L'espace public bruxellois pensé "par et pour les hommes" : quelles conséquences pour les femmes ?
Publié le 19-09-2019 à 10h24 - Mis à jour le 20-09-2019 à 08h07
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À Bruxelles et ailleurs, l’expérience des transports est rarement la même pour tout le monde. Elle peut se révéler plus ou moins agréable en fonction de certains critères, tels que l’âge ou l’état de santé. L’accord du gouvernement bruxellois établit une autre distinction fondamentale : "Les femmes ne se déplacent pas forcément de la même manière que les hommes pour toute une série de raisons." Dans un récent rapport des Femmes prévoyantes socialistes (FPS), Fanny Colard explique que l’espace public est encore trop souvent pensé "par et pour les hommes". Justement, en quoi la mobilité des femmes est-elle si particulière ?
Le sentiment d’insécurité
Né en octobre 2017, le mouvement #MeToo avait permis de libérer la parole des femmes et d’éveiller les consciences sur les violences qu’elles subissent encore trop souvent. Un type de violence en particulier qui les vise parce qu’elles sont des femmes a été mis en évidence : le harcèlement de rue. De nombreuses études montrent que la très grande majorité d’entre les femmes en a déjà fait l’expérience.
Dans la rue, dans les transports en commun, sur les terrasses de café, le harcèlement a lieu partout, à toute heure du jour et de la nuit. Pour éviter de se faire harceler ou agresser, les femmes ont développé de nombreuses stratégies. Ne pas s’habiller "trop court", avoir l’air de "savoir où on va", modifier son itinéraire pour éviter les lieux "à risque". Certaines femmes évitent même de sortir de chez elles après une certaine heure ou demandent à être accompagnées.
Ces stratégies plus ou moins contraignantes ont souvent un point commun : elles constituent une forme d’autolimitation des femmes dans leur propre mobilité. Certains moyens employés se révèlent d’ailleurs coûteux (prendre le taxi plutôt que marcher, par exemple).
Pourtant, même si le problème du harcèlement de rue est bien réel, "le sentiment d’insécurité est proportionnellement plus élevé", selon une enquête de Marie Gilow, doctorante à l’ULB. Statistiquement, il existe un décalage entre le sentiment d’insécurité que les femmes peuvent éprouver lorsqu’elles se déplacent dans certains espaces publics et les agressions physiques qu’elles subissent réellement.
Les études criminologiques montrent ainsi que les hommes sont plus souvent l’objet d’agressions physiques dans la rue que les femmes. D’autre part, les lieux qui génèrent ce sentiment d’insécurité ne correspondent pas toujours à ceux où les actes de violence ont réellement lieu.
Dans cette optique, les politiques de gender mainstreaming en matière de mobilité viseraient à faire diminuer le sentiment d’insécurité des femmes : en favorisant la mixité dans les espaces publics, via un meilleur éclairage dans les rues sombres, etc.
Des trajets plus spécifiques
La question du sentiment d’insécurité avait déjà reçu une certaine attention sur la scène médiatique et politique. Cela explique probablement pourquoi il est mentionné dans l’accord de gouvernement bruxellois. Mais, selon Marie Gilow, un autre problème est moins souvent cité, car les enquêtes de mobilité tendent à l’occulter : le poids des trajets en lien avec la sphère domestique et familiale.
Encore aujourd’hui, les femmes (qu’elles travaillent ou non) ont plus souvent en charge les activités domestiques (l’accompagnement scolaire, les courses alimentaires, les visites médicales, etc.). Ces tâches engendrent une mobilité plus spécifique. Ainsi, quand les hommes réalisent généralement des trajets "plus simples" entre leur domicile et leur lieu de travail, les trajets des femmes sont souvent moins directs, plus segmentés. Par ailleurs, ce sont davantage les femmes qui doivent se déplacer avec des poussettes ou des sacs de courses.
Selon Fanny Colard, "la façon dont la mobilité et les transports en commun sont pensés ne correspond pas du tout à l’usage réel que les femmes en font. Leurs trajets comportent plus d’arrêts. Elles doivent prendre plus de correspondances". Dans cette perspective, "assurer les correspondances entre les différents modes de transport faciliterait déjà grandement leurs déplacements".