclut Anne Gruwez, sur ce ton provocateur qu’elle affectionne tant.