Procès des attentats de Bruxelles: Smaïl Farisi, vrai naïf et présumé terroriste
Il a loué son studio aux El Bakraoui. Mais il l’assure : il n’a pas décelé leur radicalisation.
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Publié le 30-01-2023 à 18h52
C’est une des incongruités de ces assises qui se penchent sur les attentats du 22 mars 2016 : deux accusés, Smaïl et Ibrahim Farisi, comparaissent libres. Ils peuvent déambuler dans le Justitia et y croisent les victimes de Zaventem et de Maelbeek.
Le rôle d’Ibrahim est limité. Le 23 mars 2016, il a aidé son aîné à nettoyer le studio de ce dernier, d’où étaient partis la veille les terroristes du métro. Smaïl Farisi a longuement côtoyé les terroristes à qui il a prêté son studio entre le 3 octobre 2015 et le 22 mars 2016.
Cela en fait-il un terroriste et coauteur des assassinats ? Le jury devra le dire. Smaïl Farisi le nie. Il a toujours dit n’avoir compris que son logement avait servi aux terroristes qu’au soir du 22 mars 2016.
Un élément est certain. Smaïl Farisi, 38 ans, n’a jamais été radicalisé. En 2015, il connaissait un problème d’alcoolisme. C’est toujours le cas, à en juger par son haleine, son discours pâteux et ses sautes d’humeur devant les assises. Les 20 mois de prison purgés ne l’ont pas désintoxiqué.
De bien intrigantes visites
Un autre élément ne fait pas de doute. C’est un vieil ami d’Ibrahim El Bakraoui, un des kamikazes de Zaventem, fréquenté en secondaire à Ixelles. Ils ont renoué à l’automne 2015, par l’intermédiaire d’Ali El Haddad Asufi, un accusé qui a fréquenté la même école qu’eux.
Depuis février 2015, Farisi louait et était domicilié dans un studio, avenue des Casernes à Etterbeek afin de gonfler ses indemnités de CPAS. Il n’y vivait pas, préférant le confort douillet de la maison parentale. Tout au plus y passait-il la nuit quand, trop ivre, il craignait les colères paternelles.
Smaïl Farisi a vu une opportunité de se faire quelques billets quand El Haddad Asufi lui a parlé d’y héberger Ibrahim El Bakraoui, dont il connaissait le passé de braqueur et qui laissait entendre qu’il était recherché.
Malgré cette “sous-location” à partir d’octobre 2015, Smaïl Farisi est très régulièrement venu à l’appartement, comme en attestent les images des deux caméras de surveillance situées au rez-de-chaussée qu’ont épluchées et minutées les enquêteurs sur une période de six mois.
”Ces visites nous paraissent être bien plus que des visites de courtoisie”, a estimé, lundi, devant la cour d’assises, le chef d’enquête qui a détaillé le volet Farisi. Au total, Smaïl Farisi a ainsi passé 107 heures avec Ibrahim El Bakraoui dans le studio et 62 heures avec Khalid El Bakraoui qui, bien qu’il ne soit pas un intime de Farisi, prendra la place de son frère dans le studio.
Un second élément ne plaide pas pour Smaïl Farisi. Dans un audio, repêché dans l’ordinateur des terroristes, Ibrahim El Bakraoui dans un fichier nommé “fumier” – soit le surnom de Farisi – remercie un homme “pour tout ce que tu as fait pour nous”.
Le 16 mars 2016, six jours avant les attentats, Smaïl Farisi a vu la une de “La Dernière Heure” qui publie les portraits des El Bakraoui, indiquant qu’il s’agit de terroristes recherchés. Mais, à entendre Farisi, Khalid El Bakraoui, dans les yeux duquel il décelait une menace, l’a rassuré, parlant d’une méprise. Farisi n’a pas appelé la police.
Un douloureux retour sur terre
Il est venu plus régulièrement au studio les jours suivants, pour signifier clairement à ses hôtes qu’ils devaient dégager, a-t-il dit. Le 21 mars, Khalid lui aurait promis qu’il partirait le 23 mars. Le 22 mars, les terroristes frappent. Smaïl Farisi reconnaît aux JT du soir les El Bakraoui.
”Le monde s’est écroulé. Mes jambes ont tremblé. C’était le tourbillon”, racontera Smaïl Farisi après son arrestation. Mais il ne prévient pas la police. Il décide d’évacuer son appartement avec l’aide de son frère. “Si j’avais été raisonnable, j’aurais prévenu la police”, expliquera-t-il. Il sera arrêté une quinzaine de jours plus tard quand la police remontera la trace de son studio.