Le père d'une victime dénonce l'impunité des violences policières: "La violence physique et mentale d’une telle expérience laisse des séquelles"
Alexandre Pycke a fondé un collectif demandant qu’un organe autre que le Comité P enquête sur les abus policiers. Une démarche née après avoir déposé deux plaintes, sans effets, pour dénoncer des abus subis par son fils, interpellé à la suite d’une manifestation en janvier 2021.
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- Publié le 07-06-2023 à 06h38
- Mis à jour le 07-06-2023 à 10h19
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Le 24 janvier 2021, près de 150 personnes étaient rassemblées sur la place de l’Albertine, à deux pas de la Gare centrale à Bruxelles, pour manifester contre “la justice de classe” et les abus policiers. À l’époque, la crise sanitaire avait fortement réduit les possibilités de manifester. Initialement, l’événement n’avait d’ailleurs pas été autorisé, mais le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close (PS) l’a ensuite toléré.
Sauf que le rassemblement a rapidement dégénéré. Plus de 245 personnes ont été interpellées et emmenées à la caserne de police à Etterbeek. Certains témoignages évoquaient des arrestations arbitraires, des coups infligés gratuitement, des crachats, une impossibilité d’aller aux toilettes et obligeant certaines personnes à se soulager devant tout le monde et en cellule, ou encore des insultes sexistes et racistes.
Parmi les jeunes embarqués, il y avait Simon. Traumatisé par ce qu’il a vu lors de son interpellation, son père, Alexandre Pycke, a décidé d’agir. Une dizaine de jours après les faits, il a déposé plainte au Comité P d’abord, devant un juge d’instruction ensuite. Plus de deux ans après les faits, il n’a toujours aucune nouvelle. Aujourd’hui, Alexandre Pycke va plus loin en fondant Isos, un collectif citoyen de lutte contre “les policiers violents et racistes”. Sa principale revendication ? Que soit créé un organisme autre que le Comité P pour enquêter sur les abus policiers.
"Quand je suis venu chercher mon fils, il était véritablement sous le choc, traumatisé. La violence physique et mentale d’une telle expérience laisse des séquelles. En tant que parent et en tant que citoyen, je refuse de rester les bras croisés".
Insultes, coups, propos racistes
”Avant de récupérer mon fils au commissariat, ce jour de janvier 2021, je n’avais jamais eu affaire à la police. Après cet épisode, je ne peux que constater avec effroi qu’il y a, au sein de la police, des personnes violentes et racistes, avance Alexandre Pycke. Cela ne concerne pas l’ensemble des policiers, mais la loi du silence en vigueur, l’esprit de corps qui règne et qui permet une forme d’impunité, ce sont des choses que, moi, citoyen, je refuse d’accepter. Et je veux lutter de toutes mes forces contre ce système.”
Mais que s’est-il passé dans ce commissariat, ce 24 janvier 2021, pour pousser ce papa à se lancer dans une telle mission. Il raconte. “Mon fils m’a demandé l’autorisation pour participer à cette manifestation. J’ai vu que le bourgmestre de la Ville de Bruxelles tolérait l’événement, j’ai donc permis à mon fils d’y aller, à condition de faire attention. J’ai appris, plus tard, qu’il y avait eu un déploiement policier monstre : près de 400 policiers pour entourer moins de 200 jeunes qui se feront tous embarquer”, raconte Alexandre Pycke.
Son fils, Simon, sera entassé avec d’autres manifestants sans qu’on leur explique les raisons de leur arrestation. Puis, le meilleur ami de Simon est sorti de cellule. “Le meilleur ami de mon fils, Pirly, est Belge. C’est un jeune Ucclois, comme mon fils Simon. Sauf que Pirly a la peau noire. Et c’est manifestement sur lui que les policiers ont décidé de lâcher leurs nerfs, poursuit Alexandre Pycke. Il a été giflé et insulté, des propos racistes ont été proférés. C’était totalement gratuit et d’une violence inouïe. Quand je suis venu chercher mon fils, il était véritablement sous le choc, traumatisé. La violence physique et mentale d’une telle expérience laisse des séquelles. En tant que parent et en tant que citoyen, je refuse de rester les bras croisés.”
"Mais que voulez-vous que la police fasse de plaintes ciblant des policiers ? On ne peut pas leur demander d’être juges et parties. La Belgique a déjà été épinglée à plusieurs reprises, notamment par les Nations Unies, à ce propos. Car une loi impose un contrôle externe et indépendant de ces plaintes, ce qui n'est manifestement pas respecté."
Un appel au politique
Après les faits, Alexandre Pycke s’est plongé dans la littérature spécialisée pour en savoir davantage sur la problématique liée aux abus policiers. Il a épluché études et rapports, notamment ceux provenant du Comité P, la “police des polices” qui traite les plaintes contre les policiers. Mais pour Alexandre Pycke, le fonctionnement de cet organe est problématique. “Lorsque le Comité P a été créé, l’objectif était que les plaintes contre les forces de l’ordre soient traitées de façon indépendante pour permettre que des décisions justes et dûment motivées soient rendues. Mais de l’aveu même des membres du Comité P, ça n’est pas le cas. En 2021, les 13 commissaires-auditeurs (statutaires et donc indépendants) qui en sont membres ont instruit moins de 2 % des plaintes qui leur ont été adressées. Le reste a, soit été classé sans suite, soit été renvoyé vers la police. Mais que voulez-vous que la police fasse de plaintes ciblant des policiers ? On ne peut pas leur demander d’être juges et parties. La Belgique a déjà été épinglée à plusieurs reprises, notamment par les Nations Unies, à ce propos. Car une loi impose un contrôle externe et indépendant de ces plaintes, ce qui n’est pas respecté”, s’exclame-t-il.
Au nom du collectif Isos qu’il a fondé avec d’autres citoyens, il a donc lancé une pétition pour qu’un organe autre que le Comité P se charge des plaintes. “Le taux de classement sans suite par la justice, pour des cas de violences policières, est de 95 % en 2021. Le constat, c’est qu’il y a un degré d’impunité énorme, et cela ne rend pas service à la police. Ma demande pour qu’un organisme véritablement indépendant se charge d’enquêter sur les violences policières a connu un rapide succès. En quelques jours, plus de 1000 personnes ont signé l’appel. Je me suis engagé à solliciter les différents partis politiques du pays pour faire entendre cet appel citoyen. Et je compte bien aller jusqu’au bout de ma démarche”.
Alexandre Pycke conclut : “En Belgique, 15 personnes sont mortes, en 5 ans, après une interaction avec la police. Que ce soit Chovanec, Sourour, Mehdi, Adil, Mawda, Lamine, Sabrina et Ouassim, à chaque fois, on a considéré que les morts étaient responsables de ce qui leur était arrivé. À chaque fois, les policiers ont été blanchis. À chaque fois, il s’agissait de personnes avec un patronyme à consonance étrangère. Ce que j’avance, ici, est purement factuel. Ce sont des constats que personne ne peut nier. Mais que personne ne peut plus accepter à notre époque”.