Quand tout le bar est ivre, les trous de mémoire profitent au prévenu: "Le tribunal a constaté qu’il y avait un très très léger doute"
Deux amis se disputent pour dix euros. Il est question d’un coup de cutter, mais personne ne s’en souvient vraiment.
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- Publié le 04-06-2023 à 10h03
- Mis à jour le 04-06-2023 à 10h05
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La sonnerie retentit. L’assemblée sort de sa torpeur et la cour entre dans la salle. C’est alors aux avocats en demande de remise de faire valoir leurs arguments pour justifier le report de l’audience. La première avocate s’explique : son client n’est pas là parce que la veille, vers 23 heures, il a été admis à l’hôpital pour dépression sévère. “Cela fait des mois qu’il essaie d’avoir une place. Les services étaient à chaque fois remplis et il ne pouvait pas rentrer”, précise le conseil qui demande une date assez éloignée afin de lui laisser le temps de rencontrer son client. Une fois qu’il sera sorti de l’hôpital, s’entend. La demande ne pose pas trop de soucis d’organisation et tout le monde s’accorde pour se revoir fin septembre.
L’autre affaire sera également reportée pour motif médical. En l’occurrence un accident de trottinette électrique, croit-on deviner dans l’agitation. “On a reçu des vidéos d’une fracture ouverte sur une jambe, sans visage et sans date”, rétorque la procureure. Elle ne remet pas en question la véracité des images, mais précise qu’il ne s’agit pas là d’un certificat médical en bonne et due forme. Mais bon, le document officiel a visiblement été versé au dossier entre-temps. Là aussi, tout le monde se verra fin septembre. “À quatorze heures”, crie la procureure dans ses mains qu’elle utilise comme un porte-voix, afin de recouvrir la rumeur qui grossit dans la salle.
Un cutter, une chaise et beaucoup d’alcool
Arrive ensuite le moment des prononcés. Et qu’on le dise tout de go : Aleko (prénom d’emprunt) sortira acquitté du prétoire au nom d’un principe fondamental de la justice, à savoir que le doute profite toujours au prévenu. Mais ce qui est sans doute le plus surprenant dans cette histoire embuée par l’alcool, ce sont les raisons qui justifient cette décision.
L’affaire démarre en novembre 2019 dans un bar appelé le Malibu. Aleko et Marian (prénom d’emprunt) sont au bar et boivent des coups à s’en mettre la tête à l’envers. La soirée avance, les tournées pleuvent et Marian doit 10 euros à Aleko. Ce qui serait en temps normal une broutille se transforme rapidement en casus belli entre les deux hommes. Sans que l’on comprenne très bien pourquoi, Marian lance une chaise sur Aleko quand ce dernier veut sortir du bar. Assez curieux quand on pense que c’est bien Marian qui doit 10 euros à Aleko. Mais soit, les deux hommes ont, de leur propre aveu, bu plus que de raison.
Il est ensuite question d’un coup de cutter asséné par Aleko. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est passé par la case tribunal. Les conséquences demeurent toutefois nébuleuses. Lorsque Marian est venu témoigner auprès de la police ce jour de novembre 2019, il était tellement saoul que les forces de l’ordre lui ont demandé de revenir plus tard et plus sobre. Le prévenu, lui, dit n’avoir que très peu de souvenirs de cette soirée mais que, dans tous les cas, il ne se souvient pas d’une histoire de coup de lame.
Un très très léger doute
Le président du tribunal précise que les deux hommes se sont revus quelques jours après les faits et que l’ambiance n’était pas électrique. C’est déjà surprenant après le jet d’une chaise, mais alors après un coup de cutter…
Il n’y a, du reste, aucune caméra de surveillance dans le Malibu ni aucune trace de cette bagarre. L’enquête n’aura permis de recueillir aucun témoignage utile. Et pour cause : tout le monde ce soir-là était ivre. Personne n'était en mesure de livrer une version étayée du déroulé de la soirée et de l’altercation entre les deux amis venus boire un verre. Il y a bien eu ce témoin entendu, mais il n’a pu confirmer aucune version. “Le tribunal a constaté qu’il y avait un très très léger doute qui profite au prévenu”, déclare alors le président, que l’on sent un peu résigné. Ce sera donc l’acquittement.
Aleko apprend la sentence avec un léger décalage, le temps que l’interprète venue l’accompagner ne traduise dans une langue aux sonorités slaves. Malgré cette issue qui lui est favorable, l’homme reste impassible. Espérons pour la justice qu’il n’aille pas fêter la nouvelle au Malibu.