Le projet de réforme pour une justice plus autonome suscite l’indignation: “La justice ne peut se gérer comme on gère une entreprise”
Un texte de loi est en cours de discussion. Il concerne l’organisation des cours et tribunaux du pays. Problème : les projets discutés sont loin de faire l’unanimité.
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- Publié le 30-05-2023 à 21h11
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Depuis quelques jours, c’est la panique au sein du monde de la justice. En cause : un texte de loi de 227 pages – aussi volumineux que complexe – censé garantir un meilleur fonctionnement du monde judiciaire. Mais qui, dans les faits, pourrait menacer son indépendance.
C’est en tout cas la crainte exprimée par l’Association syndicale des magistrats (ASM) qui, il y a une dizaine de jours, est montée au créneau en lançant une pétition (récoltant, à l’heure actuelle, plus de 900 signatures) qui dénonce le fond, la forme et la méthode avec laquelle le projet de loi est mis en place.
Le texte n’est pas encore acté, mais de nombreuses discussions ont lieu en coulisses pour permettre son application le plus rapidement possible.
Rationaliser, fusionner, supprimer
C’est précisément l’avant-projet concernant “l’autonomie de gestion” qui est dans le viseur.
L’objectif est pourtant louable. Le texte doit permettre à la vieille machine judiciaire belge d’être plus efficace plus rapidement, en prenant en considération les moyens (effectifs et budgétaires) nécessaires au bon fonctionnement des cours et tribunaux du pays.
Sauf que pour aboutir, il est question de rationalisation, de fusion de certaines juridictions ou encore de flexibilité du personnel (qui pourrait être retiré d’une juridiction pour être envoyé ailleurs, là ou les besoins sont plus urgents).
La Libre apprend ainsi que des fusions des cours du travail et des cours d’appel du pays sont en discussion. Avec comme finalité, la suppression pure et simple des tribunaux du travail qui seraient intégrés au sein des tribunaux de première instance.
Par ailleurs, une mesure de la charge de travail des magistrats est également en cours, ce qui doit permettre de cartographier les besoins des cours et tribunaux du pays et, in fine, répartir les budgets et le personnel en fonction des résultats de cette forme d’audit.
Mais selon l’ASM, cette méthode de calcul risque surtout d’instaurer une concurrence entre les cours et tribunaux du pays puisque la justice fonctionne avec une enveloppe budgétaire limitée et qu’il faudra justifier qui fait quoi dans un tribunal pour, en échange, espérer davantage de moyens. “En gros, on répartira les moyens en fonction de méthodes de calcul qui ne prendront pas en compte qu’une justice qui travaille plus lentement n’est pas forcément une justice moins efficace. Plus une juridiction ira vite, plus elle sera financée et renforcée. Ce n’est pas comme ça qu’on doit raisonner, la justice ne peut se gérer comme une entreprise privée”, explique-t-on au sein de l’ASM.
Le Collège des cours et tribunaux dans le viseur
Au cœur de ce vaste projet, on retrouve le Collège des cours et tribunaux, également sous le feu des critiques. Et pour cause, cet organe – dont la mission majeure est d’aider les cours et tribunaux dans la gestion quotidienne -, se voit confier de missions nouvelles dans le projet de loi sur l’autonomie de gestion.
Le Collège des cours et tribunaux deviendrait notamment un organe de contrôle, habilité à prendre des décisions contraignantes à l’encontre des juges et des juridictions du pays.
Il aurait par exemple la possibilité de recommander la nomination des juges d’instruction, mais également le pouvoir d’annuler les décisions prises par le président d’une cour d’appel si ces décisions ne conviennent pas aux plans de gestion et aux décisions budgétaires actés par le Collège des cours et tribunaux. Autrement dit, les juridictions du pays devront obéir aux décisions prises par le Collège, sans moyen de s’y opposer.
Autre fait : c’est ce même Collège des cours et tribunaux qui négocie actuellement l’avant-projet de loi sur l’autonomie de gestion. Pourtant, il ne s’agit pas d’un organe représentatif de la magistrature du pays, mais bien d’un organe dont la mission première est d’aider les cours et tribunaux dans leur gestion.
”Le Collège des cours et tribunaux s’octroie les pleins pouvoirs et négocie avec le ministre de la justice pour parler au nom de l’ensemble de la profession alors qu’il n’a pas la moindre légitimité pour le faire, dénonce Marie Messiaen. Voyez le nombre record de personnes ayant signé la pétition. Cela vous donne un indicateur de la colère que tout cela suscite. Le Collège fait cavalier seul et agit contre l’intérêt d’une justice indépendante et efficace. C’est dramatique”.
Une autre source voit également dans le texte l'amorce d'une régionalisation de la justice avec des conséquences néfastes pour Bruxelles qui, par ailleurs, ne compte pas de représentant au sein du Collège des cours et tribunaux. “Bruxelles sera tributaire de discussions qui évolueront en fonction des rapports de force en présence dans cet organe. Avec de telles méthodes, les budgets seront répartis entre les différents arrondissements et ceux qui vont en bénéficier sont un peu en Flandre, un peu en Wallonie. Bruxelles sera, comme d’habitude, le dindon de la farce. Vous savez pourquoi ? Parce qu’avec ce type de calcul en cours pour mesurer la charge du travail et l’arriéré des juridictions à Bruxelles, on dira qu’il y a trop de magistrats dans la capitale alors que la moitié des litiges du pays passe par Bruxelles. On file droit vers une régionalisation de la justice”.