"Une détermination à tuer", "radicalisation"... quel est le profil des terroristes du 22 mars 2016
Spécialiste de la radicalisation et du terrorisme, le professeur Dantinne a suivi de près le procès.
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- Publié le 16-09-2023 à 08h38
- Mis à jour le 16-09-2023 à 08h40
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Lancé le 12 septembre 2022 avec un véritable départ en décembre 2022, le procès des attentats du 22 mars 2016, est arrivé à son terme. Les peines ont été prononcées. Michaël Dantinne, professeur de criminologie à l’Université de Liège et membre du Centre d’étude sur le terrorisme et la radicalisation est un observateur avisé du terrorisme. Il partage quelques-unes de ses réflexions sur les accusés avec La Libre Belgique.
Le procès, rappelle M. Dantinne, a montré clairement que c’est l’arrestation de Salah Abdeslam qui a précipité la cellule à frapper à l’aéroport et à Maelbeek alors que leurs projets initiaux étaient de frapper la France à l’Euro 2016 quelques mois plus tard. “Il y a là une détermination à tuer et à mourir chez certains qui les amène à faire cela alors que ce n’est pas leur but initial.”
”On est là, poursuit-il, dans une espèce de 'sauve-qui-peut', et même une espèce de 'tue qui peut'. Cela témoigne du processus de radicalisation. À un moment donné, quand ils ont presque sauté le dernier pas dans leur projet français, l’arrestation d’Abdeslam les propulse, pour certains, à dire 'C’est maintenant que l’on y va, c’est maintenant que l’on tue'.”
M. Dantinne voit dans les accusés l’incarnation du profil des terroristes et des radicalisés. “Dans leurs déclarations, jamais ils ne sont sortis des parcours et des profils de ceux qui s’engagent dans un processus de radicalisation.”
Des amalgames sur les victimes
”On est tout à fait là-dedans. On a ainsi beaucoup entendu et senti ce discours d’ambivalence entre les victimes de la coalition internationale en Syrie et les victimes belges”. Pour le professeur Dantinne, c’est véritablement prototypique du processus de radicalisation : il y a un combat pour être victimes. Si l’on venge des victimes en tuant d’autres personnes, c’est un acte juste et c’est rendre justice.
Se considérer subjectivement comme victime vous donnerait le droit de redresser, au besoin de manière violente, cette situation. La propagande de l’État islamique a beaucoup joué là-dessus.
M. Dantinne n’est évidemment pas dupe des discours des accusés, dont certains ont témoigné d’une certaine empathie pour les victimes. Cela peut être une stratégie. Certains des accusés n’ont pu sortir de ce combat pour être victimes. “Cette oscillation entre 'Vous parlez beaucoup de ces victimes mais que pensez-vous des victimes en Syrie ?', est devenu 'Je suis triste pour les victimes de Bruxelles mais il y a encore d’autres victimes en Syrie'.”
Cette équivalence des victimes est, note M. Dantinne, “prototypique du processus de radicalisation”. “Se considérer subjectivement comme victime vous donnerait le droit de redresser, au besoin de manière violente, cette situation. La propagande de l’État islamique a d’ailleurs beaucoup joué là-dessus.”
Un narcissisme exacerbé
Les études ont montré que la variable narcissique joue un rôle important dans le processus de radicalisation. L’importance qu’une personne donne à son image peut faire en sorte que, à un moment donné, elle entre dans un processus de radicalisation car elle y trouve une valorisation.
”La dimension narcissique trouve son paroxysme dans une question présente à Paris – avec Abdeslam qui se désiste – et posée avec Abrini et Krayem qui renoncent à Bruxelles”, relève ainsi M. Dantinne. Et le procès a donné des réponses : A Paris, Abdeslam a dit qu’il n’a pas pu déclencher sa bombe dans un bar quand il a vu ces jeunes qui y dansaient. ” À leurs yeux, il y aurait donc des victimes qui le méritent et d’autres qui ne le méritent pas. Abrini a expliqué qu’il est prêt à aller tuer des gens à la guerre en Syrie mais pas en Belgique”, souligne M. Dantinne pour qui “la vraie question aurait dû être plutôt : Étais-je prêt à tuer des gens et à mourir ?”.
Et de poursuivre : “Est-il possible de dire, alors que l’on est engagé dans un processus de radicalisation qui vous mène à commettre des attentats pour des raisons narcissiques : 'Je me suis désisté, non pas parce que je n’ai pas voulu tuer des gens que mais parce que j’avais peur de mourir ?'.”
Et de souligner que si le renoncement était véritablement motivé par le fait qu’il ne faut pas tuer des gens, il aurait fallu dénoncer les faits. “Or aucun n’est allé à la police.”
L’image de soi est d’autant plus importante pour les accusés que ceux-ci vont être amenés à vivre très longtemps dans un contexte carcéral où l’image est encore plus importante que dans la société libre.
”Est-ce racontable de dire j’ai renoncé car j’ai eu peur de mourir ? L’image est importante. L’attentat est une propagande, l’acte le plus fort de propagande. L’attitude au cours du procès est aussi une forme de propagande.”
Des barrières à franchir
Ces différentes attitudes, note encore M. Dantinne, entre des terroristes qui sont morts en tuant et d’autres qui n’ont pas franchi le pas, montrent toute la complexité du processus de radicalisation. “Et c’est parce que c’est complexe de franchir les dernières étapes que l’on a aussi peu d’attentats et c’est heureux. Tuer des gens et soi-même mourir, cela fait heureusement beaucoup de barrières et des barrières très hautes à escamoter alors que trouver des armes ou des cibles, c’est très facile.”
Et de dresser un parallèle entre les accusés qui ont joué un rôle périphérique dans les attentats, avec un guetteur qui, après un cambriolage qui a mal tourné, dit : “Je n’ai fait que guetter”. ” En parcellisant les tâches, vous diluez le poids moral et la responsabilité. Plusieurs se réfugient dans la dilution de la responsabilité et peuvent toujours laisser entendre – même s’ils ne le diront explicitement pas pour des questions de loyauté – 'Je ne suis pas un des frères El Bakraoui, je n’étais pas à l’aéroport'. C’est ce que l’on appelle la comparaison avantageuse.”