A l'origine des partis (7/8): Défi, une résistance bruxelloise ancrée en Wallonie
Publié le 14-08-2017 à 14h36 - Mis à jour le 14-08-2017 à 14h43
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Évocation. La politique belge - sur son versant francophone - est à nouveau sens dessus dessous. Et bien malin qui pourrait dire comment sortir de l’impasse actuelle. Les responsables politiques devraient peut-être se repencher sur l’histoire de leur parti et se rappeler ce qui a motivé leurs lointains prédécesseurs à vouloir changer la société. "La Libre" va les y aider.
Onze mai 1964. En cette période de déchirements entre francophones et néerlandophones de Belgique, treize personnalités du monde académique et de la société civile, issues de divers associations francophones de Bruxelles, viennent de fonder une nouvelle force politique. Le Front démocratique des francophones, le FDF, fera de la défense de Bruxelles et de la liberté linguistique un cheval de bataille qui est toujours le sien aujourd’hui.
La fin du recensement linguistique, la limitation de Bruxelles à ses 19 communes et plus globalement, la fixation des frontières intérieures du pays et les législations linguistiques du début des années 60, auront cimenté diverses organisations wallonnes actives à Bruxelles dans le sillage du Mouvement populaire wallon (MPW) d’André Renard.
Le FDF se place d’emblée en marge des trois piliers traditionnels du modèle belge alors unitaire que constituent les familles chrétienne, libérale et socialiste. En 2010, le parti décidera de gommer la note agressive apportée par le terme « front » dans l’acronyme du parti. Le Front démocratique francophone a donc fait place aux Fédéralistes démocrates francophones. Un an après son cinquantième anniversaire, le parti, dirigé avec autorité par Olivier Maingain depuis 1995, tournera définitivement le dos à ses trois lettres fondatrices pour se rebaptiser Défi. Retour sur la genèse d’une formation qui peine à sortir de son "carcan" bruxellois mais continue de jouer de son statut de pivot en affichant un longévité dont peu de "nouveaux partis" ont pu jouir. En 2017, les "amarantes" affichent une belle santé et sont plus que jamais courtisés pour former une nouvelle majorité bruxelloise.
La genèse du parti
Démarrons à l’Exposition universelle de 1958. Car celle-ci n’aura pas pour seule conséquence de faire briller la Belgique dans la modernité occidentale des années fastes de l’après-guerre. Son succès et la surexposition mondiale de la capitale belge contribuera également à réveiller le Mouvement flamand et à concentrer l’attention de celui-ci sur la question bruxelloise. En Flandre, certains verront dans l’Expo 58 une volonté du pouvoir en place de renforcer l’hégémonie francophone autour d’une capitale au rôle centralisateur affirmé.
Au même moment, la promotion de Bruxelles comme capitale de l’Europe naissante est parfois perçue comme une façon d’écarter les Flamands, relève encore le politologue Vincent Dujardin (UCL) (1). Quatre ans plus tôt, la publication du recensement national - et de son volet linguistique - gelé depuis la fin de la guerre avait conduit à l’élargissement de l’agglomération bruxelloise - dont le statut est bilingue depuis 1932 - de 16 à 19 communes. Berchem-Sainte-Agathe, Evere et Ganshoren seront les dernières localités à intégrer le périmètre de la capitale, à la grande fureur du Mouvement flamand. Celui-ci obtiendra d’ailleurs, en 1961, l’amputation du volet linguistique du recensement, ce qui eut pour effet mécanique de mettre un terme à l’élasticité des frontières bruxelloises. Bruxelles et sa périphérie, sans cesse plus francophones, deviendront le "cauchemar unitariste" des flamingants. En témoigneront les marches sur Bruxelles par les organisations flamandes au cours des années 60. La création du FDF sera la structuration en parti de la réaction francophone au vu du Mouvement flamand sur Bruxelles.
Les revendications linguistiques, luttes du FDF
Dès le début, le FDF sera nourri par l’ancrage wallon des francophones actifs politiquement à Bruxelles. A la même époque, la Loi unique de redressement économique, portée par Gaston Eyskens, alimente les revendications fédéralistes du Mouvement populaire wallon (MPW), dont la figure de proue est le charismatique André Renard. Malgré son décès en 1962, ce mouvement s’implantera dans la capitale à travers diverses associations qui adhéreront à la régionale du MPW. Celle-ci sera moins liée au PS que dans le sud du pays et recrutera plus chez les fonctionnaires que dans le monde ouvrier.
Mais c’est bien dans ce cadre que s’exprimeront les revendications linguistiques qui préfigureront les luttes du FDF : bilinguisme des services, unilinguisme des agents, liberté du père de famille et statut spécial pour les communes de la périphérie bruxelloise avec des garanties pour les francophones.
D’autres mouvements viendront se greffer autour de ce mouvement pour former une nouvelle organisation, le Front pour la défense de Bruxelles. Certains de ces activistes entonneront "la Marseillaise" au passage du cortège flamand de la "Marche sur Bruxelles", note Chantal Kesteloot, chercheuse au Cegesoma, Centre d’études et documentation guerre et sociétés contemporaines, centre d’expertise belge pour l’histoire des conflits du XXe siècle (1).
A l’intérieur de cette structure naissante, les fédéralistes et les unitaristes nourriront des guerres intestines qui mineront l’organisation. Celle-ci finira par péricliter pour laisser place à un nouveau Front des francophones de Bruxelles. Mais "c’est bien à la tyrannie linguistiques des lois de 1962-1963 qu’entendent répondre les fondateurs du Front démocratique des francophones de Bruxelles", écrit Vincent Dujardin.
En 63 en effet, la lutte du front va se concentrer sur le compromis de Val Duchesse, qui fixe les frontières linguistiques et donne un statut spécial (les facilités linguistiques en matière administrative et scolaire) à six communes de la périphérie bruxelloise. Le texte est voté par une majorité flamande (les majorités spéciales n’existent pas encore) et certains francophones de la capitale, dont un certain nombre de bourgmestres, s’estiment mal défendus par leurs représentants politiques alors que la question bruxelloise devient centrale. Les lois linguistiques suscitent la rédaction d’un manifeste signé par 300 universitaires de Liège, Bruxelles et Louvain réunis au sein du Rassemblement pour le droit et la liberté (RDL).
"Manifeste bruxellois, création du Front des francophones de Bruxelles, pétition du Collège exécutif de Wallonie, création du RDL… Autant de signes d’une dynamique nouvelle", écrit Chantal Kesteloot. Une dynamique qui poussera treize "personnalités" à fonder un nouveau parti. "La nouvelle formation présente d’emblée deux caractéristiques essentielles : un haut potentiel intellectuel - dix des treize fondateurs ont une formation universitaire - et un pluralisme interne avec des hommes de sensibilité de gauche et de droite, des croyants et des libres-penseurs, des fédéralistes et des partisans de la liberté linguistique", écrit Chantal Kesteloot.
C’est l’uelbisite Paul Brien qui devient le premier président du FDF. Trop jeune pour se présenter aux élections communales de 1964, le FDF fera son baptême électoral lors des législatives de 1965. Par souci d’équilibre entre laïcs et catholiques, unitaristes et fédéralistes, Léon Defosset (ancien socialiste issu du Rassemblement wallon) mènera le combat pour la Chambre alors que le chrétien André Lagasse tirera la liste pour le Sénat.
Pour le FDF, "le flamingantisme né de la Première guerre a gangrené la démocratie belge", relève Chantal Kesteloot. Les Bruxellois sont devenus des citoyens de seconde zone, estime le FDF qui insiste sur le rôle européen de la capitale. C’est dans ce discours que naît également la notion de "carcan" pour dénoncer, la limitation de l’agglomération bruxelloise à 19 communes.
Si Bruxelles ne peut s’étendre, elle mourra, plaide le FDF des années 60 qui assistent aux débuts de la construction européenne. Pour ce premier scrutin, il enverra trois députés à la Chambre. A la suite des élections de 1968, cinq députés du front entreront au Parlement.
Ce succès confirma que le FDF était bel et bien lancé, grâce à un électorat essentiellement bruxellois et une alliance avec une formation autonomiste du sud du pays, le Rassemblement wallon.
Mathieu Colleyn
"FDF, 50 ans d’engagement politique", ouvrage collectif dirigé par Vincent Dujardin et Vincent Delcorps. Editions Racine. 2014.