Steve Stevaert, sans compromis jusqu'au bout (PORTRAIT)

Son succès, Steve Stevaert le devait beaucoup à sa faculté de faire croire qu’il s’est retrouvé par hasard en politique. Et de comprendre avant tout le monde ce qui préoccupe les gens. C’est un empirique, un pragmatique qui détonne dans un parti volontiers intello. Portrait.

Portrait | Vincent Rocour

Argent, sexe et politique. On sait le mélange détonant. Il a emporté Steve Stevaert, dont le corps a été retrouvé, ce jeudi, dans le canal Albert à Hasselt. Une disparition qui intervient quelques heures après son renvoi devant le tribunal correctionnel de Bruxelles dans une affaire de mœurs remontant à septembre 2010. Et qui suit une autre affaire privée dans laquelle il se disait victime de chantage - une affaire qui avait éclaté, elle, en 2011.

Ces années-là, 2010 et 2011, auront été manifestement des années charnières pour celui qu’on nommait encore "Stevie Wonder" quelques années plus tôt. A partir de ce moment-là, Stevaert ne verra pas seulement son nom à la rubrique des faits divers des journaux. Il verra aussi ses amis le lâcher les uns après les autres. Et les médias, qui l’ont porté aux nues pendant dix ans, se retourner contre lui.

On le décrit soudainement comme un affairiste, obnubilé par l’argent. On se demande s’il n’a pas quitté son poste de gouverneur de la province de Limbourg, en 2009 et à la surprise générale, parce qu’il jugeait son salaire insuffisant. Dans une longue enquête parue en novembre 2011, l’hebdomadaire "Humo" s’interroge aussi sur le rôle qu’il a joué dans la vente de la prairie où se tient le festival Pukkelpop au groupe limbourgeois Machiels. Et se demande si cette vente n’a pas un lien avec sa nomination en 2010 comme président du Conseil de surveillance du projet "Dinh Vu" dans le port vietnamien de Hai Phong. Un projet dans lequel on retrouve le groupe Machiels.

La suspicion

Il faut dire qu’après sa retraite politique précoce, Steve Stevaert multiplie les mandats publics et semi-publics. Il semble être partout. Il préside le conseil d’administration de l’assureur Ethias jusque fin 2008. Il est nommé président du conseil d’administration d’Infrax, une institution intercommunale de distribution, en 2010. Il entre au conseil d’administration d’Elia, le gestionnaire du réseau de transport de l’électricité, en 2011. La même année, il devient le directeur du guide culinaire "GaultMillau" pour le Benelux. Une façon, sans doute, de se rappeler qu’il a commencé sa carrière professionnelle dans l’Horeca. Comme garçon de café, dira-t-il. Comme homme d’affaires surtout. S’il a fait la plonge étant jeune, c’est en achetant et revendant les établissements qu’il a forgé sa réputation.

Les suspicions et l’exposition médiatique de sa vie privée l’épuiseront. Des drames familiaux finiront par le submerger - son frère se suicide en 2011. En décembre de cette année si funeste pour lui, il démissionne de tous ses mandats. Il s’efface. En juillet 2013, on le retrouve à la tête d’EthiasCo, une coopérative créée en vue de renforcer le capital de l’assureur. Mais ce retour aux affaires ne lui permettra pas d’échapper à la fatalité.

Champion en voix

Quelle fin tragique pour cet homme politique qui fut pourtant l’un des plus populaires de Flandre. Avec ses 600 000 voix acquises le 18 mai 2003, il devient pratiquement l’égal des Leo Tindemans, Yves Leterme et Bart De Wever. N’importe qui d’autre que lui se pousserait du col, jouerait les champions de foire. Pas lui. Face caméra, il simule la modestie. Il fait celui qu’il faut pincer pour ramener à la réalité. "J’ai toujours dit qu’il ne fallait pas croire les sondages. Je me demande maintenant s’il faut croire les résultats." Une posture.

Mais, franchement, qui aurait pu penser que cet homme d’apparence affable, au phrasé lent et hésitant, deviendrait un jour l’homme politique le plus adulé de Flandre ? Personne. A part Willy Claes, son mentor, qui est venu le chercher en 1982. Et lui-même qui ne doutait pas qu’il réussirait en politique comme il a réussi en affaires.

Et de fait. Il empilera les mandats politiques à la vitesse de l’éclair : conseiller provincial en 1985, député fédéral en 1989, bourgmestre en 1994, député régional en 1995, ministre régional en 1998, vice-Premier flamand en 1999. Puis, après les élections qui ont vu son triomphe, il devient président du SP.A.

Un démagogue de gauche

Ce succès, il le devra beaucoup à sa faculté de faire croire qu’il s’est retrouvé par hasard en politique. Et de comprendre avant tout le monde ce qui préoccupe les gens. C’est un empirique, un pragmatique qui détonne dans un parti volontiers intello. Comme bourgmestre, il impose la gratuité des transports publics dans sa ville. Comme ministre, il concrétise la suppression de la redevance radio-télé en Flandre. Pendant la campagne qui a vu son succès, il publie un bouquin de cuisine ("Koken met Steve") qui fait un tabac alors que les livres militants des autres ténors de la classe politique flamande font un flop. C’est démagogique. Mais cela plaît.

Il aurait sans doute pu avoir une carrière politique immense. Il a lui-même décidé de devenir gouverneur de province et de quitter ainsi la vie politique sur la pointe des pieds. Il avait à peine 50 ans. Il n’a rien fait comme les autres.

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