"Mépris, abstention coupable": le procureur général de Bruxelles dézingue le politique sur l’absence de procureur du roi officiellement nommé
Pour son discours de rentrée, Johan Delmulle est également revenu sur le manque d’effectifs et ses conséquences sur le travail de la justice.
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- Publié le 01-09-2023 à 16h26
- Mis à jour le 01-09-2023 à 16h55
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Johan Delmulle, a tenu, ce vendredi, sa dernière mercuriale en tant que procureur général de Bruxelles. Et pour sa fin de mandat, il a d’abord exposé, chiffres à l’appui, les conséquences des manques de moyens sur le fonctionnement de la justice bruxelloise.
S’il ne fallait retenir qu’une donnée, prenons celle concernant les affaires non poursuivies faute de moyens. Il ressort ainsi que le nombre d’affaires non poursuivies par manque de moyens d’enquête est passé de 2 839 à 7 307 entre 2017 et 2022. Soit une hausse de 157 % en cinq ans. Johan Delmulle dévoile aussi que la chambre des mises en accusation de Bruxelles est saturée d'examens de mandats d'arrêt vu le nombre élevé de personnes en détention préventive pour trafic de drogue.
Le procureur général souligne, par ailleurs, que rien qu’au cours des derniers mois de juillet-août, il y a eu dix nouvelles affaires d’assises. Au cours de l’année judiciaire écoulée (du 1er septembre 2022 au 31 août 2023), pas moins de 44 nouvelles affaires ont été ouvertes dans l’arrondissement de Bruxelles, dont on peut raisonnablement penser qu’elles seront portées un jour devant la cour d’assises. Ce qui signifie qu’en moyenne, trois à quatre meurtres ou homicides ont été commis par mois.
Outre les manques de moyens criants, Johan Delmulle a retapé sur le clou en évoquant, pour la troisième année consécutive, la situation du parquet du procureur du roi de Bruxelles, le plus grand du pays, mais toujours sans procureur du roi officiellement nommé. “De telles situations d’incertitude et de négligence sont indignes d’un État de droit”, avait-il déclaré en 2022. Pour cette rentrée, il va un cran plus loin et dénonce “un désintérêt, voire un mépris de la part de certains partis au pouvoir, (mépris) qui s’apparente à une forme d’abstention coupable sur le plan politique”.
BHV judiciaire
Pour comprendre pourquoi le parquet de Bruxelles est dans une telle situation, il faut remonter à la scission de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles Hal-Vilvorde (BHV), qui avait été inscrite dans une loi de 2012 et mise en œuvre en 2014. Dans son arrêt du 30 juin 2014, la Cour constitutionnelle a estimé qu’il n’y avait pas de motivations suffisantes pour justifier l’exception linguistique et permettre qu’un procureur du roi à Bruxelles soit obligatoirement francophone.
Restait au politique à répondre à la Cour. Soit en remettant en place une alternance francophone/néerlandophone pour la fonction, soit en défendant les raisons pour lesquelles un procureur du roi francophone à Bruxelles se justifiait (comme cela a été adopté pour Hal-Vilvorde ou le procureur du roi est d’office néerlandophone, en dépit des facilités linguistiques). Le dossier n’a jamais abouti. Conséquence de ce blocage : il y a un vide juridique depuis lors. Puisque Jean-Marc Meilleur était déjà en place, la Cour constitutionnelle a prévu de maintenir les effets de l’ancienne loi tant que son mandat courait. L’ex-magistrat a quitté ses fonctions le 1er avril 2021. Tim De Wolf a été désigné procureur du roi faisant fonction, le temps qu’un remplaçant soit officiellement nommé. Sauf que le faisant fonction de manière provisoire est toujours en poste, et rien n’a été fait pour combler ce vide juridique.
L’an dernier, Johan Delmulle avait suggéré que le Parlement reprenne le dossier en main pour apporter les changements législatifs nécessaires. Un appel qui n’a jamais été entendu. “L’élaboration des lois est pourtant l’activité principale du Parlement, peste le procureur général de Bruxelles. Je réitère donc ici publiquement ma demande d’urgence. Il est absolument irresponsable que, depuis près de deux ans et demi, le plus grand et le plus important parquet du pays fonctionne sans chef de police désigné et nommé par le Conseil supérieur de la magistrature et qu’au sein du gouvernement, et qu’un arrêt de la Cour constitutionnelle soit de facto ignoré”.
Des solutions sont envisageables. Encore faut-il oser déballer cet épineux dossier qui sent bon la crise communautaire…