“Un Etat chimérique et pas viable”
Tandis que sur Bruxelles, le discours de la N-VA n’est rien d’autre qu’un leurre…
Publié le 31-10-2013 à 06h46 - Mis à jour le 06-11-2013 à 08h58
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L’éclairage à chaud d’un juriste, mercredi soir. Christian Behrendt est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Liège.
Cet avant-programme communautaire de la N-VA vous surprend-il ?
Pour un parti séparatiste, pas du tout. Même s’il ne va pas jusqu’au bout de sa logique, il la dessine de manière inéluctable. Si l’on regarde les autres Etats fédéraux sur l’ensemble de la planète, celui qui a le plus faible degré d’intégration est certainement la Bosnie-Herzégovine. Or, le plan de la N-VA est encore en deçà de la situation de la Bosnie, que la littérature scientifique internationale dit déjà assez insuffisante pour craindre sa désagrégation !
En deçà, à quels égards ? Ce qui resterait comme compétences à l’Etat ?
Oui, même l’autorité centrale de Bosnie a des prérogatives encore plus importantes que ce que laisserait la N-VA au niveau belge. La défense ? Mais cela va sans le dire alors que nous dépendons de l’intégration dans l’Otan. La TVA, seul impôt fédéral ? Mais c’est le plus intégré au niveau européen, et plus de 90 % de ses recettes vont déjà aux entités fédérées… Je pense aussi aux structures projetées. Même la Bosnie a un Parlement élu directement, contrairement au modèle proposé. Ce qui délégitimerait le modèle national, n’existant plus que par le truchement d’élus directs fédérés. Symboliquement, c’est très fort.
La Bosnie, pour y rester, n’a pas non plus de Premier ministre…
C’est vrai, la Bosnie a un collège, par présidence tournante. Là, on s’en rapprocherait. Mais la Bosnie n’a pas de Premier ministre faute de consensus. Et évidemment, on voit bien l’inhérente fragilité d’un pays sans chef de gouvernement !
Où se situerait-on encore en théorie, dans l’écheveau classique fédéralisme/confédéralisme/séparatisme ?
Je ne vois aucun pays qui aurait ou aurait eu un tel modèle en y survivant durablement. Cela ressemble à un avion sans carburant (pas de fiscalité ou de sécurité sociale), sans pilote (pas de chef de gouvernement), sans plan de vol (puisqu’il n’y a aucun projet d’avenir). Je ne conseillerais à personne d’embarquer, c’est un avion auquel il ne peut qu’arriver malheur.
Pourquoi un tel modèle, alors que la N-VA doit savoir qu’il ne constitue par une base de travail plausible ?
Le 16 septembre, la commission européenne a averti les entités fédérées qui aspireraient à l’indépendance qu’elles ne feraient plus partie de l’Union. Economiquement, ce serait une catastrophe. Et la reconnaissance internationale serait très ardue. La N-VA en tient compte en ne franchissant pas le dernier pas, tout en vidant en interne l’Etat de toute substance. Au point de le laisser chimérique et pas viable.
Politiquement insupportables, des sous-nationalités à Bruxelles seraient-elles, techniquement, concevables ?
Oui jusqu’à un certain point, dans des domaines comme les prestations et allocations sociales. Mais vous ne pouvez pas avoir, dans la même ville, deux corps de pompiers, deux polices, deux politiques et justices criminelles, deux politiques d’immigration… Quand on court après un malfaiteur, on connaît son régime linguistique ? Et qu’en serait-il de tous ceux que l’on ne pourrait qualifier de sous-nationaux ni francophones, ni néerlandophones ?
Si le sous-national s’avère ainsi impossible, si par ailleurs la Région bruxelloise est niée, et si on n’imagine pas que le fédéral puisse reprendre des compétences à Bruxelles, la N-VA fait aveu qu’elle ne sait pas comment gérer la capitale !
Point fondamental. La position de la N-VA est un leurre conceptuel. Il est facile de tenir un discours radical. Mais il n’y a qu’un pas vers le caricatural ou l’irréfléchi, qui ici est allègrement franchi.