Le blues des présidents de partis flamands
Huit mois après son arrivée à la présidence du SP.A, l’étoile de John Crombez a déjà pâli. A la N-VA, la question de l’après-De Wever suscite une nervosité grandissante. Aucune figure ne se dresse contre les actuels présidents du côté des chrétiens-démocrates et des libéraux, Wouter Beke au CD&V, Gwendolyn Rutten à l’Open VLD.
Publié le 05-02-2016 à 12h29 - Mis à jour le 05-02-2016 à 14h13
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Huit mois après son arrivée à la présidence du SP.A, l’étoile de John Crombez a déjà pâli. A la N-VA, la question de l’après-De Wever suscite une nervosité grandissante. Aucune figure ne se dresse contre les actuels présidents du côté des chrétiens-démocrates et des libéraux, Wouter Beke au CD&V, Gwendolyn Rutten à l’Open VLD.
Dimanche dernier, sur le plateau de l’émission "De zevende dag", John Crombez n’a pas dérapé. La solution qu’il a avancée pour résoudre la crise des réfugiés, il ne l’a pas sortie de sa manche par étourderie. Au contraire, la position du président des socialistes flamands s’inscrit dans une stratégie réfléchie, cohérente. Et c’est bien pourquoi elle gêne au SP.A, où tous ne partagent pas sa vision.
Ce qu’a dit John Crombez à la VRT ? "Il existe un plan qui peut enfin mettre sous contrôle l’afflux de réfugiés en Europe. Je soutiens ce plan." L’Ostendais faisait référence au projet conçu par Diederik Samson, le président du parti travailliste néerlandais. Celui-ci prévoit d’autoriser la venue en Europe de 150 000 à 250 000 personnes actuellement réfugiées sur le territoire turc. Mais il implique aussi de renvoyer vers la Turquie, par ferry, les autres migrants arrivés en Europe via la Grèce. La solution n’est guère éloignée du "push back" prôné par Bart De Wever, le président de la N-VA.
Dès dimanche, de nombreux élus SP.A ont clamé leur indignation. En bureau politique, lundi matin, Crombez a essuyé des reproches nourris. Par communiqué, il a dû préciser qu’il excluait de "renvoyer des réfugiés dans des zones non sécurisées". Il a ajouté que toute personne répondant aux critères des traités internationaux devait être accueillie. Mais le malaise est installé. De façon durable, sans doute.
Loin du blairisme
John Crombez a pris la tête du SP.A en juin 2015, à l’issue d’élections internes. Avec 78 % des voix, il avait humilié son rival, le président sortant Bruno Tobback. Crombez héritait d’un parti divisé, à la ligne idéologique floue. Il promettait de se démarquer plus franchement de la droite. Sur ce plan, il a tenu parole. A longueur d’interviews, il fustige les sociaux-démocrates allemands, "qui ont mis le peuple grec à genoux". "Trop de socialistes ont fait du libéralisme light", déclarait-il en septembre. Ses références ? La nouvelle gauche, Podemos en Espagne, Syriza en Grèce. Dans un opuscule paru le 8 janvier ("Ctrl + Alt + Del"), il plaide pour taxer de la même manière tous les types de revenus - loin du blairisme qu’ont défendu dans les années 2000 Frank Vandenbroucke, Patrick Janssens et d’autres dirigeants du SP.A.
Parallèlement, Crombez porte sur la question migratoire un discours nettement distinct de la gauche radicale. Le 3 septembre, dans "De Morgen", il a reproché à Gwendolyn Rutten, présidente de l’Open VLD, d’insinuer que l’afflux de réfugiés menaçait la sécurité sociale. "La crise migratoire que nous connaissons aujourd’hui est sans précédent depuis 1945. Là où nous le pouvons, nous devons aider", a martelé le socialiste. Mais ce qui avait alors étonné, et choqué certains de ses partisans, c’était son plaidoyer en faveur d’un statut temporaire pour les réfugiés. Six jours plus tôt, la même idée lancée par De Wever avait provoqué une vague d’indignations.
Même chassé-croisé le 22 septembre. Quand Bart De Wever, dans un exposé à l’université de Gand, propose une révision de la convention de Genève, Crombez l’attaque durement. Mais il prend aussi soin de préciser : "Personne ne veut une migration incontrôlée. Nous non plus." Pas question pour lui de souscrire à l’utopie des frontières ouvertes, qui a cours dans certains cercles de gauche.
Parfois, John Crombez se risque même à attaquer la N-VA sur son propre terrain, la sécurité. Le 29 octobre, il reprochait au ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, d’être trop laxiste dans le "screening" des migrants. "Vu les déficiences dans le contrôle des réfugiés, des extrémistes pénètrent facilement sur notre territoire", a dénoncé Crombez.
Sa stratégie permettra-t-elle au SP.A de regagner le vote populaire ? C’est à vérifier. Mais à court terme, le président fait face à un scepticisme grandissant dans son propre parti.

A l’affiche : la guerre des (sous-) chefs N-VA
Le parti flamand le plus puissant s’est engagé sur la voie d’une recomposition stratégique. Elle tourne autour d’une seule cause : le départ annoncé du grand chef charismatique, Bart De Wever, en 2017. Il affirme ne pas vouloir se présenter pour un nouveau mandat de président de la N-VA. Certaines sources nationalistes n’y croient pas une seule seconde et sont persuadées au contraire que le timonier du néoflamingantisme créera la surprise en se présentant tout de même. Pourquoi lâcher son parti un an avant les élections locales - cruciales pour asseoir le pouvoir des nationalistes - de 2018 ? Pourquoi lâcher son parti avant les élections fédérales et régionales de 2019 qui pourraient déboucher sur une nouvelle grande négociation institutionnelle et, peut-être, sur le confédéralisme chéri par la N-VA ?
De l’agitation jusqu’en 2017
En attendant la résolution de cette énigme politique à la tête du parti, c’est le trouble en interne, une désagréable incertitude. Tous les numéros 2 nationalistes commencent à s’agiter et vont tenter de se faire remarquer jusqu’aux élections internes. Mais prudemment, des fois que Bart voudrait rester en lice… La liste des candidats potentiels est plus ou moins connue : on parle de la ministre flamande Liesbeth Homans, de Jan Jambon (mais ce dernier préférerait rester vice-Premier), de l’hyper-populaire Theo Francken, de Sander Loones, député européen et dauphin officiel de l’actuel "partijvoorzitter". Va-t-on vers une sanglante guerre de succession ?
Manque de couleur au top du CD&V
Wouter Beke est un président de parti sérieux. Derrière ses petites lunettes au style "années 50", il incarne parfaitement le CD&V rassurant, cette galaxie de techniciens bien élevés qui gèrent la Belgique depuis toujours sans faire de vagues. Pour la reconduction de son mandat, c’est le boulevard : aucun démocrate-chrétien n’a voulu se présenter contre lui et il se succédera à lui-même le 3 mars prochain. Mais ce qui vaut à la N-VA (la puissance incontestée du leader que ses seconds tremblent de défier) ne vaut pas au CD&V. Les mauvaises langues - y compris en interne - laissent entendre que Wouter Beke est seul à se présenter car, en réalité, personne n’a envie de "faire le job" dans le contexte actuel. C’est connu : le CD&V est douloureusement partagé entre son aile gauche, sociale et syndicale, et son aile de centre-droit, plus conservatrice avec quelques soubresauts flamingants. Brevet d’équilibriste requis…
Début du réveil
Du coup, le président du CD&V est condamné à manquer de couleur, à ne pas être un "cogneur" pour préserver l’unité du parti. Wouter Beke a fait profil bas, laissant le vice-Premier ministre CD&V, Kris Peeters, réagir à sa place sur des sujets qui appelaient pourtant une position officielle du sommet du parti. Toutefois, en poste depuis 2010, Wouter Beke semble se réveiller. Ces dernières semaines, il a taclé la N-VA en affirmant qu’elle ferait mieux de se taire au sujet des nouvelles économies dans la sécurité sociale et en refusant de négocier la fin de la Belgique en 2019.
Le ronron du pouvoir berce l’Open VLD
A l’Open VLD aussi, la présidence va être renouvelée cette année (fin mars). Gwendolyn Rutten a annoncé qu’elle était candidate à sa réélection. En face d’elle, pour le moment, personne… Sans avoir la carrure d’un Guy Verhofstadt, Gwendolyn Rutten n’est pas une mauvaise présidente. Mais son parti semble engagé irrémédiablement dans la spirale du déclin et se réduit de plus en plus à son noyau dur composé, pour caricaturer un peu, de notables et de bons bourgeois flamands.
Le rapt idéologique de la N-VA
Médiatiquement, les libéraux du nord du pays manquent de punch. Au fédéral, les députés et ministres N-VA leur ont chipé les oripeaux du néolibéralisme. Qui s’attaque au pouvoir des syndicats et veut abaisser les impôts des entreprises ? Les nationalistes flamands. Dans ces conditions, difficile d’exister. Et Gwendolyn Rutten ne semble pas avoir la force politique pour damer le pion aux troupes de Bart De Wever. L’Open VLD se laisse doucement bercer par le ronron du pouvoir. Un peu à l’image du vice-Premier Alexander De Croo qui, sans prendre la peine de le dissimuler, promène son ennui de kern en kern, de conseil des ministres en conseil des ministres.
Les Bleus flamands n’étaient pas prévus au casting de 2014. Charles Michel a dû les chercher au forceps pour rendre possible sa "suédoise" fédérale. Mais le sauvetage in extremis de l’Open VLD empêche cette formation de se "ressourcer" dans l’opposition. Une sérieuse réflexion et une réorganisation interne semblent pourtant s’imposer…