Croquis de justice: "Être le pire des criminels ne fait pas de vous le pire des papas"
Une jeune femme s’oppose à sa condamnation dans une affaire de garde d’enfant.
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- Publié le 21-11-2021 à 08h00
- Mis à jour le 14-01-2022 à 00h59
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Emmitouflée dans un pull en laine si large qu’il laisse à peine entrevoir ses mains et son visage, Djemila* attend patiemment son tour. Installée dans le fond de la salle d’audience, elle écoute passivement les raisons qui poussent d’autres justiciables venus, comme elle, récuser une décision de justice.
Ceux qui la précèdent contestent des faits de vol, de blanchiment d’argent ou encore de coups et blessures. Djemila, elle, a été condamnée pour ne pas avoir permis à Zlatan*, son ex-mari, de voir Nour*, leur petite fille née d’un bref mariage, où l’amour a très vite laissé place aux tumultes, aux bagarres et aux insultes.
Mariés en 2012, ils se séparent en 2014 avant de divorcer en 2015. Les anciens amoureux ne veulent plus se voir, mais ils doivent trouver une solution pour que Nour, née en 2013, puisse voir à la fois papa et maman. Un accord est trouvé et stipule que la fillette sera remise à son père un samedi sur deux et quelques jours par semaine. Le lieu fixé pour déposer l’enfant fait également l’objet d’un accord, à savoir devant un commissariat de police. C’est que Zlatan n’a pas de domicile fixe, il fallait donc trouver un point de rendez-vous sûr.
L’accord est scellé par les deux parties, sauf que Djemila n’en fera rien. Vingt notifications lui seront transmises pour l’appeler à respecter l’accord. Sans succès. Nour ne verra plus son papa pendant deux ans. Zlatan porte l’affaire en justice et Djemila sera condamnée. Elle ne conteste pas les faits reprochés, mais, condamnée par défaut, elle veut faire opposition. Et s’expliquer.
Kidnapping d’un jour
"Votre honneur, j'ai voulu défendre ma fille. Mon ex-mari est dangereux, il a même voulu kidnapper la petite. C'est un homme violent, instable. Oui, je n'ai pas respecté l'accord, mais c'est pour protéger mon enfant. Il n'avait pas de vrai travail, sa situation était instable. À un moment, il n'avait même plus de droit de séjour en Belgique, il n'avait plus de papiers à cause d'une histoire de tentative de meurtre. Ce n'est pas rien, votre honneur", martèle la jeune femme.
L’avocat général écoute attentivement avant d’interroger Djemila.
"Signalons tout d’abord que cette histoire de tentative de meurtre concerne une autre personne et a donné lieu à un acquittement de Monsieur. Mais vous évoquez une histoire de kidnapping. De quoi s’agit-il ?
- C'est que, un jour, Zlatan a pris la petite. Il est parti, comme ça, en voiture, direction la Serbie.
- Et votre fille, vous l'avez revue quand ?
- En fait, le kidnapping a duré un jour. Mais je suis certaine que c'est juste parce que la police lui a fait peur, parce qu'il y avait un mandat d'arrêt international, votre honneur."
"Vous ne respectez pas la justice"
Juges et avocats se regardent d'un air circonspect. "Ce que vous qualifiez, de vos mots, comme étant un kidnapping n'a pas été pris en compte comme tel par la justice. Et il a eu lieu avant que l'accord qui nous préoccupe ici soit conclu. Quoi qu'il en soit, madame, nous entendons votre histoire, mais nous souhaitons vous rappeler quelque chose d'important : vous avez signé un accord fait dans votre intérêt et dans celui de votre fille. Mais vous ne l'avez pas respecté. Vous aviez la possibilité d'évoquer vos craintes. D'ailleurs, un premier accord existait, il ne convenait pas et un autre accord a été conclu. Cela semblait vous convenir puisque vous ne vous y êtes pas opposée. Mais vous ne l'avez pas respecté. Et en bafouant cet accord, vous ne respectez pas la justice. Comprenez-vous cela ?", interroge le président de la cour.
"J'ai signé, mais j'avais pas compris ce qui était écrit", se défend Djemila. "Vous étiez accompagnée de votre conseil, cette justification ne tient pas", rétorque le juge, en fronçant les sourcils.
Face au désarroi de Djemila, la cour invite son avocat à prendre la parole. "Ma cliente a vécu une relation traumatisante, son compagnon la frappait notamment durant sa grossesse. Certes, elle n'a pas respecté un accord, mais son attitude a été dictée par la peur. Je vous demande de prendre cela en considération et je plaide donc une suspension du prononcé."
L'avocat général réplique pour clore le débat. "On l'oublie souvent, mais un enfant a autant besoin de son papa que de sa maman. Un couple qui dysfonctionne doit tenter de préserver les intérêts de l'enfant. Permettez-moi d'ajouter ceci : ce n'est pas parce qu'une personne n'a pas de droit de séjour qu'elle n'a pas le droit de voir son enfant. De plus, être le pire des criminels ne fait pas forcément de vous le pire des papas. Objectivement, dans l'affaire qui nous préoccupe ici, votre fille n'a jamais été mise en danger par son père. Je constate toutefois que, depuis que Zlatan a été régularisé, il ne fait plus de démarche pour voir Nour."
Et de conclure : "Quant aux sanctions, je ne m'oppose pas à la suspension du prononcé, il y a déjà eu beaucoup trop de dégâts dans cette histoire. Mais n'oubliez jamais : en toutes circonstances, un enfant aura toujours besoin de ses parents. De ses deux parents."
La cour a pris l’affaire en délibéré. Elle se prononcera le 15 décembre.
* Il s’agit de prénoms d’emprunt.