Vanessa Matz: "Ce projet de loi donne des armes supplémentaires aux réseaux et aux proxénètes pour exploiter les victimes"
Le projet de Code pénal sexuel sort la prostitution de la zone grise : le débat au Parlement promet d'être chaud
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/e1f8177e-056d-41d8-a580-f7ba8ebc507b.png)
Publié le 21-09-2021 à 06h37 - Mis à jour le 21-09-2021 à 08h16
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/OXI2WWJ5ZBFUZO3QBLBBB7PIHI.jpg)
Vous dézinguez le chapitre prostitution du projet de loi… Pourquoi ?
Il y a un déséquilibre terrible dans le texte. Il est très en pointe sur la protection des victimes, sur les questions de consentement et d’inceste, mais, ensuite, sur le volet prostitution, on le déforce en ouvrant la voie à de potentielles situations d’exploitation.
Où réside la faiblesse ?
L'idée de départ du projet, c'était de prendre en considération la situation des femmes qui se prostituent de manière consentante. Ils ont raison : il faut en tenir compte. Mais, selon l'Onu, cela concerne 5 % des situations de prostitution. Pour la Belgique, les derniers chiffres qu'on parvient à trouver, produits en 2014 quand Joëlle Milquet (CDH - NdlR) était ministre de l'Égalité des chances, évoquent plutôt 80 à 90 % de situations où ce n'est pas de leur pleine volonté que les personnes décident de se prostituer. Faut-il détricoter une législation pour ces situations-là et risquer de mettre en fragilité celles qui sont déjà exploitées ?
Le projet de loi définit et punit pourtant le proxénétisme. Pourquoi les prostituées exploitées seraient-elles mises en difficulté ?
La définition est très cadrée, très restrictive, et liée à un article consacré à la recherche d’un avantage anormal pour la prostitution d’une autre personne. Tout ce qui n’est pas prévu dans ce cadre n’est pas interdit, et donc permis, ce qui ouvre un terrible champ des possibles. Prenez la prostitution de luxe, à 400 euros de l’heure, dont on sait qu’elle est aux mains des réseaux. On vous dira qu’il y a la chambre, les beaux draps, le jacuzzi, le champagne… Ce sera difficile de démontrer que l’avantage est anormal et qu’il y a un réseau derrière. On complique le travail des policiers et des magistrats.
Il ne fallait pas légiférer ?
Il y a, d’un côté, des féministes qui disent que la prostitution, dans toutes ses formes, c’est de l’exploitation et qu’il faut l’interdire. De l’autre, il y a ceux qui veulent qu’on légifère pour permettre à celles qui exercent de travailler dans de bonnes conditions. Je suis sur une voie médiane. Il faut garder des dispositions ultra-fortes pour combattre l’exploitation et la traite. Mais il faut aussi permettre que celles qui se prostituent librement le fassent dans des conditions optimales, avec des droits au chômage, aux soins de santé, à la sécurité sociale… Mais on se trompe en passant par le droit pénal !
Vous dites que cela doit plutôt être réglé par le droit social.
Oui. Le constat est bon, mais on se trompe de réponse. On pourrait trouver un statut social au sein de la sécu pour rencontrer cette légitime préoccupation sans fragiliser le système de lutte contre l’exploitation et la traite. On assouplit tellement le droit pénal qu’on va peut-être régler la situation de celles qui sont libres et consentantes mais fragiliser terriblement la situation de celles qui ne le sont pas.
Vous pouvez citer un exemple ?
La publicité pour la prostitution est interdite. L’esprit est bon : éviter que des proxénètes mettent des pubs sur Internet. Mais le texte précise tout de suite que, quand on fait de la publicité pour ses propres services à caractère sexuel, ce n’est pas un problème. On sait pourtant très bien que derrière des sites très particuliers, qui répertorient des call-girls se présentant soi-disant elles-mêmes, il y a des réseaux : on retrouve presque toujours les mêmes numéros de téléphone, les mêmes lieux…
Le texte du gouvernement favorise les proxénètes et les réseaux ?
Mais oui ! Ce n’est pas l’intention. Mais le texte ouvre des brèches dans lesquelles les réseaux vont s’engouffrer. C’est la perversité du système ! C’est la même logique pour les Eros Centers, que le projet de loi autorise. C’est bien de vouloir améliorer la situation sanitaire des prostituées, mais, quand vous écoutez les gens de terrain, ils vous disent que les réseaux sont autour de ces Eros Centers. Si les chambres sont plus propres, l’exploitation est la même ! J’ai rencontré les dames de la rue Marnix à Seraing, plus âgées, qui sont dans un schéma volontaire de prostitution et pas dans un cadre d’exploitation. Elles font cela depuis des années, mais ne sont souvent pas choisies et n’ont pas accès à l’Eros Center. On passe de nouveau à côté des réalités de terrain. Ma position n’est pas une position morale, mais de respect et de protection des victimes. Ce projet donne des armes supplémentaires à des proxénètes et à des réseaux pour exploiter les victimes.