Nicolas Baygert: "Pour Francken, la politique est un ring de boxe" (ENTRETIEN)
Publié le 13-01-2018 à 13h52
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Nicolas Baygert décrypte la communication de Theo Francken, le trublion du gouvernement.Le caillou dans la chaussure du Premier ministre Charles Michel, c’est son turbulent secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Theo Francken (N-VA). Quasi inconnu - du moins en partie francophone du pays - en début de législature, il fait désormais un tabac dans les sondages d’opinion. En Flandre, ce qui est logique, mais également en Wallonie et à Bruxelles où il récolte 30 % et 31 % d’opinions favorables. Recadré une énième fois hier par Charles Michel (voir pages précédentes), le franc-tireur Francken va-t-il pour autant rentrer dans le rang ? Pas certain.
Pour Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information et de la communication, il y a chez Theo Francken moins la volonté de cibler un électorat particulier que d’imposer un nouveau type de discours. "Il est davantage un prescripteur de l’information. Avec les réseaux sociaux, il court-circuite la communication politique traditionnelle qui passe généralement par le filtre journalistique. Pour cela, il s’apparente à Donald Trump dans sa volonté de se passer des intermédiaires. Alors que la presse traditionnelle pose ses questions sur les thématiques du jour, Theo Francken impose son agenda. Il devient un média avec des sorties qui feront mouche car elles sont transgressives et radicales. La preuve, cela fait trois semaines qu’il capte l’info. Il fait la une des journaux télévisés pendant dix minutes et l’agenda politique est fortement impacté par sa communication."
Un hiatus entre sa com’ et sa politique
Pour Nicolas Baygert, il est temps de siffler la fin de la récréation : "Il y a chez Charles Michel la volonté de passer à autre chose, de cesser d’alimenter le vortex autour de Francken." Pour notre interlocuteur, les médias ont leur part de responsabilité : "Par l’entremise de cette communication qui clive et indigne, l’ensemble du champ médiatique a trouvé un ‘bon client’. La dynamique est similaire pour Trump et les médias tombent dans le panneau. On n’a pas affaire ici à un président des Etats-Unis ou à un Premier ministre, Theo Francken est juste un secrétaire d’Etat."
Un "petit" ministre qui prend de la place alors que dans les faits, chiffres à l’appui, sa politique d’asile n’est pas plus ferme que celle menée par Maggie De Block (Open VLD) au sein du gouvernement Di Rupo. "C’est vrai qu’il y a un hiatus entre sa politique et sa communication. De Block, sur un sujet aussi ‘touchy’ que l’asile se pliait à la discipline gouvernementale. Jusque dans le physique, elle apparaissait conciliante plutôt que radicale alors que sa politique était au moins aussi ‘ferme’ que celle menée aujourd’hui par Theo Francken."
Un Francken qui est conscient du soutien inconditionnel de son parti comme en attestent les récentes sorties de son président Bart De Wever. "Son filet de survie est énorme, ce n’était pas le cas pour Jacqueline Galant. De Wever sait que Francken est un atout énorme pour la N-VA. Il est jeune et touche davantage le public que des Jambon ou des Bourgeois qui se ‘normalisent’."
Plus qu’un "animal" politique, Francken serait un "athlète" politique : "La politique est pour lui un ring de boxe, il prend des coups et les rend. Il ne se dégonfle pas devant un procès d’intention, il s’en nourrit tout en ayant un œil sur les sondages. Il incarne le peuple contre les élites, une stratégie déjà testée dans d’autres pays. Il adopte une posture anti-système et ça marche."
De Wever relégué au second plan ?
Bart De Wever pourrait lui-même prendre ombrage de la personnalité envahissante de son coreligionnaire. "Pour l’instant, Bart De Wever joue sur la force du personnage. A terme, du point de vue du leadership, je ne sais pas ce qui se passera. La N-VA au départ, c’était De Wever à 100 %. Maintenant, elle a deux visages. De Wever est l’idéologue, le stratège. Francken frappe fort là où De Wever était dans la subtilité, voire l’ironie. Ils parlent à deux franges différentes de l’électorat et à cet égard ils apparaissent comme bien plus complémentaires que le duo Di Rupo - Magnette au PS, par exemple."