Fait rare à un procès: un témoin de dernière minute a surgi à l'audience
Des coups se seraient perdus entre collègues hors lieu de travail. Mais qui a frappé qui ?
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Publié le 26-03-2023 à 09h32
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Dans les (mauvais) films ou feuilletons mettant en scène un procès, il arrive régulièrement qu’un témoin de dernière minute surgisse, sorti du chapeau ou de la manche de l’avocat de la défense. On a droit à un retournement de situation : le témoin disculpe l’accusé, qui congratule son avocat et ses proches. Ils quittent le tribunal la tête haute. Le générique de fin s’inscrit sur l’écran avec la mention : “Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.”
Devant nos tribunaux, les témoins de dernière minute sont très rares. En atteste la scène survenue devant une chambre correctionnelle. Avant d’entendre un tel témoin sollicité par la défense, la présidente a vérifié auprès de la greffière la procédure à suivre.
Un scénario compliqué
L’affaire n’a rien d’exceptionnel. Elle est d’une banalité affligeante. Radi est jugé pour coups et blessures, ayant entraîné une incapacité de travail de deux jours. Soit le minimum. En fait, un coup au visage de Saïd. Les deux hommes travaillaient au service des plantations de Molenbeek.
Le témoin surprise est Nabil, le chef de service des deux hommes. À l’entendre, le 14 janvier 2021, Saïd est venu dans son bureau avec Jean-Claude pour expliquer que Radi l’avait frappé au visage. “Je n’ai vu aucune trace sur son visage”, dit-il. Les deux hommes lui auraient alors dit qu’ils allaient au commissariat. Dans son bureau, précise-t-il, est installé un écran reprenant les images d’une caméra pointée sur le couloir. Il dit alors avoir vu Jean-Claude portant un coup au visage de Saïd.
Nabil explique avoir relaté les faits à son supérieur, qui lui aurait répondu : “Tant mieux. Je suis bien content.” À entendre Nabil, le chef aurait été satisfait qu’une plainte visait Radi car il “en avait marre” de celui-ci.
Aucun de ces éléments ne figure au dossier. Le témoin vient fort à propos pour Radi. La procureure du roi n’est pas convaincue. Elle veut savoir qui a invité Nabil à témoigner. C’est Radi. Et comment Nabil a appris que le procès se tiendrait aujourd’hui. C’est Radi. Elle s’étonne. Pourquoi, s’il a vu des coups, Nabil n’a-t-il pas prévenu la police ? Nabil se retranche derrière “son” chef.
Coup de poing ou simple pincette ?
Invité à s’expliquer devant le tribunal, Radi met en avant sa situation. Il se dit victime “d’acharnement” de la part de ses collègues. Depuis deux ans, dit-il, il est en dépression et en arrêt de travail. Il cite ses 22 ans de carrière exemplaire. Il reconnaît un contact avec Saïd, qui l’aurait bousculé et à qui, dit-il, “j’ai juste pincé le nez”. D’ailleurs, insiste-t-il, “je ne suis pas violent”.
Ce qui fait réagir la présidente. Radi a été condamné, à deux reprises, en 2005 et 2011, pour coups et blessures. “C’était des situations particulières que j’aurais du mal à expliquer. J’essaie d’oublier le passé”, élude-t-il.
La juge le ramène au dossier. La scène reprochée à Radi a eu lieu dans une épicerie. L’épicier a remis à la police des images de vidéosurveillance. Les policiers ont effectué une capture d’écran et l’ont placée dans le dossier. La juge montre l’image à Radi. Il se reconnaît. Dans le PV, les policiers écrivent que les images montrent un coup de poing.
”Il y a eu des pressions des policiers”, dit alors Radi, qui le répète : “Je n’ai fait que pincer le nez.”
Pour l’avocate de la partie civile, le dossier est d’une “limpidité totale”. Dans l’épicerie, il y a eu un échange peu amène. Radi a asséné un coup de poing à Saïd. Point. Saïd, par souci d’apaisement, est allé trouver le chef de service. Et Me Catherine Toussaint d’avancer une hypothèse : une semaine plus tôt Saïd avait fait équipe avec Radi, qui ne montrait guère d’énergie au travail. Il l’avait dit au chef…
”Pas l’affaire du siècle”
Pour la procureure, on n’est pas ici face “à l’affaire du siècle”. S’il n’y avait pas eu l’apparition de Nabil et le fait que Radi se sent victime d’un complot, elle n’aurait requis que trois minutes. Mais, poursuit-elle, on se trouve face à un prévenu incapable de reconnaître la réalité. “Il a besoin d’aide”, dit-elle, insistant sur la nécessité d’un accompagnement probatoire.
La défense et Radi ne saisissent pas la perche. Elle s’accroche au fait que la capture d’écran ne montre qu’un bras tendu et que les images vidéo ne sont pas dans le dossier. Elle plaide l’acquittement. Jugement le 19 avril.