Pour étouffer les polémiques, l'excuse est devenue une arme politique (DOSSIER)
Publié le 07-04-2017 à 13h20 - Mis à jour le 07-04-2017 à 13h39
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TTL5Q7UJUVBZFAXMAK6HBWLPIU.jpg)
La règle suprême en communication : il faut dominer l’agenda médiatique sous peine de le subir. En politique, c’est encore plus vrai qu’ailleurs, tant la pression exercée par les réseaux sociaux et les journalistes peut être écrasante. De nos jours, tout peut s’emballer très vite : un tweet irréfléchi, une phrase ambiguë en interview, des propos déplacés dans l’arène des parlements, et c’est une carrière politique qui peut s’arrêter.
Effet collatéral de la grande accélération médiatique de notre époque, les hommes et femmes politiques sont de plus en plus souvent obligés de présenter leurs excuses publiquement. "C ’est lié à notre société libérale et à ses évolutions, explique Geoffrey Grandjean, professeur de Science politique à l’ULg. C’est l’idée récente que, par des excuses, on peut solder une responsabilité, une faute passée. Ainsi, on garde l’espoir de pouvoir être réélu aux élections suivantes."
"Un extincteur sur un incendie"
Parfois, l’autoflagellation est cuisante. Parfois, il ne s’agit que d’une flèche tirée froidement sur les conseils des spin doctors. "On assiste pour le moment à une évolution vers des excuses de plus en plus emphatiques, très contrites, analyse l’un de ces spécialistes de la communication politique. Une excuse agit comme un extincteur sur l’incendie de la crise. C’est un instrument. Si après ce type de déballage, cela ne suffit pas à renouer avec l’opinion publique, c’est la crise qui dégénère. Et là, danger, personne ne sait jamais comment ça va finir."
Le contre-exemple : Jospin
En effet. Faire son mea culpa ne sauve pas toujours la tête d’un mandataire politique. Il faut manier cet art avec précaution. Mal pensé, il peut vous briser. Beaucoup d’experts médiatiques se souviennent de l’impact destructeur des excuses de Lionel Jospin en 2002. Alors candidat aux présidentielles, il avait déclaré durant une campagne électorale marquée par le thème de la sécurité que, sur cette question, il avait "péché par naïveté". On connaît la suite : il est battu dès le 1er tour au profit d’un duel Chirac-Le Pen. Son excès d’humilité quant à son bilan de Premier ministre, au lieu de le servir, a terni son image de bon gestionnaire. "L’animal politique déteste plus que tout reconnaître qu’il s’est trompé sur le fond des dossiers, précise notre expert en com’. Par exemple, le mea culpa de l’ancien ministre de l’Enseignement Christian Dupont (PS), en 2009, sur le décret Inscriptions, il fallait oser faire un truc pareil… C’est beaucoup plus dur que de s’excuser pour un comportement personnel."
Une nouvelle inquisition
Justement, ce sont les "comportements personnels" qui aboutissent souvent à des excuses. Parfois avec beaucoup de pathos. " On assiste de plus en plus à ces scènes expiatoires car les réseaux sociaux et les médias directs qui définissent le XXIe siècle font que les responsables politiques sont confrontés à leurs propres attitudes. Aujourd’hui, un élu va devoir expliquer aux gens pourquoi il était mal garé après que la photo de sa voiture a été diffusée sur le web…"
Mais, au fait, d’où vient cette nouvelle forme d’inquisition ? Voici une partie de l’explication : les dirigeants politiques sont descendus de leur ancien piédestal. "Vous me dirigez mais vous êtes mon égal", affirment les citoyens aux hommes et femmes politiques. Rendre des comptes est d’autant plus important aujourd’hui que l’ancienne autorité politique, sacrée, incontestable, est remise en question par l’égalitarisme inhérent à la démocratie. L’humilité affichée fait désormais partie du profil de base de tout politicien qui veut faire carrière.
"Les jeunes s’excusent mieux"
"Par rapport à cette nouvelle mentalité, les quadras et les trentenaires se mettent plus facilement au niveau des citoyens et donc s’excusent le cas échéant plus facilement, constate un ex-porte-parole politique. Ils ont en eux ce que j’appelle la ‘start-up attitude’ : on n’a pas peur de l’erreur et de l’échec, ce n’est pas un drame ni la fin du chemin si on s’excuse. Cette génération dédramatise de manière beaucoup plus cool qu’avant. A l’époque où la politique avait un côté infaillible, des générations entières de politiciens ont été bercées par l’idée que l’erreur n’était pas possible, qu’elle entraînait la fin de tout."
C'est à la N-VA qu'on s'excuse le plus
Plutôt que de mentir, mieux vaut tout déballer et en profiter pour s’excuser… Voilà la stratégie de survie de plus en plus utilisée par les mandataires politiques en difficulté. La preuve ? Dans les médias belges, les mea culpa venant d’élus (pour des comportements personnels, des boulettes dans un dossier…) arrivent en deuxième position en termes d’importance. Ce sont les sportifs qui tiennent la pole position dans la reconnaissance de leurs torts.
Ce classement a été établi par Grégory Piet, docteur en science politique et créateur (avec la société Auxipress) d’un logiciel d’analyse de ce genre de tendances. Selon les résultats d’une étude s’étalant de mai 2016 à mars 2017, les excuses présentées dans les médias belges concernent à 13 % la classe politique. Contre 21 % pour le domaine du sport. La "justice et les accusés" se classent troisièmes (7 %). Ensuite, viennent la santé (4 % des excuses) ou encore les "artistes et personnalités" (4 %).
Pour en revenir à la politique, Grégory Piet a ventilé les résultats parti par parti. Sur la même période, on constate que les mea culpa en lien avec le monde politique concernaient d’abord la N-VA et/ou ses mandataires (à 24 %). Ce n’est pas illogique puisque les nationalistes flamands constituent la plus grande formation du pays. Etre à tous les niveaux de pouvoir implique davantage de risques de dérapages.
Le PS est deuxième, le MR troisième
Ensuite, le PS suit avec 14 % des excuses présentées. Le MR est également sur le podium de l’humilité (12 %). La suite dans un ordre décroissant : Open VLD (11 %), SP.A (9 %), CD&V (9 %), Groen (8 %), CDH (5 %), Ecolo (4 %), PTB-PVDA (2 %) et Vlaams Belang (2 %).
Une stratégie médiatique
Les exemples d'excuses publiques présentées par des élus se multiplient. Elles sont souvent sincères mais il s'agit aussi d'un outil pour désamorcer une crise de com'.
Theo Francken (N-VA)
Le secrétaire d’Etat qui dérape plus vite que son ombre avait fait fort dès le début de la “suédoise”. Après avoir prêté serment devant le Roi, il s’était rendu à la fête d’anniversaire d’un ancien collabo flamingant.
Il avait aussi tenu des propos ambigus sur les homos et les immigrés. Theo Francken a fait son mea culpa à la Chambre.
Charles Michel (MR)
Près d’un an après les attentats du 22 mars, le Premier ministre a présenté ses excuses aux blessés et familles des victimes. Ces personnes se sentaient abandonnées par l’Etat face, notamment, à toutes les démarches administratives à accomplir. Charles Michel a voulu prendre ses responsabilités en tant que chef de gouvernement.
Luc Van Biesen (Open VLD)
Ça, c’était un coup à se faire exclure de son parti… Le député libéral flamand, lors d’un débat à la Chambre, avait lancé à la cheffe de groupe SP.A, Meryame Kitir, des propos racistes. Le lendemain, d’une voix chevrotante, il a tenu un point presse commun avec la députée visée par ses propos. “Je suis désolé d’avoir utilisé les mots blessants de ‘retour au Maroc’”, a-t-il déclaré, très mal à l’aise.

Didier Reynders (MR)
La petite phrase de trop lors d’un débat face à Elio Di Rupo en 2014. Il a affirmé que l’absence des libéraux dans les gouvernements des années 90 expliquait les disparitions d’enfants et l’affaire Dutroux. C’était déplacé. Face au tollé général, Didier Reynders a dû rectifier le tir le jour même : “Mes propos étaient maladroits.”

Marie-Martine Schyns (cdH)
La ministre de l’Enseignement aime faire la fête. Un peu trop sans doute aux yeux de la police : à deux reprises, elle a été contrôlée positive lors d’un alcootest. Dans les pays scandinaves, elle aurait dû démissionner tout de suite. Mais, au royaume des bières spéciales, ses plates excuses ont suffi à la sauver.

Rudi Vervoort (PS)
Ah, le fameux point Godwin… Il définit ce moment où une personne en manque d’argument fait une référence au nazisme pour discréditer un adversaire. Par exemple, lors d’un débat. Le ministre-Président bruxellois avait comparé le projet du fédéral de déchéance de la nationalité pour les terroristes aux mesures des nazis contre les juifs. Il a dû retirer ses propos.

Bart De Wever (N-VA)
La polémique remonte à 2007. Bart De Wever avait estimé que les excuses présentées à la communauté juive par le bourgmestre anversois de l’époque, Patrick Janssens, étaient “gratuites”, car adressées “soixante ans après les faits, alors que tout le monde est mort”. L’administration communale anversoise était pourtant impliquée dans les déportations. Accusé de frôler le négationnisme, le président de la N-VA avait dû s’excuser.

Willy Borsus (MR)
Quel est le point commun entre Willy Borsus et Marie-Martine Schyns ? Ils affolent les alcootests. En décembre 2016, revenant d’une réunion de famille, le ministre fédéral des Classes moyennes avait été contrôlé positif et son véhicule lui avait été confisqué. Il a bien géré la crise en ne cherchant pas à se disculper. “Je reconnais totalement ma faute. C’est pourquoi je souhaite exprimer mes regrets les plus sincères et présenter mes excuses pour cette erreur de comportement.”

Siegfried Bracke (N-VA)
L’actuel président de la Chambre, bien que N-VA, n’est pas vraiment un flamingant radical… En 2013, il s’était mis tout le Mouvement flamand à dos en réduisant le drapeau flamand à un simple “ chiffon ”. Dans un journal estudiantin, il se disait peu ému par tous ces drapeaux jaunes et noirs agités le long des courses cyclistes. Sur son blog, il avait dû faire une courbe rentrante : “Il ne rentrait pas dans mes intentions de froisser qui que ce soit.”

Gilles Mouyard (MR)
Un épisode peu glorieux dans l’histoire du parlement wallon. “C’est vrai que tu as un beau cul”… Le député MR Gilles Mouyard ne s’attendait pas à être cloué au pilori pour ce SMS audacieux envoyé
à celle qui était alors présidente du Parlement wallon, Emily Hoyos. Elle n’a pas du tout apprécié : “Je consigne ce message. S’il y en a un deuxième, je porterai plainte pour harcèlement sexuel”, lui a-t-elle répondu. Penaud, Gilles Mouyard s’est confondu en excuses.

Daniel Ducarme (MR)
Lorsqu’il était ministre-Président de la Région bruxelloise et ministre de la Culture à la Communauté française, feu Daniel Ducarme avait été pris dans une tempête médiatique. Pendant quatre ans, il avait omis de remplir ses obligations fiscales. L’administration lui réclamait 265 792 euros. A quelques mois des régionales de 2004, ce contentieux avec le fisc ternissait l’image de son parti. Il s’en est excusé et a démissionné.

Louis Michel (MR)
Au MR, on se demande encore comment un homme politique aussi expérimenté que Louis Michel a pu se planter à ce point. Il s’était opposé à une nouvelle réduction des indemnités parlementaires. “Vous obtiendrez un Parlement coupé de la réalité, peuplé de fonctionnaires et d’enseignants”, avait-il ajouté, alors que lui-même est un enseignant à la base. Il a quelque peu tardé pour s’excuser de son indélicatesse sur le mode “on m’a mal compris”.