Victime d’une rébellion, un policier témoigne au tribunal: "Je demande un peu de reconnaissance. Au quotidien, ce sont des crachats, des insultes"
Appelé à intervenir pour déloger “une personne indésirable”, l’inspecteur W. a subi des coups de la part d’un homme violent à l’égard de sa compagne. Cette affaire lui tient à cœur. Il tenait à être présent au procès.
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Publié le 02-04-2023 à 12h06
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Un grand gaillard en uniforme de policier, bâti comme une armoire à glace, patiente sur le banc des parties civiles. Trois collègues du détachement sécurité du palais de justice de Bruxelles encadrent de près un homme poursuivi pour rébellion et coups et blessures. Le jeune trentenaire, sans travail ni résidence fixe, vient d’être acheminé de la prison de Saint-Gilles. On lui enlève les menottes.
Les faits paraissent simples. Un soir de septembre 2019, deux policiers se rendent dans un appartement à Anderlecht pour déloger “une personne indésirable” – c’est le jargon. Une femme a appelé le commissariat : son compagnon (ou son ex, on ne sait pas très bien) refuse de déguerpir. Honorine* a peur : l’homme s’est déjà montré agressif par le passé.
Après une semaine de bamboche
En entrant dans le minuscule studio, les deux inspecteurs découvrent Dieudonné* affalé dans le canapé, profondément endormi. Honorine a mis les deux enfants en bas âge (dont un fils commun avec le prévenu) en sécurité dans la seule chambre de l’appartement. Elle préfère qu’ils n’assistent pas à la scène. Dieudonné n’est pas domicilié à cette adresse, mais il y débarque de temps en temps. Là, il revient d’une semaine de bamboche avec des amis. Ils ont consommé de l’alcool et des stupéfiants. Il est dans un sale état. Honorine lui a demandé de prendre une douche, mais il s’est écroulé, épuisé, dans le divan.
Les policiers doivent s’y prendre à plusieurs reprises pour le réveiller. Ils lui demandent de quitter les lieux. Au lieu de cela, le prévenu se dirige vers la chambre pour, dit-il, récupérer des documents. Les policiers lui interdisent d’entrer dans la pièce où se trouvent les petits. Il les repousse, claque la porte sur un des inspecteurs (qui assiste à l’audience). Quand il ressort, il n’est pas calmé. Une deuxième scène a lieu dans la pièce de vie avec un coin cuisine. Dieudonné pousse le policier vers une plaque de cuisson, qu’il aurait allumée. “J’étais derrière lui : il m’a fait tomber sur le dossier du canapé”, explique l’inspecteur W. Le collègue écope aussi. Même avec les renforts appelés à la rescousse, il a été compliqué de maîtriser l’homme. Le médecin des urgences constate des ecchymoses, des blessures au dos et un choc émotionnel. Les deux premiers agents qui sont intervenus sont mis en incapacité de travail pour sept jours.
D’abord classé sans suite
Dieudonné donne une autre version. “Ils m’ont insulté. Ils commandaient, mais j’étais chez moi ! J’étais en bermuda : j’ai voulu aller m’habiller dans la chambre. Son collègue et lui se sont jetés sur moi. D’autres policiers sont arrivés. Ils m’ont amené au poste comme ça”, dit-il. Mais comment expliquer les lésions ? “C’est en tout cas pas moi qui les ai blessés.”
Le parquet avait classé l’affaire sans suite – les deux inspecteurs ont dû faire une citation directe pour qu’il y ait un procès. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Depuis novembre 2020, une circulaire a instauré la tolérance zéro pour les violences à l’encontre des policiers : les faits de rébellion doivent être poursuivis.
Si l’inspecteur W. est présent devant le tribunal, au bout de plus de trois ans de procédure, c’est parce que “tout ça lui tient à cœur”. Le travail est de plus en plus difficile, avait décrit son avocat. “Au quotidien, ce sont des crachats, des insultes, des bousculades. Les policiers en ont marre.” L’homme assis sur le banc des parties civiles, posé, ne vient pas régler des comptes, mais “réclamer un peu de reconnaissance” pour le métier. “J’ai fait de l’intervention pendant six ans et c’est la première rébellion à laquelle j’ai eu affaire. La seule dans ma carrière. Sur le terrain, on se retrouve de plus en plus en confrontation avec des particuliers. On n’intervient pas à outrance ou pour s’amuser. La dame nous avait appelés ! On est restés polis et courtois. Je demande juste que justice soit faite.”
Le regard dans le vague
Dieudonné est en détention préventive, mais pas pour les faits examinés aujourd’hui. ” Pourquoi êtes-vous en prison ?”, l’interroge le magistrat. Il y a un grand blanc. Le prévenu regarde dans le vague. “J’ai eu un problème avec ma compagne. Les voisins sont arrivés…” Le “problème” – des coups et blessures envers madame – remonte à juin 2021. La chambre du conseil a entretemps ordonné son internement. Mais on sait que les listes d’attente sont longues pour obtenir une place dans un établissement ad hoc. Dieudonné est donc resté en prison.
Six mois plus tard, l’expertise psychiatrique a conclu qu’il était atteint de troubles mentaux, avec un risque de récidive, surtout en cas de consommation de cocaïne et de cannabis, qui renforce son état psychotique. En novembre 2022, le tribunal de l’application des peines a constaté que sa situation n’avait pas évolué.
Le parquet réclame donc l’internement du prévenu ; la défense estime également qu’il n’y a pas de meilleure mesure.
* Prénoms d’emprunt.