Gérard Deprez : "Je rêve d’unir le MR, le CDH et Défi dans un grand parti centriste"
Publié le 08-06-2019 à 07h08 - Mis à jour le 08-06-2019 à 08h03
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Gérard Deprez (MR) n’a pas renoncé à sa vieille idée de réunir les libéraux et les humanistes. Le nouveau mouvement politique qu’il imagine intégrerait également Défi et reléguerait alors le PS à la deuxième place électorale.
Après avoir présidé le PSC de 1981 à 1996, Gérard Deprez avait tenté de faire basculer le centre de gravité politique du côté francophone en attelant les sociaux-chrétiens aux libéraux. Après avoir échoué, il avait rejoint le MR (le PRL, à l’époque). Vingt ans après, la refondation du CDH (l’héritier du PSC), annoncée par son président Maxime Prévot, ouvre une nouvelle fenêtre de tir pour l’émergence d’un grand parti centriste. Gérard Deprez va bientôt quitter la vie parlementaire et il livre sa vision pour la recomposition du paysage politique en Wallonie et à Bruxelles.
Le CDH a joué carte sur table et a renoncé à participer au pouvoir. Était-ce une bonne décision à ce stade des négociations ?
Le recul du CDH aux dernières élections ne nous a pas fait plaisir. De même, le MR ne se réjouit pas du fait que le CDH se soit mis hors jeu pour la suite. Je respecte cette décision mais cela empêche des possibilités d’alliance pour lesquelles le MR avait un intérêt.
La jamaïcaine, donc. Cette majorité aurait associé le MR au CDH et à Écolo. Les libéraux avaient pris des contacts dans ce but ?
Je ne suis pas payé pour tout dire.
Maxime Prévot veut refonder son parti dans les deux ans. Or cela fait vingt ans que l’idée de créer un grand parti au centre et au centre-droit, en associant les libéraux et les humanistes, est dans l’air. Est-ce le bon moment pour créer ce grand mouvement ?
Il y a trois nébuleuses politiques en Belgique : un pôle de droite avec la N-VA et le Vlaams Belang ; un pôle de gauche qui réunit le PTB, le PS et Écolo ; et une nébuleuse centrale dans laquelle on retrouve le MR, le CDH et Défi. Ce pôle centriste apparaît très clairement sur la carte politique. Il reste juste à l’organiser. Si on associait ces trois formations, elles devanceraient de 12 à 13 points le PS en Wallonie. Il faudrait reconstituer sur cette base une famille politique comme Macron le fait et qui rassemblerait des gens d’horizons politiques différents.
Mais, donc, cela implique que le MR mette de côté une partie de sa doctrine politique, de son ADN libéral…
Chacun devra faire l’économie de la proclamation de son identité politique, les libéraux y compris. Sinon rien ne sera possible.
Le MR, le CDH et Défi y sont-ils prêts ?
Ça, c’est la question. Pour faire émerger une nouvelle force politique qui pourrait casser les pesanteurs du passé et inventer un futur, cela devra en tout cas se faire autour de ces trois formations. Je souhaite cela et je l’ai toujours souhaité. Mais ça a raté par le passé…
Avez-vous tiré des enseignements de cette période ?
Oui. Si une formation dit qu’elle veut absorber les deux autres, ça échouera à nouveau. Il y a une vingtaine d’années, j’ai raté ma tentative d’aller dans ce sens. Il faut manifestement changer la manière et le rythme de faire les choses. À l’époque, des résistances s’étaient organisées en raison notamment de quelques maladresses de ma part. Mais l’idée était bonne, et je le pense toujours.
Pensez-vous que l’émergence d’un tel mouvement soit possible ?
La récente décision du CDH pose problème à ce sujet : on aura du mal à unir des formations dont certaines sont dans les majorités tandis que d’autres sont dans l’opposition… Le jeu va être verrouillé. Pour que ce à quoi je rêve puisse se réaliser, il faudra plus de temps que ce que j’imaginais.
Avez-vous pris des initiatives pour mettre en place ce nouveau mouvement ?
C’est à la nouvelle génération politique de le faire. Ce mouvement permettrait de diminuer la distance politique entre le nord et le sud du pays. Un tel positionnement politique permettrait de recréer un pont vers la Flandre.
Quel regard portez-vous sur la décision de l’ex-président du CDH Benoît Lutgen qui, en 2017, avait appelé à mettre le PS dans l’opposition ?
Benoît Lutgen est un ami personnel. Ce qu’il a fait à ce moment était un geste fort qui a créé une dynamique politique dont on n’arrêtera pas le flux. Désormais, Maxime Prévot est le président du CDH et il me semble qu’il fait partie des gens avec qui on peut envisager de construire des choses (sourire). Tout cela a créé un espace qui n’existait pas avant pour recréer une nouvelle offre politique.
“La coalition bourguignonne fait partie des solutions praticables”
La situation au fédéral est compliquée. Vous avez une réputation de stratège politique : quelles sont les pistes de solution, selon vous ?
Une solution ? Non, mais j’ai un objectif à atteindre. Il faut un gouvernement fédéral capable de tenir toute une législature avec un programme solide pour poursuivre la politique du gouvernement antérieur, en particulier sur l’investissement et l’emploi. Idéalement, pour obtenir une majorité stable, il serait souhaitable qu’il ait une majorité dans les deux grandes régions du pays. Ce serait le premier choix. Il faut chercher une configuration de ce type, tout en éliminant le Vlaams Belang et le PTB.
Si on écarte les extrêmes et si on écarte l’hypothèse d’un gouvernement où l’une des deux grandes communautés serait en minorité, comme coalition plausible, il ne reste plus que la “bourguignonne”. C’est-à-dire l’alliance entre la famille socialiste, la famille libérale et la N-VA.
Je ne suis pas informateur et je ne suis pas formateur. Mais la coalition que vous citez fait en effet partie des solutions praticables. La “bourguignonne” a d’ailleurs un précédent du côté flamand (la coalition locale anversoise) et a été mise en place par une personnalité qui a une certaine importance pour l’avenir du nord du pays et, par conséquent, du fédéral (Bart De Wever). C’est incontestablement l’une des formules à tester.
Vous répondez prudemment… Dans la “bourguignonne”, il est vrai qu’il faudra que le PS et la N-VA acceptent de gouverner ensemble. Or ces deux partis l’ont exclu.
Leurs déclarations respectives à ce sujet datent d’avant les élections… Le PS doit désormais s’interroger : alors qu’ils étaient dans l’opposition face au MR et à la N-VA, les socialistes ont perdu les élections. Le PS n’a jamais été aussi bas. Quand j’étais président du PSC, je faisais face au PS de Guy Spitaels qui pesait 44 % des voix ! Le PS actuel est en dessous des 25 %.
Le MR n’a pas connu non plus un triomphe aux élections… En particulier dans les grandes villes.
Je l’ai souvent dit lors de réunions internes au MR : le dossier qui a été le plus difficile pour nous a été celui de l’asile et de la migration. Le fait que le MR était contaminé en termes d’image par les déclarations de Monsieur Francken a fait qu’une partie importante de la classe moyenne intellectuelle – les journalistes, les enseignants, les cadres dans les entreprises… – s’est dit que ce compagnonnage n’était pas sain. Une partie de cette classe moyenne s’est alors déportée vers Écolo aux élections. Cela se voit très fort à Bruxelles et dans le Brabant wallon. Heureusement, le choix de Charles Michel durant la campagne de dénoncer les dangers du programme d’Écolo a permis au MR de bien résister.
Si le MR et la N-VA gouvernaient encore ensemble au fédéral, il y a de grandes chances que Theo Francken fasse à nouveau partie du gouvernement…
Je l’ai dit : à titre personnel, je n’accepterais pas qu’il soit à nouveau membre du gouvernement fédéral. Je pense que cela ne serait pas sain.
Et le reste de la N-VA ? Les nationalistes flamands ont quitté le gouvernement fédéral sur le pacte de Marrakech. Peuvent-ils encore être considérés comme fiables par le MR ?
Quand la N-VA est entrée au gouvernement, certains de mes amis disaient qu’elle voulait provoquer l’explosion de la Belgique. Je leur répondais de rester prudents, d’attendre. Je pensais que la N-VA se rendrait compte des difficultés qu’il y a à être au gouvernement fédéral mais aussi des pouvoirs que cela donne. Ses cadres siègent dans les organes européens, dans les cénacles les plus importants…
La N-VA est plus “sage” qu’avant, selon vous ?
La N-VA est en train d’accomplir une transformation qui peut l’amener à devenir un nouveau CVP, la dimension confessionnelle en moins. Certains pensent que la N-VA exigera un chambardement institutionnel pour revenir au fédéral. Je demande à voir… Jan Jambon est même candidat à la fonction de Premier ministre ! C’est la preuve de ma thèse : depuis 2014, la N-VA a pris goût au pouvoir fédéral et sait qu’elle peut y participer sans trahir la Flandre pour autant.