"On espère que l’exécution rapide des courtes peines aura un effet dissuasif sur la récidive"
Les condamnés à une peine privative de liberté, même courte, devront bientôt tous être incarcérés. Ce nouveau dispositif va aggraver la surpopulation carcérale. Le patron de l’administration pénitentiaire livre son analyse.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/e1f8177e-056d-41d8-a580-f7ba8ebc507b.png)
Publié le 04-10-2021 à 08h46 - Mis à jour le 04-10-2021 à 09h01
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/FSEOOHQNGVEABGEZO4VH4DWNFA.jpg)
Après 30 ans passés dans l’administration pénitentiaire, dont il est devenu le patron en octobre 2018, Rudy Van De Voorde a une vision à 360 degrés du monde belge des prisons. Criminologue de formation, il a fait un détour par le secteur des soins psychiatriques avant de devenir directeur à Saint-Gilles, à Forest, au centre fermé pour jeunes d’Everberg, à Dendermonde… Il était aussi conseiller pour l’exécution des peines dans la cellule stratégique du précédent ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), qui a voulu rétablir l’exécution des courtes peines de prison.
Après de multiples reports, un nouveau dispositif entrera en vigueur le 1er décembre prochain. Les peines privatives de liberté de trois ans et moins ne seront plus systématiquement transformées en surveillance électronique ; il y aura un passage obligé par la case prison. Ce ne sera plus l’administration pénitentiaire mais un juge de l’application des peines (JAP) qui statuera sur l’exécution de ces peines.
"Mais on ne verra pas le nombre de détenus augmenter brusquement le 1er décembre", précise le directeur général des prisons. Le nouveau régime ne s'appliquera qu'aux condamnations prononcées après cette date. Comme le procureur du Roi dispose d'un délai d'appel de 40 jours avant qu'un jugement devienne définitif, les premiers condamnés à de courtes peines (suivant le nouveau système) entreront physiquement en prison vers la mi-janvier.
"C’est une des grandes inconnues"
Une partie d'entre eux en tout cas, ceux dont la peine dépasse 18 mois de privation de liberté. Les autres, qui écoperont de peines de prison jusqu'à 18 mois, pourront, alors qu'ils sont en liberté, adresser une requête directement au JAP pour subir leur peine de détention sous forme de surveillance électronique ou de semi-détention. "Mais il faut en faire la demande et il faut qu'elle soit accordée", ajoute Rudy Van De Voorde.
Cette possibilité reste donc jusqu'ici très théorique. "C'est une des grandes inconnues. Quelle politique les juges de l'application des peines vont-ils mener face à des délinquants récemment condamnés à une peine d'emprisonnement, voulue par le juge professionnel ? Vont-ils, quelques semaines ou mois plus tard, déjà la transformer en surveillance électronique ? D'autant que la surveillance électronique peut déjà être infligée comme peine en soi par le juge de fond si la condamnation ne dépasse pas un an. Cela aussi va influencer le débat."
La concertation est toujours en cours avec les représentants des communautés et de la magistrature, ajoute le patron de l'administration pénitentiaire. "On ignore encore la vitesse à laquelle les procureurs vont lancer l'exécution de ces courtes peines dans le nouveau système. On réfléchit à la mise en route du dispositif et à la gestion de la capacité."
Quinze maisons de détention prévues
Quoi qu'il en soit, mécaniquement, la population carcérale va (encore) gonfler. Le projet du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), est de créer des places dans des maisons de détention, des prisons à taille plus humaine (entre 40 et 70 détenus), pour éviter d'écrouer "les courtes peines" dans les établissements pénitentiaires classiques. À terme, 720 places sont prévues, réparties dans quinze maisons de détention (une au moins par province). "On espère que les deux premières maisons de détention pourront ouvrir cette année, dans deux provinces. Quatre autres sont prévues pour la mi-2022 et neuf en 2023."
Mais, dans un premier temps, il n'y aura pas de place pour tout le monde en maison de détention. "Le degré de surpopulation va augmenter pendant un certain temps dans les prisons existantes, c'est clair", acquiesce Rudy Van De Voorde.
Dès le premier jour de détention
N'aurait-il pas fallu procéder à l'envers en commençant par résorber cette surpopulation ? "Si on suit cette logique, et qu'on veut d'abord arriver au nombre idéal de places, avec un seul détenu par cellule, on risque encore de reporter l'application de la loi d'exécution des courtes peines de dix ans ! Tout le monde connaît les problèmes en Belgique pour créer de la capacité carcérale. On va ouvrir l'an prochain la nouvelle prison de Haren qui était censée être opérationnelle en 2013. Les plaintes et les recours ont entraîné un retard de dix ans. Parallèlement, dans la société, persiste le sentiment qu'on n'applique pas la loi en ne faisant pas exécuter les courtes peines. Cela hypothèque la crédibilité de la procédure pénale."
L'exécution très rapide d'une courte peine devrait avoir un effet plus dissuasif en matière de récidive, avance le patron de l'administration pénitentiaire. "On espère en tout cas que cela aura cet impact-là. Actuellement, de nombreux détenus sont en prison parce que leur peine de plus de trois ans est en fait un cumul de plusieurs courtes peines. Après avoir été condamnés une fois, puis deux, puis trois… sans avoir dû purger aucune peine, ils ne voient pas l'effet de leur jugement. S'il y a une réaction très rapide de la justice, cela les incitera peut-être à réfléchir et à ne pas repasser à l'acte. À condition bien sûr qu'il y ait un accompagnement, dès le premier jour de détention, qui les incite à changer de disposition d'esprit. Pour que la première incarcération provoque un changement dans leur vie."

“Si on n’écroue pas, c’est comme si on ne taisait rien…”
Pourquoi, malgré l’introduction de nouvelles peines alternatives à la détention, les juges continuent-ils massivement à incarcérer ?
À mon avis, c'est un phénomène sociétal plutôt qu'un problème de juges. La culture de la société est, en soi, assez punitive. C'est le phénomène du law and order (la loi et l'ordre, NdlR) : on est convaincu que, si on a une réaction ferme suite à un délit, cela aura un impact sur la sécurité publique. Les statistiques policières montrent que le nombre de délits diminue depuis des années, mais cela n'a pas d'effet sur le nombre de condamnations criminelles, que ce soit à des peines classiques d'emprisonnement ou à des peines alternatives. C'est un paradoxe.
Les magistrats seraient-ils trop perméables à la pression de la société ?
Ils ne travaillent pas en dehors du cadre légal, mais ce sont des êtres humains. À mon avis, si vous interrogez les gens dans la rue, la plupart estiment que, si on n’écroue pas l’auteur d’un délit, c’est comme si on ne faisait rien. On réduit la réaction de la justice à : la prison ou pas la prison. Tout ce qui existe à côté n’est pas considéré comme une vraie réaction. C’est une évolution très difficile à retourner.
Comment expliquer cette évolution ?
Je pense que c’est parce que la notion de sécurité a pris une place très importante dans notre vie. Le mot "sécurité" n’est plus seulement associé à la justice, mais il s’est infiltré dans tous les domaines de notre vie. Le ministre des Transports parle de transport sûr ou de sécurité des navetteurs ; celui de la Santé publique, de sécurité sanitaire ou alimentaire… Chaque citoyen attend chaque jour et partout de la sécurité. Dès qu’il arrive quelque chose qui ne lui convient pas ou qu’il n’aime pas, il se sent en insécurité.
D’où un recours accru à la justice ?
Après un malheur ou un accident, on fait en effet de plus en plus appel à des procédures pénales pour faire condamner des gens parce qu’on ne voit que cette réaction-là comme adéquate. Il y a eu de nouvelles criminalisations dans le Code pénal. Ce qui était jusqu’à il y a quinze ou vingt ans un accident de roulage est devenu aujourd’hui une prévention de coups et blessures volontaires, voire de tentative d’assassinat. Idem pour les infractions écologiques : il y a vingt ans, tout le monde jetait ses saletés et on s’en fichait. Aujourd’hui, on peut être écroué pour cela. D’autres matières, comme l’avortement, ont été dépénalisées. Le ministre de la Justice plaide pour sanctionner certains délits par d’autres choses que l’emprisonnement. C’est très bien, mais l’évolution dans l’autre sens est encore beaucoup trop forte. Tant que cette balance ne s’inversera pas, la surpopulation carcérale ne diminuera pas.
Sur les 10 000 personnes incarcérées, combien représentent un danger sérieux ?
Je recours toujours à l’axiome de Pareto : 20 % des gens provoquent 80 % des problèmes, et 80 % des gens créent 20 % des problèmes. C’est la même chose avec nos détenus. Je vous donne un exemple anecdotique : en août 2006, 26 détenus se sont évadés de Termonde pendant la nuit. C’est un nombre important, mais il y en a un autre, tout aussi marquant : 160 autres détenus, qui avaient la possibilité de suivre, ont choisi de rester.
Pour la majorité de détenus qui ne poseraient pas de problème de sécurité à l’extérieur, on pourrait appliquer d’autres sanctions que l’incarcération, non ?
Comparaison n’est pas raison, mais, quand on a réformé la loi sur l’internement, on estimait aussi qu’on internait trop. Au début de ma carrière, j’ai vu des gens se faire interner après avoir volé une bouteille de whisky. La dernière loi limite le champ d’application de l’internement à des délits vis-à-vis de l’intégrité d’une tierce personne. On ne peut plus envoyer quelqu’un en défense sociale pour des délits banals - je mets des parenthèses -, comme un vol simple. Peut-être faut-il faire aujourd’hui le même exercice avec le Code pénal. C’est-à-dire parcourir le catalogue des délits en évaluant précisément pour chacun d’eux si la privation de liberté est, ou non, la meilleure sanction. Cela mérite un vaste débat parlementaire.
1er décembre. À partir de cette date, des juges de l’application des peines (JAP) devront statuer sur l’exécution des peines de prison jusqu’à trois ans. Tous les condamnés seront incarcérés. Jusqu’ici, ils étaient placés sous surveillance électronique. Mi-janvier 2022. Les premiers condamnés sous ce nouveau régime entreront en prison vers la mi-janvier 2022, quand le jugement sera définitif, au terme du délai d’appel de 40 jours du procureur du Roi.