Joëlle Milquet nuit-elle plus au CDH que ce qu’elle ne lui rapporte ?
Tout politique traverse une série noire durant sa carrière. Mais celle de Joëlle Milquet est exceptionnelle par son intensité et sa durée. Portrait.
Publié le 22-01-2016 à 22h34 - Mis à jour le 23-01-2016 à 07h44
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Une réunion du gouvernement de la Communauté française, au printemps 2015. Les ministres dissertent des coups durs de la vie politique. Joëlle Milquet (CDH) intervient : "Arrêtez de me parler d’annus horribilis, regardez plutôt la mienne !" Et la ministre de l’Education et de la Culture égrène : le plan Wathelet (survol de Bruxelles) qui a miné la campagne électorale des humanistes bruxellois; des soucis familiaux; les démissions au sein de son cabinet pour incompatibilité d’humeur; l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui a nécessité la création du "cours de rien"…
Tout politique traverse une série noire durant sa carrière. Mais celle de Joëlle Milquet est exceptionnelle par son intensité et sa durée. Dans la liste, non exhaustive, ajoutons les perquisitions à son cabinet; les fuites lors des examens de juin; la polémique autour de la fermeture des écoles bruxelloises lors de la menace terroriste et celle sur les "safe rooms"; sa définition surprenante du terrorisme (elle évoquait une "hystérie mortifère démoniaque"); les couacs autour du "décret fourre-tout"; et récemment des brouilles avec la RTBF (les émissions non encore diffusées "Au tableau" et "7 à la Une").
"Humainement, c’est dur pour elle", confient des proches. L’émission "Au tableau", où elle n’a pas pu répondre à des questions de culture générale, a été l’épisode de trop parce que, disent des sources, la polémique a rebondi jusqu’au sein de l’école de ses enfants. "On la fait passer pour une star offensée, pour une andouille, alors que c’est complètement faux et injuste. De l’humour, elle en a. Et personne ne peut nier qu’elle est intelligente. Que l’on remette en doute ses compétences, ça, oui, ça la blesse."
Elle n’écoute plus grand monde
Au sein du parti, on pointe cependant les effets négatifs de la séquence médiatique dans laquelle l’ancienne présidente est plongée depuis 18 mois. "Ça ne nous aide pas, on n’arrête pas de se moquer de nous. Quand on écoute les gens, c’est comme si on ne faisait rien de bon, s’irrite un Bruxellois. Le problème, c’est que, plus on l’attaque, plus elle se braque, et moins elle écoute les autres". "C’est vrai, abonde un ancien compagnon de route, elle n’écoute plus grand monde, et c’est de pire en pire".
"C’est sûr qu’elle a un caractère fort, poursuit une huile du parti. A certains moments, elle pète un câble". Un exemple. Un jour de printemps 2015, elle agressa verbalement un cabinettard socialiste en lui disant : "Vous me faites chier laïcards de merde". C’était au moment des délicates discussions sur le "cours de rien" et le cours de citoyenneté entre PS et CDH, partenaires de majorité.
"Elle a toujours fonctionné comme ça, à l’artillerie lourde, explique un proche, sans vouloir l’excuser. Elle énerve tout le monde, mais elle a toujours énervé. Ça ne va jamais assez vite pour elle; ses collaborateurs se sentent parfois frustrés, voire humiliés de ne pas avoir été consultés; elle croit qu’elle a toujours raison…"
Son caractère versatile est aussi pointé du doigt. Et avec le président Benoît Lutgen, la relation n’est pas toujours évidente. "Quand ils ne sont pas d’accord, il y a en toujours bien un qui quitte la pièce en râlant. Une fois, c’est même arrivé qu’ils partent tous les deux…" Mais entre eux, "ce n’est pas la guerre", leur relation est très correcte, "animée par l’intérêt du parti".
Côté pile
Voilà pour le côté face de la personnalité de Joëlle Milquet. Sa face sombre. Le côté pile, celui de ses qualités - "elle a les défauts de ses qualités" - est mis en exergue par ses collègues. Tous, absolument tous, soulignent sa force de travail et sa capacité à faire "bouger les lignes". "Elle est vraiment balaise, dit ce cabinettard, pourtant pas un défenseur de la ministre. Elle va même réussir à réformer le décret inscription, alors qu’on a eu deux ministres qui se sont cassé les dents dessus" (Marie-Dominique Simonet et Marie-Martine Schyns).
"Les attaques contre elle, c’est aussi parce qu’elle engrange", poursuit notre interlocuteur. Selon un autre, il faut y voir "une stratégie de communication" pour fragiliser le CDH. Les critiques viendraient singulièrement du MR, mais aussi du PS de la ville de Bruxelles où le bourgmestre Yves Mayeur et elle sont à couteaux tirés.
Et puis, "ce qu’on dit d’elle, sur son caractère, c’est largement excessif, c’est à mille lieues de la réalité", dit l’un de ses fervents soutiens. Selon une autre, "elle a une faculté rare à mobiliser ses troupes et à les motiver. C’est vrai qu’elle veut tout contrôler. A l’époque, il y avait parfois la file devant son bureau pour faire valider les dossiers, sourit-elle, mais c’est valorisant de voir qu’on porte de l’attention à votre travail".
Bien en place
Finalement, ce baron résume bien le "dilemme Milquet" : "Sur le plan du résultat ministériel, elle fait bouger les lignes. Maintenant, la façon dont elle les fait bouger est un peu mouvementée…" Et si aujourd’hui sa méthode bulldozer et son caractère fort posent plus de problèmes que par le passé, nous dit-on, "c’est parce que le contexte a changé". Elle n’est plus présidente de parti, l’enseignement est un milieu complexe à réformer, et elle a perdu le prestige de la fonction de vice-Premier.
D’où la question : Joëlle Milquet nuit-elle plus au CDH que ce qu’elle ne lui rapporte ? "Elle est nuisible au parti", tranche l’un de ses adversaires au sein du CDH. Mais, globalement, au parti, les avis sont nuancés. "Elle nous fait perdre des plumes petit à petit, mais si on l’écarte, ça risque de nous poser encore plus de difficultés". Selon un député, "la seule jauge intéressante, ce sont les élections". Et pour l’instant, elle reste la personnalité CDH faisant les meilleurs scores à Bruxelles et la plus populaire dans les sondages.
En plus, seule la ministre Céline Fremault semble en mesure de lui contester son leadership au CDH bruxellois, mais ça n’est apparemment pas dans ses intentions. "Céline Fremault a un peu pris ses distances avec Joëlle Milquet, mais elle ne lui plantera jamais un poignard dans le dos. Elle lui doit trop de choses."
Fremault, Lutgen, mais aussi les ministres wallons Di Antonio et Prévot ou encore la chef de groupe à la Chambre Catherine Fonck, tous ceux-là - les ténors actuels du parti - sont des anciennes ouailles de Joëlle Milquet. Ils lui sont tous redevables à des degrés divers.
Pour l’instant, au CDH, il n’y a pas de signes visibles montrant le souhait de l’écarter. Au moment de la désignation des ministres CDH à l’été 2014, l’ancien ministre fédéral Melchior Wathelet, en conflit avec Joëlle Milquet sur la question du survol de Bruxelles, avait dit à Benoît Lutgen : "C’est elle ou moi". Il a quitté la politique en avril 2015. Elle est toujours dans la place.
Il faudra donc encore compter avec elle. "On tirera le bilan de son action dans un ou deux ans, conclut ce décideur. Si elle apprend à ne plus surréagir à chaque polémique et si elle fait aboutir le pacte d’excellence pour l’enseignement, ce sera tout profit pour le CDH".