Laborderie : "Peut-être, un jour, faudrait-il demander leur avis aux Wallons"

Rudy Demotte, ministre-Président de la Wallonie, en a étonné plus d’un avec sa sortie nationaliste. Vincent Laborderie, politologue à l’UCL, spécialiste des nationalismes et séparations d’Etat, nous éclaire.

Entretien Laurent Gérard
Laborderie : "Peut-être, un jour, faudrait-il demander leur avis aux Wallons"
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Rudy Demotte, ministre-Président de la Wallonie, en a étonné plus d’un avec sa sortie nationaliste. Vincent Laborderie, politologue à l’UCL, spécialiste des nationalismes et séparations d’Etat, nous éclaire.

Quelle est votre réaction aux propos de M. Demotte ? 
Il n’a pas choisi le bon terme. Il parle davantage de fierté wallonne, d’identité. Dans le nationalisme, il y a l’aspiration à créer ou représenter une nation. En Flandre, une part de la population veut qu’une nation flamande existe. Côté wallon, s’il existe un mouvement régionaliste, je ne connais pas, à part des mouvements très marginaux, de gens qui veulent remplacer la nation belge par une nation wallonne. 
Il distingue nationalismes ouvert (wallon) et fermé (flamand). 
Le nationalisme suppose la définition d’un groupe qui inclut des individus mais dont d’autres sont, de facto, exclus. Mais le nationalisme "ouvert" a pour volonté d’intégrer des étrangers dans la communauté nationale à condition que ceux-ci acceptent un certain nombre de choses (comme la pratique de la langue). En ce sens le nationalisme flamand (ou en tout cas une partie de celui-ci) peut être qualifié d’ouvert. Quand Bart De Wever est devenu président de la N-VA, il a instauré les Eperons d’ébène, qui récompensent une personne d’origine étrangère pour sa bonne intégration. 
Le nationalisme n’est-il pas, par définition, négatif ou destructeur d’autre chose ? 
On peut mettre ce qu’on veut dans le terme nationalisme mais ce n’est pas dangereux par définition. Cela peut aussi être simplement l’affirmation d’une identité. Cette identité flamande peut très bien s’épanouir dans un cadre belge, éventuellement redéfini. 
Mais si le but est l’émergence d’une nation, le nationalisme ne suppose-t-il pas une opposition ou une destruction de l’ensemble dont on fait partie ? 
Le problème, dans le nationalisme, c’est qu’on postule une identité nationale ou une nation qui est exclusive des autres. Or, en Belgique, toutes les études le montrent, les identités ne sont pas exclusives. Même en Flandre, une immense majorité de gens se sentent à la fois flamands et belges. Sachant cela, le terme nationalisme est-il le bon mot ? Je ne pense pas, surtout en Wallonie. M. Demotte resitue ses propos dans un contexte historique de volonté d’émergence d’une identité wallonne. Mais peut-être, un jour, faudrait-il demander leur avis aux Wallons. Se sentent-ils vraiment wallons ? Veulent-ils que cette identité soit promue ? L’identité wallonne est quelque chose d’assez évanescent, qui se mêle à l’identité locale, provinciale et belge. 
Pour M. Demotte, le nationalisme de gauche est bon, et celui de droite est mauvais. 
A l’origine, le mouvement nazi est aussi un mouvement social, qui a des aspirations de gauche. Et dans le monde, il y a bien des nationalismes de gauche : au Pays basque, au Québec, en Catalogne ou en Ecosse. Le nationaliste peut être de droite ou de gauche. Ce qu’il veut désigner par là, c’est l’aspect inclusif des étrangers ou non. Mais cela n’a rien à voir avec la gauche ou la droite. 
Pensez-vous qu’avec ces propos, il va fâcher la Flandre ?
Je ne sais pas. Par contre, il est possible que les nationalistes flamands saisissent la perche et disent, comme lorsque le plan B était évoqué côté francophone : "Voyez, les francophones deviennent nationalistes. Ils ont leur projet national. Il faut faire comme eux. Allons-y." 
Cela pourrait donc servir les intérêts de la N-VA ?
Oui. Enfin, c’est à voir. Ce qui amusant, c’est qu’il y a quelques jours, certains accusaient le MR d’être l’allié de la N-VA. Et maintenant on a un peu l’impression que c’est le PS qui rentre dans le jeu des nationalistes.
Rudy Demotte est également ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais il parle de nation wallonne, pas francophone. 
Oui, c’est interpellant, même si on imagine qu’il parle ici avec sa casquette wallonne. Mais cela signifie-t-il que "le projet national" wallon exclut les Bruxellois ? Ou bien qu’il doit d’abord se construire et que les Bruxellois l’intégreront éventuellement ? Ou qu’ils y seront intégrés ? On revient là au dilemme qu’ont toujours eu les francophones : privilégier les Régions ou la Communauté ? Les déclarations de M. Demotte sont peut-être une manière de tenter de clarifier cette question, au profit des Régions. Ce qui est remarquable aussi, c’est que M. Demotte dit que le nationalisme wallon ne se construit pas par rapport à un autre. Mais il définit le nationalisme wallon en le différenciant du nationalisme flamand. C’est une démarche typiquement nationaliste qui consiste à se définir en opposition à l’autre. 
En conclusion ? 
En Belgique, il n’y a pas de nation. Ni belge ni flamande, encore moins wallonne. Au lieu de parler de nations et de nationalisme, on ferait mieux de parler d’identités, de sentiments d’appartenances. On pourrait alors discuter de manière plus apaisée, et laisser le nationalisme et son vocabulaire aux vrais nationalistes. 
Mais Rudy Demotte aurait alors moins fait parler de lui… 
C’est sûr (rires). Mais les responsables wallons mettent la charrue avant les bœufs. Un jour, Paul Magnette a dit qu’il fallait une fierté wallonne, parce que la Flandre s’est redressée en se basant sur cette fierté. Mais c’est à partir du moment où une région se développe économiquement que la population prend confiance en elle et manifeste un sentiment d’appartenance plus fort. C’est le cas de la Catalogne et de la Flandre, même si ce sont des entités anciennes.

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