Le tribunal donne raison au cycliste des Fagnes: le papa est fautif d’avoir diffusé la vidéo sur Facebook
En 2020, un cycliste avait fait chuter une petite fille dans les Fagnes. Une vidéo de l’incident avait été publiée sur les réseaux sociaux par le papa et l’affaire avait été particulièrement médiatisée. Le cycliste a attaqué le papa au civil. Le tribunal lui donne raison.
- Publié le 06-09-2023 à 16h15
- Mis à jour le 06-09-2023 à 16h26
En correctionnelle, le cycliste avait été reconnu coupable de coups et blessure involontaire par défaut de prévoyance et de précaution. Il avait bénéficié de la suspension du prononcé. Le juge a estimé que les faits qui lui étaient imputés étaient établis mais a supprimé la condamnation pendant une période déterminée (mise à l’épreuve).
Le 25 décembre 2020, un cycliste était arrivé à vitesse soutenue sur un chemin enneigé des Fagnes et avait bousculé un enfant d’un coup de genou. La petite fille était tombée dans la neige, sans aucun dommage cependant, tandis que son papa filmait la scène par hasard. La vidéo de l’incident avait alors été publiée sur Facebook à l’initiative du papa et partagée 100 000 fois, suscitant une indignation nationale et, même, un écho international. L’homme avait même passé 24 heures en cellule. L’affaire a été jugée en correctionnelle mais elle avait rebondi devant le tribunal civil. Le cycliste avait attaqué en justice le père de famille. Il estimait qu’avec la diffusion de la vidéo sur les réseaux sociaux, sa vie privée n’avait pas été respectée et que cette vidéo avait nui à sa réputation. Il réclamait au papa une indemnité de 4 500 euros, soit le prix de son vélo.
Philippe Culot, l’avocat du cycliste, avait plaidé sur base de la législation européenne des droits de l’homme, qui dit que la liberté d’expression n’est pas absolue. “Non, il n’a pas publié cette vidéo pour susciter un débat d’intérêt général, mais par action-réaction, 1 h 37 après l’incident, en demandant de la partager, ce qui a donné lieu à un emballement populaire démesuré, et il a même refusé de la retirer. Le débouter équivaudrait à dire qu’on peut publier tout ce qu’on veut et n’importe quoi sur les réseaux sociaux, en toute impunité.”
Une vision qui n’était pas partagée par l’avocat du père de famille, qui estime qu’il n’y a pas d’atteinte à la vie privée du cycliste, que l’on ne reconnaît pas sur la vidéo. "Quand on a commis une infraction pénale, ce qui est le cas puisqu’il a été reconnu coupable de coups involontaires sur l’enfant, on ne peut pas se plaindre d’une attaque à sa réputation."
Le tribunal civil a donné raison, mardi, au cycliste et estime que diffuser cette vidéo n’était la bonne réaction. Le tribunal ordonne la réouverture des débats au mois d’avril prochain pour ce qui concerne le montant de l’indemnisation. “C’est un énorme soulagement pour mon client”, nous relaie Philippe Culot. “Il se sent réhabilité, la justice le reconnaît comme ayant été victime d’une faute sévère."
"Mon client s'est senti menacé par la déferlante"
Le dossier était délicat et pouvait faire jurisprudence. Le jugement fait d’ailleurs pas moins de 30 pages. “Le tribunal a dû trouver un équilibre entre d’une part la liberté d’expression, d’autre part le droit à l’image, à la réputation et à la tranquillité”, poursuit l’avocat. “Les faits étaient involontaires et il n’a commis aucun dommage. Le tribunal civil a estimé que l’absence d’excuse de mon client ne suffisait pas pour publier la vidéo sur les réseaux sociaux. Au final, même si, sur la vidéo, son visage n’apparaît pas clairement, il a été reconnu par beaucoup de personnes et son identité a rapidement fait tache d’huile. Il est président d’un club de cyclos. À tout le moins, tous les gens du club pouvaient le reconnaître rien qu’à son vélo, son casque ou son équipement. Il s’est senti menacé par la déferlante, il a vécu cloîtré pendant plusieurs semaines. Il avait peur que, si on le reconnaissait en rue, on lui mette une tête au carré. Au final, le tribunal a aussi estimé que l’atteinte à la réputation et à la tranquillité supplantait le trouble occasionné au père et à sa fille.”
Ce jugement peut-il faire jurisprudence, alors que, selon Philippe Culot, son client a attaqué au civil pour qu’une telle mésaventure n'arrive plus jamais à quelqu’un ? “A mon sens, ce jugement signifie que, plus jamais, quelqu’un pourra se faire justice lui-même, en l’occurrence en diffusant une photo ou une image d’un auteur présumé d’un fait. Peut-être que s’il avait assorti sa diffusion en lançant un débat, en demandant un travail de prévention accru dans le monde des cyclos par exemple, ou en ajoutant, autre exemple, “Ne vous inquiétez pas, ma fille n’a rien”, le tribunal aurait apprécié autrement.”
Nous avons tenté de joindre l’avocat du papa. En vain, à ce stade…