Budget: Le paradoxe N-VA a sauvé le fédéral
Pour sortir de la crise, Charles Michel a proposé un deal à Peeters et à Jambon vendredi matin. Le soir, la N-VA a dit "oui".
Publié le 16-10-2016 à 20h39 - Mis à jour le 16-10-2016 à 20h42
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Non seulement les nationalistes flamands ne sont plus réellement séparatistes mais, en plus, ils viennent de sauver le gouvernement fédéral, héritier de la vieille Belgique unitaire. Replongeons-nous dans l’ambiance politique qui régnait juste avant ce week-end. Dans les coulisses gouvernementales, il était encore question d’une chute possible de la majorité : "Cette fois, ça passe ou ça casse !", nous glissait-on. Après deux années d’agacement réciproque et de chamailleries, la tension avait atteint son niveau record : Kris Peeters avait envisagé publiquement de débrancher la prise.
Toute la journée de vendredi, à nouveau, les poids lourds flamands de la "suédoise" s’étaient empoignés sur les grandes réformes structurelles devant accompagner les budgets 2 016 et 2017 : le CD&V voulait faire passer la flexibilisation du travail et une taxe de 30 % sur les plus-values (arrivée soudainement sur la table); la N-VA défendait une réforme titanesque et ambitieuse de l’impôt des sociétés (Isoc); et l’Open VLD, qui s’était réveillé un peu sur le tard, réclamait de nouveaux incitants pour stimuler l’investissement de l’épargne des particuliers. La crispation était telle que la rumeur (démentie) d’un scénario où Charles Michel se rendrait chez le Roi ce lundi pour remettre sa démission a circulé dans les cabinets.
Charles Michel s’énerve
Le matin, pourtant, le Premier ministre a convoqué les vice-Premiers ministres (les "VP", comme on dit au fédéral) des trois formations flamandes : Jan Jambon, Kris Peeters et Alexander De Croo. Il veut leur répéter en petit comité le message qu’il avait délivré la veille à la Chambre des représentants lors de la séance plénière hebdomadaire : un appel à la responsabilité, mais de manière beaucoup plus ferme. Au "16", il les reçoit donc. Ils sont assis sur un canapé et le Premier ministre, maîtrisant une colère froide, est en face d’eux. "Je sais que vous êtes rivaux politiquement mais cela devient ridicule. Avec vos disputes idiotes, vous êtes tous perdants. Je ne peux plus l’accepter", leur lance-t-il.
Une discussion démarre sur le climat au sein de la "suédoise". Elle va durer… deux heures. Lorsque les esprits se détendent, Charles Michel propose une sortie de crise : déconnecter la réforme de l’Isoc et la taxation des plus-values du reste des discussions budgétaires. Le Premier ministre propose d’être le garant de ce "Gentlemen’s agreement". Un kern est convoqué dans la foulée, à 11h. Didier Reynders, vice-Premier MR, les rejoint alors au cabinet du Premier ministre.
Jan Jambon fait le premier pas
Mais ce sera seulement à 22 h 30, vendredi, que l’éclaircie arrivera. Les ministres sont toujours en train de chercher un accord autour des réformes structurelles lorsque Jan Jambon annonce en réunion que la N-VA est prête à reporter le dossier Isoc. "On ne s’attendait pas du tout à cela, explique une source. A partir de ce moment, la pression est retombée tout de suite et on a pu alors valider l’accord budgétaire très rapidement."
Soulagement au MR
Attention, il s’agit ici d’un jeu à somme nulle : si le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) voit s’éloigner sa réforme fiscale, le CD&V voit aussi sa nouvelle taxe sur les plus-values reportée et conditionnée à un deal futur sur la baisse de l’Isoc. Cette taxation, sortie du chapeau du CD&V le week-end dernier, relève de la tactique de négociation. "C’est face à la demande déraisonnable de la N-VA d’accélérer le timing de la réforme de l’Isoc que le CD&V a sorti ce lapin de son chapeau." Il s’agissait, en effet, de contrer le parti de Bart De Wever, le grand ennemi électoral des démocrates-chrétiens flamands, l’empêcher d’emporter trop facilement une victoire sur l’Isoc.
Du côté du MR, l’annonce de Jan Jambon a soulagé : " C’était vraiment très compliqué de valider la baisse de l’Isoc. A l’heure actuelle, on n’en connaît toujours pas les conséquences exactes. Or, les entreprises sont très sensibles à ce genre de changements. On ne peut pas agir à la légère. Le dossier est reporté à la fin de l’année, ça laissera du temps pour mener des analyses d’impact."
"Le CD&V joue avec nos c……."
Mais la courbe rentrante de la N-VA ne fait pas que des heureux. Pour certains observateurs avisés, le CD&V a remporté vendredi un succès qui le poussera à continuer à menacer en permanence la survie de la coalition fédérale en cas d’insatisfaction. "On s’en sort pas mal sur le budget, confie l’un de ces observateurs. Mais on ne fait toujours rien sur les vraies réformes à accomplir : les syndicats, les mutuelles… Le CD&V a compris que la N-VA et le MR feront n’importe quoi pour que le gouvernement ne tombe pas. On est mal, le CD&V va jouer avec nos c……. jusqu’en 2019."
La N-VA, grignotée par le Vlaams Belang dans les sondages et en pleine crise existentielle sur son flamingantisme qui se tiédit, a tout intérêt à éviter des élections anticipées. Et le CD&V risque d’en jouer encore à l’avenir pour faire passer ses projets… Même si, a priori, les nuits de palabres interminables, c’est fini : "On a vécu ici les dernières négociations difficiles. Pour la suite, on sera trop près des élections de 2018 et de 2019 pour lancer de nouveaux grands chantiers."