Les interprètes jurés sortent de l’ombre et dénoncent leurs conditions de travail
Certaines prestations peuvent être facturées à la minute. Les tarifs sont parfois ridiculement bas.
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Publié le 21-12-2022 à 13h44
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Ils sont dans l’ombre. On parle rarement d’eux. Ils sont pourtant une pièce essentielle : sans eux, de nombreuses enquêtes judiciaires ou procès pénaux ne pourraient se tenir. Ces femmes et ces hommes sont interprètes jurés.
Au procès, devant un tribunal, on les voit régulièrement à côté de prévenus qui ne maîtrisent pas la langue française ou néerlandaise. Ils interviennent aussi lors de ce que l’on appelle dans le jargon les “Salduz 4”, à savoir les auditions avec privation de liberté, lorsque le suspect est entendu par la police en présence d’un avocat, avant d’être éventuellement présenté au juge d’instruction.
Et, pour de telles interventions, il n’y a pas d’heure : cela peut être le week-end, la nuit, un jour férié. En 2013 déjà, 23 % des personnes entendues en Salduz 4 avaient besoin d’un interprète. Il n’y aurait pas de chiffres plus récents.
”Nous sommes un élément indispensable dans la machine judiciaire dans un état de droit. Les conditions ne nous permettent pas de travailler dans des bonnes conditions et à des conditions financières dignes", relève Amal Boualga, présidente de l’Union professionnelle des traducteurs et interprètes jurés (UPTIJ).
L’UPTIJ, est l’organisation la plus représentative des traducteurs interprètes jurés. Elle compte 250 membres.
Ces interprètes ont fait connaître leurs doléances à l’occasion du procès des attentats devant la cour d’assises, écrivant à sa présidente, qui a lu leur texte à l’audience il y a une dizaine de jours : pas d’accès à un local de repos, heures prestées calculées à la minute près, pauses déduites. Pour les victimes, ce procès historique est en effet traduit en néerlandais, anglais, espagnol, arabe et finnois.
Dans sa note de politique générale pour 2022, le ministre de la Justice avait promis une revalorisation pour les interprètes. Or, les crédits prévus pour les frais de justice pour 2023 seront de 98 millions alors qu’ils étaient de 103 millions en 2022, note Henri Boghe, secrétaire général de l’UPTIJ.
Quelle autre profession - intellectuelle de surcroît - est facturée à la minute?
Pas de quoi relever les tarifs des prestations des interprètes qui, dénoncent Mme Boualga et M. Boghe, sont ridiculement bas. Ils se décomposent en deux parties : l’attente ou l’annulation (37,38 euros l’heure) et la prestation (52,77 euros l’heure). Ce sont là des montants bruts. Il y a bien des majorations de nuit, mais celle-ci ne débute qu’à 22 h 00.
Mais, comme le note M. Boghe, seule la première prestation d’une journée est facturée pour une heure complète, que cela dure entre cinq minutes et 60 minutes. Au-delà, c’est facturé à la minute. Or, il arrive régulièrement que, pour une deuxième prestation, qui dure, par exemple dix minutes, l’interprète ne touche que 52,77 euros divisés par six.
”Quelle autre profession – intellectuelle de surcroît – est facturée à la minute ?”, ironise M. Boghe.
Impossible de programmer
Les tarifs d’attente et de prestation peuvent paraître corrects. Mais il y a des facteurs que les interprètes ne maîtrisent pas. “Imaginons que nous sommes convoqués devant un tribunal pour une matinée mais que, pour une raison comme l’absence du détenu qui n’a pu être extrait, l’audience ne peut se tenir, nous ne serons payés que pour une heure, voire moins si ce n’est pas la première prestation. Or, nous avons dû bloquer une matinée”, déplore M. Boghe.
Idem pour une audition à la police. “Il y a quelques jours, j’ai été convoqué à la PJF pour ce qui devait être une longue audition durant toute l’après-midi. À 13 h 30, j’étais là. Et après une demi-heure, on me dit que le suspect n’est pas venu. Financièrement, nous sommes le seul maillon pénalisé financièrement”, déplore un interprète, qui compare avec les avocats.
Nous voulons une revalorisation substantielle à hauteur du travail fourni, conclut Mme Boualga, qui note toutefois depuis quelques années, au niveau de la justice, une véritable volonté de modernisation et de professionnalisation. Sans que les moyens suivent.