La Flandre doit-elle craindre pour sa santé économique ?

Lundi 17 mai. La grisaille du ciel jette une couleur de fin du monde sur le port d’Anvers. Les camions sillonnent la Noorderlaan à tombeaux ouverts. Ils passent presque sans voir l’interminable bâtiment qui abrite le site de production Opel. Quelques drapeaux jaunes signalent pourtant la présence du constructeur automobile. Mais ils semblent presque en berne. Retrouvez la suite de notre dossier Elections dans votre journal de ce lundi Edito: Les vraiment vrais soucisPolitic Twist, les coulisses de la campagne

Vincent Rocour
La Flandre doit-elle craindre pour sa santé économique ?
©Alexis Haulot

Lundi 17 mai. La grisaille du ciel jette une couleur de fin du monde sur le port d’Anvers. Les camions sillonnent la Noorderlaan à tombeaux ouverts. Ils passent presque sans voir l’interminable bâtiment qui abrite le site de production Opel. Quelques drapeaux jaunes signalent pourtant la présence du constructeur automobile. Mais ils semblent presque en berne.

Ce n’est, il est vrai, pas le jour le plus heureux de l’histoire de l’entreprise. Dans le hall d’entrée, des stands de fortune ont été montés. Des employées administratives se tiennent à disposition des travailleurs qui s’interrogent sur la portée concrète de l’accord social approuvé quelques jours plus tôt.

A ce jour, plus de 1 000 travailleurs ont déjà indiqué vouloir quitter l’entreprise en empochant la prime de départ. Et, à ce nombre, pourraient s’ajouter les 460 travailleurs de plus de 50 ans qui peuvent prétendre à une prépension. L’accord social prévoit la suppression de 1 250 emplois d’ici la fin juin. Ce nombre sera largement atteint. La preuve que l’espoir de trouver un repreneur avant la fin septembre - il y aurait pourtant 17 candidats - n’est pas fort partagé.

Il y a pourtant un homme qui ne baisse pas les bras. Cet homme, c’est Rudy Kennes, le délégué principal ABVV (FGTB en néerlandais). A Opel Anvers, c’est une star. Et plus seulement là. Sa réputation dépasse désormais les enceintes de l’entreprise. Son combat pour sauver Opel Anvers en a fait "un Bekende Vlaming". Le SP.A ne s’est d’ailleurs pas trompé : il l’a choisi pour figurer en quatrième place sur sa liste anversoise à la Chambre. " C’est une place de combat" , dit-il fièrement. Mais précise aussitôt : "Si je suis élu, je siégerai, mais je ne quitterai pas les camarades d’Opel. Je ne les abandonnerais pas en pleine tractation ." Rudy Kennes veut croire à un avenir pour Opel. " Je suis socialiste. Donc optimiste. Si tu restes assis dans ton coin, tu ne résous rien. Il y a un an, on nous disait que notre lutte était vaine. Mais Opel Anvers est toujours là ."

L’espoir n’est peut-être pas perdu pour Opel Anvers. Mais les certitudes se sont effondrées. Dans toute la Flandre. Longtemps, le nord du pays a fait partie des régions les plus prospères du monde. Il se croyait invincible. Année après année, la Flandre a pourtant reculé dans les classements internationaux évaluant les performances économiques. Mais elle a fait semblant de ne rien voir. Comme aveuglée par ses propres succès.

L’annonce de la fermeture d’Opel Anvers (2 600 travailleurs, sans compter les sous-traitants) l’a brutalement sortie de ses illusions. Un véritable électrochoc. Elle se découvre trop dépendante de son secteur automobile. Elle se rend compte que son économie supporte de moins en moins bien la concurrence des pays de l’est de l’Europe ou de l’Asie. Et qu’elle pèse peu face à des géants comme l’Allemagne ou l’Espagne qui ont des moyens puissants pour préserver leurs intérêts nationaux.

Le cas Opel est à cet égard emblématique. Mais pas isolé. Avant même que la crise économique mondiale ne se déclenche, la fabrication textile - autre fleuron de l’industrie flamande - avait été plongée dans le marasme. D’autres secteurs parmi les plus importants de Flandre ont été littéralement soufflés par le brutal retournement de conjoncture de 2008. Le nombre de chômeurs a augmenté de 64 % dans la métallurgie depuis 2007, de 44 % dans le transport, de 42 % dans la chimie. C’est le cœur de l’économie flamande qui est touché. Durement. Le nombre de chômeurs a augmenté de 27 % en deux ans alors que cette progression restait contenue à 5,4 % en Wallonie. En mars 2009, le nombre d’hommes au chômage dépasse celui des femmes. C’est historique. Entre mars 2008 et mars 2010, le nombre de jeunes au chômage a augmenté de 44 %. C’est exceptionnel.

Il n’en faut pas plus pour que la Flandre se mette à douter. Les pertes d’emploi sont-elles seulement dues à la crise ? L’économie flamande n’est-elle pas sur le déclin ? Une angoisse qui se rajoute à celle que fait peser un vieillissement de la population plus marqué qu’ailleurs. Des journalistes et des universitaires parlent désormais de "la wallonisation" de la Flandre. Ils ne sont pas contredits par les acteurs de terrain. " Il y a encore beaucoup de différences, analyse Ann Vermorgen, la responsable du comité régional flamand de la CSC. Mais on doit bien constater que la Flandre se met à ressembler à la Wallonie sur le plan de la structure économique : disparition d’importantes activités industrielles, chômage structurel élevé, économie tournée davantage vers les services que la production de biens. "

La Flandre a des atouts. Ses travailleurs sont qualifiés, productifs, flexibles. Elle bénéficie d’une situation géographique idéale et le port d’Anvers lui permet d’être en première ligne sur les marchés à l’exportation. " Mais nous devons faire attention à ne pas perdre ces atouts , professe Ann Vermorgen. Nous devons davantage investir dans la formation des travailleurs. Quant à l’avantage que procure notre position géographique, on peut le perdre à cause des embouteillages sur nos routes et le manque d’investissements dans les infrastructures routières ."

Les autorités publiques ont décidé de réagir. En 2009, le gouvernement flamand a réactualisé le plan "Vlaanderen in Actie" qui doit ramener la Flandre dans le Top 5 européen d’ici 2010. Et en février de cette année, le ministre-président flamand, Kris Peeters (CD&V), a inauguré les Etats généraux de l’industrie. Une fois n’est pas coutume, la Wallonie et son plan Marshall servent d’exemples. " Nous savons que des activités que l’on délocalise disparaissent pour toujours , commente Ann Vermorgen. Nous devons donc tout faire pour conserver l’activité industrielle sur notre territoire. Mais cela ne suffira pas. Nous devons aussi développer une vision stratégique pour l’industrie dans le futur. Il faut trouver des nouvelles niches. Comme en Wallonie où, avec le Plan Marshall, on a mis l’accent sur des pôles de compétitivité ."

Encore faut-il aller jusqu’au bout. " Nous sommes très forts pour rédiger des plans , s’inquiète Luc De Bruyckere, le patron de l’entreprise alimentaire Ter Beke. Mais beaucoup moins pour les réaliser. Notre gouvernement veut faire de la Flandre une plateforme logistique. Mais on a des problèmes énormes pour entrer à Anvers ou à Bruxelles. Et le gouvernement régional a mis douze ans pour décider de privilégier un tunnel plutôt qu’un pont dans le but d’améliorer la circulation automobile autour d’Anvers ."

Luc De Bruyckere explique que l’économie flamande est composée de beaucoup d’entreprises familiales. " Ces entreprises ont un actionnaire de référence, qui prend des décisions à long terme - et cela, c’est un grand avantage , explique-t-il. Mais nous comptons trop peu de grands fleurons comme Umicore, Bekaert ou Omega Pharma. Et nous sommes trop peu tournés vers l’exportation. On a encore trop peur de la globalisation ."

Pour Luc De Bruyckere, il faut redéfinir notre pacte social, conclu à une époque où les grands secteurs industriels - charbonnage, textile, sidérurgie - étaient florissants, où les travailleurs avaient la chance de pouvoir rester toute leur carrière dans la même entreprise, où les salaires évoluent avec l’ancienneté. "Mais, aujourd’hui, on est dans un monde globalisé, où il faut être flexible" , dit-il. Pour le patron des patrons flamands (Voka), ce nouveau pacte social ne se fera toutefois pas dans la Belgique actuelle. Luc De Bruyckere estime que les leviers principaux de l’économie - marché de l’emploi, fiscalité sur les entreprises, etc. - doivent être régionalisés.

Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité. Le banc syndical voit d’un mauvais œil cette poussée confédéraliste. " On peut améliorer la répartition des compétences actuelles , professe Ann Vermorgen. Mais, pour nous, on ne peut pas toucher à la solidarité entre tous les travailleurs de ce pays. Francophones et Flamands peuvent travailler ensemble. Notre organisation le prouve tous les jours ."

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