François Bellot: "Il faut investir 35 milliards d’euros dans le rail d’ici 2031"
Publié le 22-11-2019 à 07h13 - Mis à jour le 22-11-2019 à 16h15
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Ce mercredi, Sophie Dutordoir et Luc Lallemand, respectivement administrateurs-délégués de la SNCB et d’Infrabel (le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire) profitaient d’une audition au Parlement pour formuler leurs demandes au futur gouvernement. Ils veulent en particulier des précisions sur la libéralisation du rail, sur la vision de la mobilité dans les prochaines années et sur les moyens pour l’infrastructure ferroviaire. Justement, sur ces sujets, le ministre fédéral de la Mobilité, François Bellot (MR), a quelques idées. Prémâchant ainsi le travail du futur exécutif, il en fait part à La Libre.
D’après Luc Lallemand, CEO d’Infrabel, le prochain gouvernement devra trouver des moyens supplémentaires pour investir dans l’infrastructure ferroviaire vieillissante. Le milliard pour le RER et les priorités régionales ne suffiront pas...
Les entreprises ferroviaires ne savent pas quelles décisions peuvent être prises par le prochain gouvernement. Moi, ce que je dis au prochain gouvernement, c’est qu’au-delà des dotations annuelles (actuellement de 2,8 milliards, NdlR), en termes de maintien et d’extension de capacité, il faut des moyens d’investissements supplémentaires de l’ordre de cinq milliards d’euros. C’est ce que nous avons identifié dans le cadre du Plan national Énergie-Climat (PNEC). Ce montant ne devra pas nécessairement être emprunté puisqu’il y a des marges dans les deux entreprises pour financer des projets. Mais il faudra aussi se doter de moyens nécessaires. Il n’y a guère d’alternatives. C’est un bon choix, puisqu’on sait que le retour sur investissements couvre largement les dépenses. Donc, pour nous, d’ici 2031, le montant global investi dans le ferroviaire doit être de l’ordre de 35 milliards. Ce montant comprend les dotations d’exploitation et d’investissement.
Dans quoi devraient être injectés ces moyens ?
Une part de ces investissements nouveaux irait à l’accueil dans les gares et aux investissements pour les personnes à mobilité réduite (notamment en rehaussant les quais). Le reste, c’est essentiellement du maintien et de l’extension de capacités. Cela permettra d’augmenter l’offre de trains et sa robustesse. Par effet de dominos, les investissements d’infrastructure vont entraîner une augmentation du nombre de voyageurs, ce qui se répercutera sur la SNCB puisqu’elle percevra alors des recettes et une dotation variable supplémentaires. En fait, la stratégie que nous avons remise pour le PNEC, c’est la suite logique de ce qu’on a fait ces dernières années. Le nombre de voyageurs ne cesse d’augmenter depuis 2016. Cette année, la croissance est de 4,1 %, ce qui signifie qu’il y a 4,1 % de recettes supplémentaires pour la SNCB. Il y a donc une capacité d’investissements internes pour financer des projets.
Est-il possible de dégager de tels montants, vu le contexte économique actuel ?
Oui, puisqu’ils rapportent de l’argent. Quand on investit un euro, on en a trois de retour. C’est un cercle vertueux et la SNCB est le réceptacle de la croissance de la mobilité.
La SNCB a également plaidé, en commission, pour une vision de la mobilité sur le long terme, puisque les entreprises ferroviaires travaillent sur une période plus longue qu’une législature.
Nous avons établi une vision interfédérale de la mobilité, qui associe les Régions, les entreprises de mobilité et le SPF Mobilité et qui vise à synchroniser les actions des uns et des autres en respectant l’autonomie des différentes entités. Les administrations régionales et fédérales l’avaient approuvé. Mais quand je l’ai portée au Comité exécutif des ministres de la Mobilité (CEMM), Bruxelles et la Flandre l’ont repoussée du revers de la main. Quand Sophie Dutordoir dit qu’elle a besoin d’une vision de ce qu’on veut dans ce pays pour le ferroviaire, elle a raison. Et nous sommes prêts. Cette vision multimodale et interconnectée existe. Je vais rencontrer prochainement les ministres régionaux pour leur expliquer ce qui a été fait. Il reviendra au futur ministre de la Mobilité de continuer cette action, dont chaque entreprise publique a besoin. Cette vision, qui se projette jusqu’en 2031, a été établie pour prévoir des choses qui ne se font effectivement pas en une législature : des investissements lourds qui demandent des études, des autorisations, des permis d’urbanisme, la mise en adjudication, etc.
"La SNCB n’est pas prête pour affronter la concurrence"
Cet été, vous aviez confié à La Libre que la fusion entre SNCB et Infrabel n’était plus un tabou. La CEO de la SNCB rejette ce scénario. Infrabel n’y est pas non plus favorable. Que leur répondez-vous ?
Je ne pense pas qu’il faut revenir à l’ancienne structure, qui avait ses défauts. Mais il y a quelque chose que j’observe depuis qu’on a scindé la SNCB et Infrabel. Comme ils n’ont pas les mêmes buts, ils n’ont pas les mêmes objectifs. Cela crée automatiquement des tensions entre les deux entreprises. Le dernier en date, c’est quand nous avons appris mi-juin que 102 trains P allaient être supprimés pendant les travaux de la Jonction.
Ce qui ne s’est pas fait, finalement…
Non, des solutions ont été trouvées. Mais ce n’est pas cet arbre-là qui doit cacher la forêt. En termes de collaboration entre les deux entreprises, les choses doivent changer. Un exemple : Infrabel a dit en commission avoir adopté un plan stratégique. La SNCB n’a pas été consultée… Quand on établit un plan stratégique d’infrastructure ferroviaire, il faudrait au moins demander à l’opérateur principal quels sont ses besoins en mobilité.
Est-ce que cette différence d'objectifs ne va pas s’accentuer avec la libéralisation ?
Si, bien sûr. D’où l’utilité d’un organe de concertation entre opérateur ferroviaire et gestionnaire d’infrastructure. Si, bien sûr.
Donc, il faut créer une nouvelle structure ?
Si le gouvernement n’était pas tombé, on aurait pu valider les deux contrats de gestion en Conseil des ministres. Ils étaient presque terminés. On voulait y mettre des objectifs communs, comme la ponctualité, pour faire des “contrats de gestion miroirs” entre les deux entreprises. Et, au-dessus des contrats de gestion, il y a ce qu’on appelle une convention de transport. Elle a toujours existé mais n’est, jusqu’à maintenant, pas utilisée. C’est un document qui doit être conclu entre la SNCB et Infrabel et qui établit les modalités et les conditions de collaboration entre elles. Un des scénarios pour améliorer la coordination, ce serait donc de créer un organe chargé d’intervenir si elles ne respectent pas cette convention.
Concrètement, que changerait cette convention ?
Des choses qui ne vont pas au quotidien, ce n’est pas ça qui manque, même si on nous dit que “tout va bien Madame la marquise”. Prenez le piquage en voies. Depuis deux ans et demi, Infrabel et SNCB n’arrivent pas à se mettre d’accord pour savoir qui descend sur les voies en gare pour ramasser les canettes, les cigarettes, etc. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas que la planification des grands travaux qui coince. Cet organe serait le garant de la mise en œuvre du plan de transport et pourrait, de manière régulière, s’assurer que la collaboration entre la SNCB et Infrabel est efficace et réelle. En cas de différends, il aurait aussi le dernier mot. C’est indispensable. On n’invente pas le fil à couper le beurre : ça se fait dans d’autres pays.
En commission, Sophie Dutordoir a, de nouveau, plaidé pour que la mission de service public ne soit pas ouverte à la concurrence en 2023 et qu’elle soit confiée à la SNCB pour dix ans. Que lui répondez-vous ?
À partir de 2023, il y a deux options. Soit, c’est la mise en concurrence et les moyens consacrés par l’État pour exécuter la mission de service public sont attribués à celui qui remporte le marché. Soit l’État confie à la SNCB, par simple convention, l’exécution de la mission de service public pour une période de sept à dix ans. Je plaide pour cette dernière solution parce que la SNCB n’est pas prête pour affronter la concurrence dans l’exécution de la mission de service public. Mais elle ne devra pas se reposer sur ses lauriers pendant cette période. Il faut qu’elle se modernise, qu’elle devienne plus efficace, que son modèle de gouvernance évolue… Faute de quoi, en 2032-2033, ça pourrait être brutal si elle n’est toujours pas prête.