"On ne serait pas ici si elle n’était pas policière": draguer est-il du harcèlement ?
Un jeune Afghan ne l’avait pas compris et a poursuivi de ses assiduités une policière.
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Publié le 25-05-2023 à 11h41 - Mis à jour le 25-05-2023 à 13h51
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Lorsque, en mars dernier, il est entré dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Bruxelles, encadré par deux policiers et menotté, le prévenu s’est déchaussé, retirant d’un geste du pied ses deux sandales. Il était particulièrement nerveux et ne savait pas très bien ce qu’il faisait là.
Cet Afghan, installé en Belgique depuis 10 ans mais qui s’exprime difficilement en français, croyait qu’il était jugé pour menaces envers le gérant du car wash où il avait travaillé et qui, disait-il, ne l’avait pas payé et qui lui valait de se retrouver en prison. En fait, cet homme, prénommé Mosom, devait répondre de harcèlement envers une policière.
Il ne paraissait pas le comprendre. Pour s’assurer qu’il était bien en mesure de répondre devant un tribunal, une expertise psychologique a été demandée. Le dossier a été reporté à mercredi. Ayant obtenu une suspension du prononcé dans le dossier du car wash, Mosom n’était plus détenu mercredi lorsque l’audience pour harcèlement s’est tenue. Il était absent, étant toutefois représenté par son avocat.
”Un cas d’école”
L’affaire est un cas d’école. En octobre 2020, une policière d’une zone locale bruxelloise a été amenée à intervenir dans un dossier impliquant Mosom. Il s’est amouraché d’elle et a tenté de la joindre par téléphone. Elle lui a fait comprendre qu’elle ne voulait plus avoir de ses nouvelles.
Le 21 décembre 2020, il est venu à l’accueil du commissariat. La policière n’a pas voulu le voir. Quelques jours plus tard, Mosom est revenu et a déposé une carte de vœux dans son casier. Il lui proposait, dans un français phonétique, un restaurant et demandait son numéro de téléphone. Quelques jours plus tard, il est revenu à la charge, lui envoyant au commissariat un colis, avec une étoile en bois qu’il avait confectionnée. Excédée, la policière a déposé plainte. Un PV a été dressé et Mosom a été cité directement devant le tribunal.
Mais est-ce du harcèlement, qui en droit nécessite de perturber gravement la tranquillité d’une personne ?
À l’audience, la représentante du ministère public a décortiqué la prévention. Les actes posés ne doivent pas être répréhensibles en tant que tels, a-t-elle raisonné. Ce qui compte, c’est leur répétition. Les actes doivent viser une personne déterminée, qui est une personne physique.
On coche les cases du harcèlement. Il y a l’élément moral : il doit à tout le moins saisir les conséquences potentielles de son acte, à savoir affecter gravement la tranquillité de la personne. Pour le ministère public, l’expertise psychiatrique montre qu’il devait les comprendre.
Reste le dernier point : Mosom a-t-il “affecté gravement la tranquillité publique” de la policière. Et là, la représentante de ministère public a un doute. “On est sur le fil”, dit-elle. Et de conclure qu’il y a atteinte à la tranquillité publique, mais pas d’atteinte grave. Elle a requis l’acquittement
Pour Me Benoît Lemal, l’avocat de Mosom, il faut tenir compte du contexte. : chacun peut avoir sa manière de draguer. Cela peut-être du Don Juan, du Roméo et Juliette. Mosom, d’origine afghane, à la sienne. L’avocat le reconnaît, ce n’est pas un gentleman.
Et il s’interroge. Pourquoi criminaliser ? Et de donner sa réponse : parce que c’est une policière. Pour lui, en poursuivant, “on utilise une bombe atomique pour une mouche. On ne serait pas ici si elle n’était pas policière. Il y aurait eu un classement sans suite”.
Pour Me Lemal, la policière a en plus instrumentalisé son collègue qui a fait un PV pour harcèlement. Et l’avocat en est convaincu : “Il y avait d’autres moyens pour dire : 'Passe ton chemin'” à Mosom. Il faut acquitter. Jugement le 21 juin.