"Gagner la guerre contre la drogue ? Jamais. À Namur, la police est réaliste et gagne plutôt des batailles"
À Namur, la police collabore avec de nombreux partenaires dans sa lutte contre le narcotrafic. Leonardo Di Bari, de l’ASBL Phénix, rend hommage au travail policier, mais estime qu’il y a encore du boulot.
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Publié le 22-03-2023 à 06h35
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”À Namur, il n’y a pas de zone de non-droit, des lieux où la police ne sait pas intervenir. Mais il y a des coins malheureusement réputés pour la vente et la consommation de stupéfiants, explique Peter Huybrechts, commissaire divisionnaire et directeur des opérations de la police de Namur. C’est le cas du parc Louise Marie ou le quartier près de la gare, comme la rue Rogier. Nos patrouilles y sont régulièrement, car là-bas, le deal, ça n’arrête jamais”, confesse le policier.
En empruntant la fameuse artère, il ne faut effectivement pas attendre cinq minutes avant de voir une bande d’individus commercer. Et sans la moindre discrétion. Au point que l’un des vendeurs nous interpelle ouvertement pour savoir si “on veut quelque chose”. “Tant que vous avez du cash, y a de tout”, explique-t-il, tel un bon négociant. On apprendra, au fil de la (très courte) discussion, que ce petit business est plutôt juteux. Surtout si la météo est au rendez-vous. “Aujourd’hui, on pourra espérer 300 à 500 euros, parce qu’il fait beau. Et quand il fait beau, c’est bon pour les affaires”, lance notre interlocuteur. Qui s’en va comme il est venu, sur sa trottinette avec laquelle il arpente la rue, et s’arrête à chaque fois qu’une personne intéressée croise son chemin.
Présence policière accrue et mobile
Interrogée sur le sentiment d’insécurité que de tels trafics suscitent, la gérante d’un magasin situé sur cette même rue réagit avec le sourire : “Vous parlez de ces gars, là-bas ? Ah bah c’est pas compliqué : ils sont là tous les jours”, répond-elle en montrant du doigt la petite bande. “Forcément, notre clientèle a parfois peur, d’autant qu’il arrive que ces gens entrent et suivent nos clientes. Parfois, on nous vole des articles, mais moi je ne vais pas courir après et risquer ma vie pour un vêtement.”
Et une vendeuse d’ajouter : “On a la chance d’avoir deux portes dans la boutique : une côté rue Rogier et une autre côté rue des Dames Blanches. Par sécurité, on prend notre pause cigarette côté Dames Blanches. Un jour, la police a traversé le magasin en entrant par là pour ressortir côté Rogier lors d’une opération qui ciblait sans doute des trafiquants.” La gérante souhaite d’ailleurs saluer la présence policière, qu’elle estime positive. “La police intervient très souvent, peut-être même tous les jours. Franchement, rien à redire à ce niveau-là. Sauf que, bon, quand l’un est interpellé, un autre le remplace très vite”.
Le commissaire Peter Huybrechts confirme que la zone de police a accentué sa mobilisation. “Outre le fait que, depuis novembre 2021, nous avons décidé de communiquer chaque mois pour détailler ce que nous faisons sur le terrain – et atténuer un peu ce sentiment d’insécurité – nos policiers sont plus visibles, que ce soit les patrouilles pédestres, à cheval ou avec le chien spécialisé. On sait que notre présence dérange les criminels, donc nous sommes là, et nous nous déplaçons là où se déplace la criminalité”.
Le commissaire Stéphane Momin, chef du Service Enquêtes&Recherches (SER) à la police de Namur, précise que les collaborations entre les divers pôles de la police portent leurs fruits. “Nous misons sur la transversalité. Nous collaborons régulièrement avec le parquet et nous avons des échanges quotidiens avec les juges d’instruction. Nous comptons aussi sur d’autres partenaires, comme les gardiens de la paix”.
De quoi permettre de gagner cette fameuse “guerre contre la drogue” en Belgique ? “Gagner la guerre contre la drogue ? Jamais. À Namur, la police est réaliste et gagne plutôt des batailles”.
"Nous savons que les Néerlandais présents ont des sortes de listings clients et qu'ils continuent donc leurs petites opérations. Ils vendent 200 à 300 grammes par jour, principalement de la cocaïne et de l'héroïne."
Des dealeurs souvent armés d’un couteau
Contre qui ces batailles sont-elles justement menées ? Quid de la “Dutch Connection”, ce réseau – considéré comme précurseur dans l’import et la vente de drogues dures dans la capitale wallonne – issu des Pays-Bas et qui transitait par Namur dans son commerce de stupéfiants ? Si les personnes qui dirigeaient cette bande sont en prison, les policiers admettent que ce type de réseau ne peut jamais être véritablement démantelé.
”Cela existe toujours, mais de façon moins significative. Nous savons que les Néerlandais présents ont des sortes de listings clients et qu’ils continuent donc leurs petites opérations. Ils vendent 200 à 300 grammes par jour, principalement de la cocaïne et de l’héroïne. Il y a aussi une filière guinéenne très active sur ce marché. Pour le cannabis, il y a également la filière albanaise. Ce qui nous préoccupe aussi, c’est la hausse de l’usage d’armes blanches. Les dealeurs sont souvent armés d’un couteau”, explique le commissaire Peter Huybrechts. Et puis l’autre réalité du trafic de drogues, c’est qu’on est dans une logique de l’offre et de la demande. Si les vendeurs sont là, c’est qu’il y a une demande. Et elle est manifestement importante.”

"Le petit qui vient pour un pétard, c'est du passé. Maintenant, c'est cocaïne, héroïne et surtout kétamine. Nous sommes en train de payer notre lacune dans la prévention des drogues au sein des écoles et des lieux où les jeunes se rencontrent. J'entends la mobilisation de la police, celle de la justice, mais il faut plus."
”On ne pourra pas faire de miracles”
La hausse de la consommation de drogue, Leonardo Di Bari, en sait quelque chose. Le directeur de l’ASBL Phénix – un service d’aide et de soins spécialisés et qui accompagne notamment les personnes confrontées à des problèmes judiciaires liés à une assuétude – parle même “d’explosion des demandes” au sein de son association. “Non seulement, nous avons de plus en plus de personnes, mais en plus, le profil des consommateurs est différent. Avant, le profil classique, c’était la personne au parcours de vie chahuté, ayant perdu le contrôle de sa vie et qui se réfugiait dans la drogue. Aujourd’hui, on a des infirmiers, des fonctionnaires, des ingénieurs, des indépendants, … On est débordés et on est dépassés”, déplore Leonardo Di Bari.
L’ASBL Phénix collabore pourtant de façon constructive avec la police et avec la justice. “Cela se passe extrêmement bien et c’est le cas depuis près de 25 ans. Mais la banalisation de la consommation de drogue est en train de créer une communauté de cocaïnomanes qui risque de devenir ingérable”, prévient-il.
Leonardi Di Bari travaille aussi avec des consommateurs-dealeurs. “Certains essaient de revendre de la drogue même en étant chez nous, mais nous restons fermes. On leur explique que passer la porte de nos locaux, c’est un premier pas vers un mieux, qu’on est là pour les aider dans l’élaboration et l’accompagnement vers un projet de vie sans drogues. Mais, je vais être honnête : j’ai d’énormes craintes, surtout pour les jeunes. Le petit qui vient pour un pétard, c’est du passé. Maintenant, c’est cocaïne, héroïne et surtout kétamine. Nous sommes en train de payer notre lacune dans la prévention des drogues au sein des écoles et des lieux où les jeunes se rencontrent. J’entends la mobilisation de la police, celle de la justice, mais il faut plus. Nous, on continue et notre prochaine cible en termes de sensibilisation, c’est le secteur Horeca. Les cafés, les restos, c’est souvent là que tout commence.”
Et de conclure : “Namur a longtemps été considérée comme une ville un peu Bisounours, comme si on y était épargné. On commence à être durement affecté. Les autorités doivent entendre notre appel, car on peut encore agir, mais on a besoin de moyens. Ici, on est deux équivalents temps plein pour gérer 80 dossiers de jeunes. On est motivés, mais on ne pourra pas faire de miracles”.