Louis Michel : "A la droite du MR ? Populistes, racistes, râleurs, sans vision..."
A la veille du référendum en Crimée (Ukraine), le député européen et ancien ministre des Affaires étrangères évoque la stratégie de Poutine, le positionnement de l’Otan et l’impuissance de l’ONU. Probable tête de liste MR aux Européennes, il fustige "la domination et le déni de réalité du PS", les petits partis à la droite du MR et ceux qui critiquent Maggie De Block. Louis Michel est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
Publié le 19-04-2014 à 16h22
A la veille du référendum en Crimée (Ukraine), le député européen et ancien ministre des Affaires étrangères évoque la stratégie de Poutine, le positionnement de l’Otan et l’impuissance de l’ONU. Probable tête de liste MR aux Européennes, il fustige "la domination et le déni de réalité du PS", les petits partis à la droite du MR et ceux qui critiquent Maggie De Block.
Louis Michel est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
Vous avez dit être "disponible" pour la tête de liste MR aux Européennes. La décision tombera quand ?
A mon avis, assez rapidement. On attend que les listes régionales et à la Chambre soient suffisamment avancées. J’ai dit ma préférence pour l’Europe. Ils en feront ce qu’ils en voudront, mais… je pense que cela ne devrait pas poser problème. Je ne veux pas faire de commentaire là-dessus avant que cela ne se fasse ou soit acté.
Partagez-vous l’analyse du Président du MR qui affirmait que le PTB pouvait être un vote utile ?
Oui, je partage toujours - assez largement - ce qu’il dit. (rires) Le PTB peut être un vote utile… si on est à gauche ! Mais vous savez, là, on est dans le registre des formules…
Selon notre dernier Baromètre, environ 12% des voix iraient à des listes à la droite du MR. N’est-ce pas un signe que le MR n’est pas parvenu à séduire ou fidéliser une partie de l’électorat de droite ?
Je crois que le gros des troupes du MR n’est pas fait de gens qui se définissent par rapport à l’axe gauche-droite. Les électeurs du MR sont beaucoup plus modernes et progressistes que cela. Très largement, nos électeurs sont des gens qui travaillent, ne demandent rien à personne, sont libres et travaillent pour cela. Les gens du MR ne sont pas des racistes, des xénophobes, des gens qui excluent… Ce sont par contre des gens qui veulent accueillir ceux qui respectent les règles de notre société. Nous sommes très attachés à la séparation des pouvoirs et à l’impartialité de l’Etat, le seul modèle qui garantit la liberté religieuse et philosophique. Faut donc pas demander au MR de tenir des propos racistes, nous ne le sommes pas.
Pas forcément racistes, mais avec un discours de droite…
Mais, c’est quoi un discours de droite ? Si cela signifie qu’il faut limiter le chômage dans le temps, je vous répondrai "NON" avec la même force que les socialistes. Car je pense que dans la période économique actuelle, nombreux sont ceux qui veulent travailler mais ne trouvent pas d’emploi.
Mais le gouvernement fédéral, dont le MR fait partie, l’a pourtant décidé...
On l’a fait pour encourager à chercher un emploi ou faire une formation. Il est clair que nous avons un problème moral face à un jeune chômeur qui refuse une formation. Vu que cela coûte énormément d’argent, ce n’est rien d’autre qu’une justice sélective, car cela ne nous permet pas d’aider – comme on le voudrait – des pères de famille par exemple. Je ne me sens pas à droite. Je suis pour l’économie de marché qui permet à ceux qui travaillent de s’assumer eux-mêmes. Cette économie ne peut fonctionner s’il n’y a pas un Etat qui établit des règles. Comme disait notre ancien ministre libéral Robert Henrion : "L’Etat à chaque carrefour, mais pas à chaque volant !" C’est ma conception…
La droite du MR ne vous inquiète vraiment pas ?
Faut dire que notre droite est une collection assez dérisoire de gens populistes, intellectuellement malhonnêtes, racistes, xénophobes,… C’est un bouillon de culture de râleurs, racistes, nationalistes et de "Il n’y a qu’à…". Ce sont des gens qui n’ont pas de vision. Ils ne visent pas la construction d’une société équilibrée ou avec une cohésion sociale.
Concernant un éventuel ministre-président bruxellois MR, vous avez dit que le choix entre Didier Reynders ou Vincent De Wolf dépendra des électeurs. En clair, le meilleur score l’emportera ?
Non, je n’ai pas dit cela dans ces termes. Ce n’est pas un concours de beauté entre deux personnalités. Didier Reynders est candidat à la Chambre. Vu que c’est un excellent ministre et vice-Premier, les gens le voient à une très haute fonction où qu’il soit. Au lendemain des élections, c’est la règle, il appartiendra au président de parti de faire le choix à partir des signaux des électeurs. Pour cela, il faut connaître les résultats électoraux. Je crois d’ailleurs que le MR se comportera très bien à Bruxelles grâce à la qualité d’hommes comme Reynders et De Wolf. Il y a peut-être eu des malentendus, mais là, ils travaillent main dans la main.
Laurette Onkelinx affirme que voter MR (qui s’allierait - selon elle - à la N-VA), c’est opter pour le karcher social. Ce genre de déclarations vous choque ?
Elles me peinent, d’autant que j’ai toujours eu de bons contacts avec elle. Mais il est vrai qu’elle fait parfois dans l’exaltation sémantique. Ils nous ont un jour sorti le terme "bain de sang social"… j’ai envie de dire qu’avec la domination du PS on risque le bain de sang fiscal. Surtout s’ils continuent à dominer la politique francophone, malgré qu’ils n’aient même pas un tiers des voix. Le vrai problème, c’est la balkanisation en face… S’il y avait une vraie force centriste, le PS pratiquerait sans doute un peu moins l’insolence verbale. Madame Onkelinx devrait, comme d’autres socialistes européens, enfin comprendre qu’il est impossible de préserver notre modèle social - auquel on tient TOUS tant - sans création de richesses. Si vous tapez toujours sur ceux qui travaillent et les classes moyennes, vous ne pourrez plus alimenter votre spirale sociale. Contrairement aux socialistes, je ne suis pas dans le déni.
Prenons une mesure. Contrairement au PS, vous êtes opposé à l’imposition des loyers.
Evidemment, car qui vise-t-on avec une telle mesure ? Le pensionné ou le petit indépendant. Ca sert à qui de leur faire peur ? Ce sont des mauvais signaux qui ralentiront les investissements… Tout comme quand monsieur Magnette dit – avec une grande légèreté – qu’il va donner des repas chauds à tous les enfants. C’est un signal dramatique, d’autant qu’on sait très bien que c’est impayable… Inutile de rappeler l’extraordinaire divagation entre la Cour des Comptes et monsieur Antoine (cdH) sur la dette. Avec plus de 11 milliards de dette, on est déjà au-delà du supportable. Et quoi, mes propres petits-enfants recevraient des repas chauds gratuits ? A Charleroi, Magnette a augmenté les prix des repas. Ils nous disent aussi qu’ils vont engager 1.000 enseignants, alors qu’en 1996 Onkelinx en a dégagé 3.000 ! Tout cela est-il vraiment cohérent ?
Vous seriez prêt à négocier ces mesures ?
Je suis prêt à parler et discuter de tout, mais faut arrêter de prendre les gens pour des naïfs ! Ce genre d’annonce fait un énorme tort à la classe politique. Ils sont tout le temps dans le déni. La preuve, face à notre réforme fiscale de 5 milliards d’euros, ils nous accusent de plein de choses sans même lire nos propositions. Qu’on en débatte, d’autant qu’on est ouvert à la discussion. Est-ce criminel de vouloir fusionner des sociétés de logements dans une même ville ? Moi, je peux admettre les critiques. Je suis un libre-exaministe, comme eux soi-disant. Je plaide pour un débat dépassionné, où l’on échange nos propositions de manière objective.
En parlant de débat passionné, quel est votre regard personnel sur Maggie De Block (Open VLD), personnalité qui ne cesse de grimper dans les sondages et qui est aussi très fortement critiquée à gauche ?
Maggie De Block est une femme extraordinaire, exceptionnelle ! On rêverait d’avoir plus de telles personnalités en politique. C’est quelqu’un d’humain et de juste. Dans des dossiers aussi difficiles, on a trop eu l’habitude de ne pas pratiquer l’équité et le respect des règles. Je peux vous dire qu’elle applique les lois avec une grande humanité. Médecin de profession, simple et intelligente, c’est une femme inattaquable. Elle fait le travail que le gouvernement lui a confié. Peut-on lui reprocher d’appliquer à la lettre l’accord de gouvernement ? Son attitude a aussi l’avantage d’enlever des arguments à des racistes sordides…
Que dites-vous aux électeurs MR qui – suite au divorce – sont tentés par un vote FDF ?
A en croire les sondages, il n’y en a pas beaucoup ! Je ne suis pas un anti-FDF, mais je vois davantage de libéraux revenir vers nous. Je leur dis qu’ils déforceront leur projet, car l’accord du gouvernement est un très bon accord pour les francophones. Je respecte monsieur Maingain, mais sa stratégie de dire non à tout ne va pas de pair avec ma volonté de permettre à mon pays de survivre. Il est impératif d’intégrer la réalité et les attentes des autres. Puis, plus de compétences aux Régions va mettre la Wallonie face à ses responsabilités. Mais voilà, si vous persévérez dans la logique de ne pas être un parti de gouvernement fédéral, vous ne pouvez que vous retrancher sur vos certitudes, votre cynisme et le refus du compromis. Un bon accord est un accord équilibré, avec des concessions… où tout le monde se retrouve. Cela dit, le FDF ne m’inquiète aucunement.
Ce dimanche se tiendra en Ukraine un référendum sur l’autonomie ou le rattachement russe de la Crimée. Les Occidentaux ont-ils sous-estimé la stratégie de Vladimir Poutine ?
Je ne le crois pas. Tous les observateurs de la politique internationale connaissent très bien la stratégie et la politique de Poutine, soit le regroupement des pays postsoviétiques. L’Ukraine, qui se situe au centre de l’axe ouest-est, occupe une position géostratégique importante dans ce scénario. Dans son esprit, Poutine offre à ce pays les avantages d’une alliance sans avoir à en payer les conditions. L’Europe impose des conditions contraignantes pour les oligarques ukrainiens, comme la lutte contre la corruption. Poutine a le sentiment - pas toujours à tort - que l’Union européenne détermine sa politique de manière peu intégrée, sans parler d’une seule voix et sans tenir compte de ses propres intérêts. Individuellement, les grands Etats tels que la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne font dans la posture, comme s’ils étaient encore de grandes puissances… Poutine a aussi le sentiment que l’Union calque ses positions par rapport à la Russie sur les Etats-Unis.
Cela alimente une rancœur ?
Oui, car cela nourrit une sorte de sentiment d’humiliation, et ce, depuis la chute du Mur. Nous donnons encore l’impression aux Russes d’être dans un monde binaire avec des pro- et anti-Russes.
Dans le domaine de la défense, l’Otan serait le symbole de ce modèle binaire ?
Clairement, j’ai toujours souhaité changer cela, car s’il y a un partenaire avec qui l’Europe doit avoir de "bonnes" relations, c’est la Russie. Ce pays peut jouer un rôle considérable, car c’est une puissance géostratégique eurasiatique. La vérité, c’est qu’on n’a pas de politique étrangère européenne. On continue à gérer les concepts du passé avec un monde qui a changé. Clairement, on n’a pas pris la mesure de la Russie. Je ne justifie pas l’action de Poutine, mais pouvait-on vraiment s’attendre à autre chose ? Mais là, il pousse un scénario totalement illégal ! Il n’y a plus de droit international possible si une région décide de prendre son indépendance sans en référer au pouvoir fédéral de son Etat. Ce référendum est une violation du droit.
Comment sortir d’une telle impasse ?
On ne pourra préserver l’intégrité de l’Ukraine qu’en passant par une autonomie très poussée de la Crimée avec des garanties pour les minorités. Il faudra en parallèle prévoir des aides pour permettre à l’Ukraine de s’en sortir économiquement.
Quand on voit l’Ukraine, la Corée du Nord, la Syrie,… on se dit que la Conseil de Sécurité de l’ONU n’a plus aucun pouvoir.
Tout simplement parce que ses membres, à commencer par les Etats-Unis, ne lui donnent pas les moyens de sa raison d’être. J’ai toujours plaidé pour des réformes des institutions des Nations-Unies. Le Conseil de Sécurité est un relief de la guerre qui ne colle plus avec les réalités nouvelles. Où est l’Afrique ? Où est le siège unique de l’Union ? Regardez la France qui s’engage militairement au Mali, où ses intérêts économiques sont en réalité très limités, elle ne reçoit aucun soutien des autres pays européens. Alors, qu’elle y lutte contre les fondamentalistes et terroristes… Ca concerne toute l’Europe ! Si on laisse la mérule fondamentaliste se propager en Afrique, c’est ici qu’on en paiera le prix. Et personne ne bronche. Comment voulez-vous ainsi jouer un rôle majeur sur le plan mondial ?
Une interview de Dorian de Meeûs