Joëlle la stupéfiante, Maggie l’iconique, Elio le revanchard, Yvan le clivant...
Sans concession, Nicolas Baygert décrypte la communication déployée par les principaux leaders politiques belges. Cet enseignant de l'ULB et de l'Ihecs porte également un regard très critique sur les syndicats qui "continuent à défendre leur modèle, qui est un reliquat d'une tranche d'histoire". Nicolas Baygert est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Publié le 23-01-2016 à 11h45 - Mis à jour le 24-01-2016 à 10h26
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Une pile d'examens repose sur la table du salon de Nicolas Baygert. Pour cet enseignant de l'ULB et de l'Ihecs, la période est évidemment chargée suite aux épreuves de janvier. Ce trentenaire loquace a cependant dégagé un peu de temps pour décortiquer, sans concession, la communication déployée par les principaux leaders politiques belges. Il porte également un regard très critique sur les syndicats qui "continuent à défendre leur modèle, qui est un reliquat d'une tranche d'histoire". Nicolas Baygert est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
En relançant les débats sur l'avenir institutionnel belge, Bart De Wever peut-il réellement rassurer son propre électorat et le mouvement flamand ?
C'est une stratégie de survie idéologique pour le projet politique de la N-VA. Jean-Pierre Rondas, qui gère Doorbraak.be (NdlR : un site web flamingant), disait dernièrement que si la N-VA continuait à se taire sur le communautaire, elle finirait par perdre sa raison d'être. Des signaux rassurants doivent être envoyés au mouvement flamand. Contrairement à d'autres formations, la N-VA a ce luxe de disposer d'une identité politique forte voire d'un projet de société. Elle se doit de préserver ce capital qui constitue son "core business". Bien qu’au pouvoir au fédéral, la N-VA doit donc revenir aux fondamentaux à travers la voix de son président pour prouver que son offre politique reste d’actualité. Une situation identique se poserait si un PS au pouvoir disait "pendant 5 ans on met le social au frigo" ou un Ecolo "pas d'environnement".
En intervenant de la sorte, De Wever est perçu par l'opposition comme "le vrai Premier ministre".
On reste dans un gouvernement de coalition et la fusion de partis ne semble pas à l’ordre du jour. Dans son rôle de Premier ministre, Charles Michel privilégie l'action en temps réel. Bart De Wever, lui, fonctionne certes sur une "stratégie du coup d'éclat permanent" avec des sorties qui lui permettent d’accaparer l'attention médiatique et politique. Mais comme président de parti, il est également garant d’un agenda politique particulier, une vision institutionnelle sur le long terme. Même si les médias les mettent volontiers en concurrence, je dirais qu’entre Michel et De Wever, il y a surtout une volonté de ne pas se marcher sur les pieds.
PS, CDH, Ecolo réagissent de façon virulente à chaque déclaration de Bart De Wever. Est-ce nécessaire de se positionner contre lui ?
Je ne crois pas que ce concert d'indignations soit réellement profitable. Il participe même à sa stratégie de médiatisation. En début de législature, on a assisté à une mise en scène orchestrale de l'indignation autour de la participation de la N-VA au fédéral. Cette stratégie n'a pas porté ses fruits et s'est estompée. De même, d'un point de vue médiatique, il y a un éclatement de la bulle émotionnelle.
Adopter une posture d'indignation, est-ce porteur électoralement ?
Dans l'indignation, il y a toujours à terme un essoufflement, une lassitude. Les gens demandent : "Mais vous n'avez rien d'autre à faire que de vous indigner ?". Cette posture morale peut même provoquer un effet miroir vis-à-vis de l’indigné : "Et vous, quel est votre bilan ?" C'est dangereusement contre-productif. Il faudrait vraiment limiter la séquence d’indignation à des moments où l'on est sûr de son coup. Concernant la participation de la N-VA au fédéral, l'opposition a cru que le sentiment dans la population allait être si fort que quelque chose allait se passer. S’il y avait une stratégie de pourrissement, elle se situait davantage du côté francophone.

Elio Di Rupo est plutôt effacé. En tant qu'ancien Premier ministre, il ne peut faire autrement ?
En devenant Premier ministre, il a gommé ses signaux naturels envoyés vers son électorat, il s'est neutralisé en tant que socialiste pur jus pour se placer au-dessus des partis, au-dessus de la mêlée avec succès. Une fois qu'on a gommé tout cela et qu'on est devenu presque une icône folklorique, y compris en Flandre, c'est très difficile de reprendre les habits du militant. Ses sorties sont aujourd'hui teintées d'amertume, tantôt en multipliant les mea culpa quant aux mesures prises durant son mandat de Premier ministre, tantôt par un ton revanchard. Cette posture l’oblige à constamment justifier un bilan quelques fois dans la même ligne de ce qu'il reproche au gouvernement actuel, notamment dans la dite "chasse aux chômeurs". C'est assez dévastateur d’un point de vue communication politique !
Il devrait davantage regarder vers l'avenir que vers le passé ?
Le ressentiment et la dénonciation doivent laisser place à une force de proposition. En ce sens, le chantier des idées constitue un processus d’introspection nécessaire au PS pour rebondir, pour se reconstruire et clarifier son projet. C’est tout cela qu’il se doit avant tout d’incarner comme président de parti.
Diriez-vous que le discours de Charles Michel est adapté au grand public ?
Ce qui ressort de son discours, c'est l’angle pragmatique, volontariste ("On se retrousse les manches") adopté. Il n'est que rarement dans l'idéologie. C'est bien vu vis-à-vis des citoyens flamands qui préfèrent ce style, à l'image d'un Yves Leterme lorsqu'il était ministre-président flamand. Un style d'anti-leader : un médiateur au service de l'entreprise "Begov", attentif à ses ministres, pugnace lorsqu’il s’agit de les défendre. Un manager de proximité, alors qu'Elio Di Rupo avait largement "présidentialisé" la fonction.
Lors du passage au niveau 4, cette communication a montré ses faiblesses : tout le monde s'est exprimé, jusqu'à trop en dire ou à contredire le Premier ministre.
Dans une séquence de crise, c'est essentiel de présenter une répartition claire des rôles, comme a tenté de le faire le fédéral : Jan Jambon, premier flic du royaume, Theo Francken s’exprimant sur les réfugiés, Didier Reynders comme VRP de la Belgique à l'étranger. Bien sûr, il y eut des couacs communicationnels notamment liés aux sorties de Didier Reynders dans les médias étrangers. Mais les voix dissonantes provenaient surtout des entités fédérées : les représentants de communautés, de régions, de communes s’exprimant tour à tour et se contredisant... Dans cette cacophonie, la voix du Premier ministre ne dominait pas systématiquement. Il y eut au contraire une lutte de pouvoir, avant tout médiatique, une lutte pour l'image.
Joëlle Milquet s'est aussi fait remarquer lors de cette crise avec ses sorties sur la fermeture des écoles, les "safe rooms", "l'hystérie mortifère démoniaque"...
Joëlle Milquet a occupé des postes à responsabilité à tous les niveaux. Bonne cliente pour les médias, lorsqu'elle communique, elle outrepasse parfois ses attributions s’estimant autorisée à s’exprimer sur des problématiques connexes. Des sorties qui peuvent provoquer stupeur ou réprobation. Certains mandataires ont ainsi dû lui rappeler qu'elle n'était plus ministre de l'Intérieur.

Son parti, le CDH, convainc-t-il davantage dans sa communication ?
Le CDH, c'est la créature de Joëlle Milquet. Elle a façonné ce parti, lui a donné son épine dorsale idéologique. Benoît Lutgen ne parvient jusqu’ici pas à imposer un style de leadership et une ligne idéologique nouvelle. Il fonctionne par coups : des sorties médiatiques espacées, l’omniprésence médiatique de Joëlle Milquet en témoigne. On citera son projet de nouvelle ville : "La-Louvière-La-Neuve" il y a deux ans. Or, il n'y a pas de projet global cohérent. C'est cruel mais un parti politique doit se demander quelle est sa valeur ajoutée dans une offre politique très concurrentielle. Il est essentiel de redéfinir un projet de société et de le personnifier .
Au niveau bruxellois, Rudi Vervoort est peu visible. Est-ce réellement problématique pour un ministre-président ?
C'est un vrai souci d’un point de vue marketing territorial. Si on veut rendre attractive sa région aux touristes, aux investisseurs mais aussi à sa propre population, il faut l'incarner. Pour le leadership médiatique à Bruxelles, la notoriété de Rudi Vervoort est mise en concurrence au sein de son propre camp politique. Pour beaucoup, l'homme fort bruxellois, c'est Yvan Mayeur, bourgmestre de Bruxelles-Ville. Mayeur est très clivant, son style détonne, mais adepte de l’effet d’annonce, ses projets, à l’instar du piétonnier, impriment l’opinion publique. Qui peut citer les projets de la Région ? Or, il faut des gestes forts !
Maggie De Block est l'exemple inverse : elle communique peu et est malgré tout très populaire...
Mais elle ne doit pas incarner une région, elle ! Elle a déjà connu son heure de gloire, son capital sympathie est très bien installé et il est parti pour durer. Là aussi, on peut presque parler d’icône, y compris du côté francophone.
Le MR bruxellois, dans l'opposition, a un boulevard pour se faire entendre. Or, il semble inexistant. Comment l'interpréter ?
C'est avant tout un problème de casting. Didier Reynders est président de la régionale du MR mais il a aussi d'autres rôles plus en vue, comme celui de ministre des Affaires étrangères. On ne l'identifie donc pas de prime abord comme l'homme fort des libéraux à Bruxelles. Parmi les leaders du MR dans la capitale, il manque des figures émergentes ou des personnalités fortes combinant capital sympathie et ancrage local. C'est le grand malheur du MR depuis la disparition de Jacques Simonet. Les Vincent De Wolf, Alain Courtois, Armand De Decker ou Françoise Schepmans n’incarnent pas le renouveau, leur notoriété médiatique est déclinante ou moindre que celle d’autres compétiteurs.
En Wallonie, Paul Magnette semble avoir la stature de leader, incarner sa Région. Or, et malgré le transfert de compétences, le gouvernement wallon ne pèse pas encore énormément médiatiquement...
La superposition des gouvernements n’aide pas. Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie, destin communautaire ou régional. La majorité actuelle n'arrive pas à définir sa vision du "nous" francophone. Il convient pourtant de trancher.pour marquer symboliquement le basculement vers les entités fédérées induit par la réforme de l’Etat. Pour porter un projet collectif, le référent identitaire, l’attachement émotionnel au territoire s’avèrent essentiels, surtout lorsque l'on demande aux citoyens de s’investir, de développer un sentiment de fierté ! Les campagnes de communication - à travers les logos notamment - demeureront cosmétiques tant que cette question décisive ne sera pas réglée. Quant au ministre-président, son challenge est particulièrement complexe, puisqu’il s’agit à la fois d’incarner le renouveau wallon et celui de sa ville, Charleroi. Un double pari risqué.

L'image des syndicats, qui débrayent à la moindre occasion, s'est dégradée ces derniers mois. Leur communication est-elle dépassée ?
Les messages envoyés entretiennent un malentendu : beaucoup visent en réalité l'interne (comme lorsqu’ils se félicitent du suivi de la grève) et non le grand public (qui ne voit que les nuisances) ou l’on constate un manque de pédagogie évident. Les syndicats se sont même dernièrement construits une réputation d'incivisme, notamment en maintenant la grève du rail lors du passage au niveau 4 ou les jours d'examens dans le supérieur. Le déficit d’image est grandissant. Cette communication un peu autiste pose même des problèmes en interne : des départs, des divisions communautaires. L’enjeu pour les syndicats aujourd'hui, c'est leur adaptation au 21e siècle dans un nouveau contexte sociopolitique et communicationnel, où des nouveaux rapports de force ont émergé. Or, les syndicats continuent à défendre leur modèle, qui est un reliquat d'une tranche d'histoire.
Les syndicats soulignent que ce sont les actions parfois virulentes qui leur ont permis d'obtenir des avancées.
Oui, comme pionnier dans la protection des travailleurs, des allocataires sociaux, correspondant aux transformations propres à une époque ou l’emploi se massifiait. Or, dit crûment, les syndicats ont désormais vocation à ralentir la destruction d'un monde de l'emploi qui semble pourtant voué à disparaître, comme l’indiquent notamment les travaux de Bernard Stiegler. En ce sens, la protection à tout crin des acquis est un combat conservateur. Les syndicats s’érigent en forces de résistance plutôt qu’en forces de proposition pour un monde du travail en pleine mutation. On sait que certains emplois défendus bec et ongles vont être graduellement remplacés par une généralisation de l'automatisation, pendant que d’autres émergeront à travers la swarm economy – l’économie de l’essaim – ou seront affectés par "l’uberisation". Il s’agit donc de repenser les enjeux du salariat pour être enfin perçus comme forces de proposition constructives.
Entretien : @JonasLegge