Les procureurs reprochent à Salah Abdeslam son silence avant le 22 mars : “Pourquoi ? Sinon pour cacher tout ce qui se préparait”
Troisième jour du réquisitoire au procès des attentats. La procureure Paule Somers réclame que le Français de Molenbeek soit condamné comme coauteur du meurtre avec préméditation des 32 victimes du 22 Mars.
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- Publié le 01-06-2023 à 17h49
- Mis à jour le 01-06-2023 à 20h10
Salah Abdeslam est-il un petit bras du terrorisme, taximan à ses heures et incapable de faire détonner une veste explosive, comme cela a été le cas à Paris le 13 novembre 2015 ? Ou un terroriste radicalisé prêt à tout, qui n’aurait pas hésité à se faire exploser à Bruxelles le 22 mars 2016 s’il n’avait pas été arrêté quatre jours plus tôt ? Le Parquet fédéral penche pour la deuxième option.
Au terme d’une démonstration magistrale, la procureure Paule Somers a demandé jeudi aux jurés qu’il soit condamné comme coauteur des attentats de Bruxelles, pour meurtres avec préméditation et tentatives de meurtre terroristes, bien qu’il se trouvait derrière les barreaux le 22 mars.
Salah Abdeslam a passé trois mois et demi avec ses frères hautement radicalisés.
Contrairement à la défense, elle estime que l’aide du Français de Molenbeek a été nécessaire à la commission des attentats de Zaventem et de Maelbeek.
“Salah Abdeslam a passé trois mois et demi avec ses frères hautement radicalisés. Il est lui-même hautement radicalisé et veut venger la mort de son frère (Brahim, décédé à Paris, ndlr). Il écrit des lettres d’adieu à ses proches. Il y a des armes de guerre dans toutes les caches et le drapeau de l’EI accroché aux murs. Le projet d’attentat est certain”, résume la procureure.
Une vie de clandestin à la rue du Dries
Une lettre adressée à son Emir, Oussama Atar, trouvée par la police dans l’ordinateur de la cache de la rue Max Roos à Schaerbeek est claire sur ses intentions. Il l’écrit dans la cache qu’il connaît, rue Bergé à Schaerbeek. “J’ai pensé un moment aller au pays du Sham”, écrit-il. “Mais en réfléchissant, j’ai conclu que c’était une idée de shaytan (Satan, ndlr) et que la meilleure chose était de finir le travail ici avec les frères”.
Selon le parquet fédéral, Abdeslam est ensuite intégré à la cellule de la rue du Dries à Forest où il retrouve Mohamed Belkaïd et Sofien Ayari. Une cellule similaire est installée rue Max Roos avec la même composition : un chef, un combattant aguerri, un homme qui connaît bien la Belgique. Chaque cellule dispose d’armes de guerre. C’est la clandestinité : on passe des heures sur internet, on astique les armes, on écrit des lettres d’adieu, on récite les prêches du Coran, et seuls ceux qui ne sont pas connus de la police sortent pour faire les courses. Les frères El Bakraoui, qui sont les têtes de pont de ces commandos pilotés depuis la Syrie, restent à l’écart.
C’est la clandestinité : on passe des heures sur internet, on astique les armes, on écrit des lettres d’adieu, on récite les prêches du Coran.
Paule Somers frémit à l’idée du carnage encore plus grand que les terroristes auraient pu commettre s’ils n’avaient pas décidé de passer à l’action, alarmés par l’arrestation de Salah Abdeslam le 18 mars à Molenbeek. Les ordinateurs retrouvés dans les deux caches montrent en effet que nombreuses cibles ont été envisagées, dont une école à Houthalen ou un attentat au camion piégé en France. Dans la précipitation, ils se sont rabattus sur des cibles classiques du terrorisme : un aéroport, projet qu’Abaaoud avait imaginé dès janvier 2015 et un métro, comme l’indique un dossier intitulé “Metro” et retrouvé dans l’ordinateur de la rue Max Roos. Les informaticiens de la police ont pu déterminer que ce dossier avait été rouvert le 10 janvier 2016.
“Les armes de guerre ne pouvaient servir qu’à une tuerie de masse. Nous nous sommes demandé pourquoi les terroristes avaient choisi une cache à Forest, un lieu décentré. Forest-national ? Une salle. Je ne l’affirme pas, mais cela m’a sauté aux yeux quand j’ai regardé la carte”, dit la procureure en jetant un regard vers son collègue, Bernard Michel, qui baisse les yeux. Silence pesant.
Ignorer la cible finale n’est pas une excuse
Outre sa radicalisation, Abdeslam a aussi selon le parquet fédéral posé des actes qui sont préparatoires des attentats. Il va chercher quatre terroristes en voiture en Allemagne et en Hongrie. De même, alors qu’il est arrêté, il ne fournit aucune information aux policiers. Il ne parle pas de Laachraoui. Il affirme ne pas connaître les frères El Bakraoui. Il ne parle que d’Abrini, son ami de Molenbeek, et de Bakkali, déjà sous les verrous. “Pourquoi ? Sinon pour cacher tout ce qui se préparait”, répète quatre fois Paule Somers.
Le fait qu’il ignorait la cible finale ne le disculpe pas, dit-elle en s’appuyant sur une jurisprudence du tribunal correctionnel dans une affaire de terrorisme palestinien datant de 1972. “Cette ignorance ne peut être invoquée à leur avantage pour laisser cette participation impunie”, avait estimé le tribunal dans un verdict datant de 1974. Il défendait la thèse que, dans le terrorisme, chaque chose était compartimentée, y compris, parfois, l’objectif final d’un groupe.
Le réquisitoire s’est poursuivi jeudi concernant Sofien Ayari, pour lequel le parquet réclame lui aussi la qualification de coauteur et non de simple complice. Jusqu’ici, tous les accusés ont été considérés par le parquet comme coauteurs des attentats.