Un an après les élections, la Belgique s'enlise dans une crise structurelle
Les électeurs se sont exprimés le 26 mai 2019. Un an plus tard, le pays attend toujours son gouvernement. Si la crise politique est structurelle en Belgique, la crise sanitaire a rebattu certaines cartes. Analyse.
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Publié le 26-05-2020 à 08h10 - Mis à jour le 26-05-2020 à 16h50
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Les électeurs se sont exprimés le 26 mai 2019. Un an plus tard, le pays attend toujours son gouvernement. Si la crise politique est structurelle en Belgique, la crise sanitaire a rebattu certaines cartes. Pour le PS, aller avec la N-VA serait suicidaire et quasiment injustifiable.
La Belgique n’est pas - ou n’est plus - une exception politique… Les électeurs étaient appelés aux urnes le 26 mai 2019 pour renouveler les Parlements fédéral et régionaux. Pile un an plus tard, peu de monde s’étonne que le pays attende toujours un nouveau gouvernement fédéral constitué sur la base des résultats des dernières élections. Fait notable et nouveau, tout de même, la durée de formation des gouvernements régionaux (surtout en Wallonie et en Flandre) avait aussi été exceptionnellement longue. Cette difficulté presque structurelle à constituer des exécutifs n’est cependant pas - ou n’est plus - un mal propre à la Belgique…
On observe le même phénomène dans une série d’autres pays, "en particulier [ceux] pratiquant le scrutin proportionnel" , comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, Israël ou l’Italie , constatait Vincent de Coorebyter, professeur de philosophie politique à l’ULB, interrogé par Le Monde en février. "Les clivages politiques se durcissent et se multiplient, ce qui rend la négociation de compromis plus difficile que par le passé."
Pour Édouard Delruelle (président de Solidaris), "nous vivons […] une crise de civilisation". "On est face à une bifurcation existentielle sur la nature même de nos sociétés. Chaque pays européen décline à sa sauce nationale une crise de civilisation beaucoup plus globale", développait-il dans La Libre, en décembre 2019, en tant que professeur de philosophie politique à l’ULiège.
Le mouvement auquel on assiste n’est pas neuf. En Belgique, il était déjà en marche en 2014 (et même plus tôt, certainement en Flandre), mais il a connu une brusque accélération en 2019. Lors des élections de 2014, le délitement des familles politiques traditionnelles (socialiste, libérale et centriste) s’observait déjà. Tout comme la poussée de partis anti-establishment, populistes, voire extrémistes. Cinq ans plus tard, les extrêmes, droite et gauche, pèsent ensemble 30 sièges sur 150 à la Chambre. Un cinquième de l’hémicycle. C’est énorme. Et pour la première fois dans l’histoire du pays, les six partis qui composent les familles traditionnelles n’ont plus la majorité ensemble. Le rapport de force a été bouleversé.
"Le modèle fédéral n’unit pas"
À nouveau, on observe un mouvement comparable un peu partout dans les démocraties occidentales. Mais en Belgique, il est accentué par la dimension communautaire. "On voit bien que le modèle fédéral actuel n’unit pas, mais dissocie", observait encore Vincent de Coorebyter dans Le Monde. De par sa nature, ce modèle "exclut le dialogue ou la nécessité d’ébaucher une vision et des priorités communes. Cela a fait naître deux univers politiques distincts, avec des partis politiques qui le sont tout autant".
Faut-il dès lors abandonner tout espoir de former un gouvernement à brève échéance ? Pas nécessairement. Sur le plan communautaire, d’abord, la donne a évolué depuis la sixième réforme de l’État (2011). L’évolution institutionnelle du pays a toujours été marquée par un mouvement centrifuge, un renforcement du pouvoir des entités fédérées aux dépens du pouvoir central (fédéral). Depuis les années 1990 au moins, les revendications en ce sens ont été portées (presque) comme un seul homme, et exclusivement, par la classe politique flamande. Ce n’est plus vrai aujourd’hui.
La crise sanitaire a bouleversé l’ordre des priorités
Certes, la force nationaliste (N-VA et Belang) représente toujours plus de 40 % des électeurs. Certes, le CD&V est demandeur de nouveaux transferts de compétences vers les Régions. Mais l’unité de l’époque n’existe plus. Aujourd’hui, l’Open VLD, le SP.A et Groen n’hésitent plus à parler de refédéralisation. Ce qu’ils veulent, disent-ils, c’est un État qui fonctionne mieux, et dès lors repenser la répartition des compétences entre le fédéral et les entités fédérées pour la rendre plus harmonieuse. Et cette vision s’accorde assez bien avec celle des partis francophones.
Ensuite, sur le plan socio-économique, la crise sanitaire a bouleversé l’ordre des priorités politiques. Les soins de santé et les services publics ont, par exemple, grimpé dans la hiérarchie. À l’inverse, plus personne ne parle de rigueur budgétaire, alors que le déficit pourrait approcher… les 50 milliards d’euros en 2020 (10,9 % du PIB, selon des estimations de BNP Paribas Fortis). Il est évidemment plus simple de s’entendre entre partis de gauche et de droite lorsque les vannes budgétaires sont ouvertes - ce qui restera le cas à moyen terme pour relancer la machine économique - que lorsqu’il s’agit de compter de près chaque euro dépensé…