Georges-Louis Bouchez: "La décroissance qu'on nous vend à gauche, c'est ce que nous vivons aujourd'hui"
Quels sont les enseignements que tirent les présidents de parti de la pandémie actuelle ? Nos sociétés doivent-elles se réinventer ? Vers quel modèle les faire évoluer ? Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, ouvre cette série d’interviews. Pour lui, il faut tout faire pour permettre à l’économie de repartir très rapidement.
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- Publié le 07-04-2020 à 07h27
- Mis à jour le 07-04-2020 à 15h42
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Quels sont les enseignements que tirent les présidents de parti de la pandémie actuelle ? Nos sociétés doivent-elles se réinventer ? Vers quel modèle les faire évoluer ?
Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, ouvre cette série d’interviews. Pour lui, il faut tout faire pour permettre à l’économie de repartir très rapidement.
Des critiques du système économique basé sur le libre-échange ont été formulées. Estimez-vous que l’économie de marché doit être remise en cause ?
Ceux qui disent cela sont soit de mauvaise foi, soit n’ont pas compris ce qu’il se passait. Les scientifiques indiquent clairement que l’épidémie est apparue à la suite du non-respect de règles sanitaires sur des marchés chinois. Lier le coronavirus à l’économie de marché n’a absolument aucun sens. Que notre mode de vie accélère la propagation du virus, ça, c’est vrai. Tout est accéléré aujourd’hui. On a réduit le temps et les distances. Cela nous permet aussi d’aller beaucoup plus vite dans l’échange d’information, dans la progression de la connaissance et de l’intelligence, dans la recherche scientifique. La mondialisation et le libre-échange, ce sont aussi des milliers de scientifiques qui travaillent en même temps pour trouver des solutions. Faut-il en revenir au niveau d’échange d’il y a plusieurs siècles pour éviter les contacts ? Au Moyen Âge, il y a eu également de terribles épidémies… Moi, je m’interroge surtout sur le rôle de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) dans cette affaire. L’épidémie est apparue en Chine en novembre/décembre et le gouvernement chinois a tenté de faire taire l’un des premiers médecins qui avaient lancé l’alerte. En janvier, le virus avait déjà fait des centaines de morts en Chine. Mais il a fallu attendre début février pour que l’OMS en informe les autres pays. Pourquoi ?

La pénurie de masques en Belgique ne serait pas arrivée si nous avions eu une production nationale, entend-on.
C’est totalement faux. On a un manque de matériel car il y a une explosion de la demande. Même en cas de production nationale du matériel médical, il aurait fallu du temps pour dimensionner cette production aux énormes besoins. Pour équiper toute notre population en masques, par exemple, il faudrait, sur la durée de la crise, entre 800 millions et 1 milliard d’exemplaires. C’est impossible à faire à l’échelle belge.
Si l’on vous suit, la mondialisation est au contraire une solution pour mieux combattre le virus ?
Elle permet, en effet, de satisfaire plus facilement une série de besoins. Doit-on rester dans la mondialisation ? Oui. Je ne veux pas du repli sur soi. Certains partis de gauche se veulent très ouverts sur l’immigration, veulent ouvrir les frontières et régulariser une série de personnes qui vivent chez nous. Mais lorsqu’il faut faire du commerce et créer de la richesse, ces mêmes partis nous disent "chacun chez soi". Par contre, et c’est un engagement du MR, il faut réindustrialiser l’Europe. Pour cela, il faut un Big Bang fiscal. Aujourd’hui la fiscalité de la consommation est identique que le produit soit fabriqué en Chine ou en Europe alors que les cotisations sociales qui y sont prélevées sont très différentes.
Il faut augmenter la TVA sur les produits importés et fabriqués à moindre coût ?
En tous les cas, il faut travailler globalement sur une fiscalité qui permettrait aux salaires d’être plus élevés et le coût pour l’employeur plus faible pour être plus compétitif en Europe. On n’atteindra jamais les coûts de production de la Chine ou de l’Inde. Personne ne le veut. Par contre, on peut amener les entreprises à produire à nouveau en Europe. Pour cela, il faut que le différentiel de coûts de production entre l’Europe et ces pays ne soit pas à ce point important qu’il justifie les délocalisations.

Vous parlez de Big Bang fiscal mais l’État belge n’a plus de marge de manœuvre alors que le déficit et l’endettement explosent de manière historique…
Oh, en Belgique, on a une certaine expérience en termes de dette énorme à gérer… Mais, pour la première fois depuis que l’on est dans l’euro, on va dépasser de beaucoup les 100 % du PIB de dette publique, c’est vrai. Pour être clair, les marges sont inexistantes. Il va falloir être créatif et travailler à mobiliser les fonds privés et publics en même temps sur de nouveaux projets. Il va falloir réorganiser l’État, les services à la population… Mais augmenter les impôts pour combattre l’endettement n’est pas la bonne réponse. La bonne réponse, c’est la relance économique qui générera suffisamment de moyens par la suite.
"La décroissance qu’on nous vend à gauche, c’est ce que nous vivons aujourd’hui"
Le modèle actuel, basé sur la croissance économique, n’est-il pas à bout de souffle ?
La décroissance qu’on nous vend à gauche, c’est ce que nous vivons aujourd’hui. Le résultat, c’est la récession, la perte de richesse. Et tout le monde se tourne désormais vers l’État pour essayer d’avoir un chèque et une aide. On nous annonce une récession de 2 à 3 % en Europe : cela veut dire qu’on sera individuellement, en moyenne, plus pauvre de 2 à 3 %. Au MR, au contraire, on veut relancer la machine. On va profiter de cette crise pour lancer de grands projets dans des secteurs clefs. La Belgique est l’un des pays d’Europe avec le plus haut taux d’épargne. Il faut permettre aux citoyens d’utiliser cette épargne pour acheter des obligations permettant à l’État d’agir en partenariat avec le privé.

Vu le trou abyssal dans les caisses publiques, les projets de taxation du patrimoine en général, boursier ou immobilier, vont revenir sur la table. Est-ce une option pour le MR ?
On peut en discuter à une condition : que l’on baisse la fiscalité sur les classes populaires et moyennes, que l’on baisse la fiscalité sur le travail. Le problème avec la gauche, c’est que, lorsqu’elle vient avec une idée d’impôt, c’est en plus de tout le reste. La volonté du MR est de ne pas augmenter le volume fiscal global. Si l’on augmente les impôts, le seul effet sera de faire redémarrer l’économie belge après celle des autres pays. Mais notre modèle va devoir évoluer. En ce moment, je fais étudier par les services du parti une série de concepts : allocation universelle, globalisation des revenus…
En cas de crise, on en revient toujours à l’État. Réduire la sphère publique, comme le défendent certains penseurs libéraux, est-il souhaitable malgré tout ?
Les libéraux belges n’ont jamais été contre l’État. Nous avons toujours été en faveur de la régulation. Mais on ne peut pas dire, dans un pays où plus de 50 % du PIB relève de dépenses publiques, qu’on a désinvesti au niveau de l’État…
La Banque centrale européenne (BCE) fait marcher la planche à billets. Elle injecte beaucoup de liquidités dans nos économies. Y a-t-il un risque d’hyperinflation ?
Le vrai risque, ce n’est pas l’inflation, c’est la "stagflation" : pas de croissance mais augmentation des prix. Ce serait catastrophique pour les gens qui s’appauvriraient. C’est un risque réel, c’est le pire des scénarios. Je ne pense pas qu’on va le connaître. Le schéma actuel n’est pas lié à un manque de confiance, à un scandale de production, à la faillite de grandes institutions… Il y a des milliers d’investisseurs dans le monde qui sont morts de faim et qui sont prêts à appuyer sur le champignon une fois que l’élément perturbateur actuel aura disparu. L’enjeu d’aujourd’hui, c’est de permettre la relance très vite et éviter les faillites entre-temps.