Georges-Louis Bouchez, l’hyperprésident qui se veut partout, tout le temps

Il y a six mois, Georges-Louis Bouchez devenait le nouveau patron du MR. Par stratégie, il occupe depuis lors l’espace médiatique sans relâche. Retour sur la présidence d’un hyperactif.

Georges-Louis Bouchez, l’hyperprésident qui se veut partout, tout le temps
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Il y a six mois, Georges-Louis Bouchez devenait le nouveau patron du MR. Par stratégie, il occupe depuis lors l’espace médiatique sans relâche. Retour sur la présidence d’un hyperactif.

Tiré à quatre épingles, Georges-Louis Bouchez arrive dans la salle du conseil du Mouvement réformateur et s’assied face aux poids lourds du parti. Nous sommes début mars et le jeune président veut préparer ses troupes au choc qui s’annonce. La Belgique s’apprête à se calfeutrer, il s’agit d’endiguer la progression d’une épidémie dont on ne connaît pas grand-chose. La période sera délicate pour le pouvoir politique et pour le MR tout spécialement, qui occupe le "16" ainsi que la moitié des portefeuilles fédéraux. Les critiques viendront bien assez tôt, le leader libéral le sait et veut les amortir.

Georges-Louis Bouchez livre alors son manuel de guérilla médiatique aux ministres et parlementaires qui constituent le bureau élargi du MR. La doctrine Bouchez tient en trois points : "Le MR doit être premier sur tous les sujets, tout le temps ; nos adversaires ne peuvent pas nous frapper impunément, on répond à chaque attaque ; les libéraux couvrent tous les thèmes et ne laissent pas de chasses gardées aux autres formations", précise-t-il aux membres du conseil du MR.

Machiavel ou Sun Tzu

Ces principes qui rappellent les conseils pragmatiques du Prince de Machiavel et de L'Art de la guerre du général Sun Tzu, ont été théorisés par Georges-Louis Bouchez durant les premières années de la "suédoise". Dès 2014, la majorité fédérale mise en place par Charles Michel était bombardée par l'opposition francophone constituée de tous les partis sauf le MR, placé en état de siège. Cette période, qui a infligé une blessure à la carapace du Montois, a fait grandir en lui un sentiment d'impuissance tandis que les libéraux subissaient. Plus jamais ça, avait-il songé, avant d'en tirer les enseignements pour lui-même. Voici quelques exemples de sa méthode.

Georges-Louis Bouchez, l’hyperprésident qui se veut partout, tout le temps
©JC GUILLAUME

"Le plus belgicain", à peu de frais…

Que les libéraux soient les premiers à animer les grands débats. Georges-Louis Bouchez est informateur royal aux côtés de Joachim Coens, le président du CD&V, lorsqu'est publié dans le magazine Wilfried un grand entretien où il se déclare en faveur de la Belgique unitaire. On n'avait jamais vu ça. La situation fédérale est inextricable et le président du MR s'assied sur le devoir de réserve qu'implique la mission confiée par le Palais… En Flandre en particulier, les commentateurs sont abasourdis par cette bombe, Georges-Louis Bouchez est fortement critiqué. Et puis, comme souvent en politique, la polémique s'éteint d'elle-même, chassée par d'autres informations. "En une seule interview, il est devenu l'homme politique le plus belgicain du pays, ce qui n'est pas un mauvais calcul du côté francophone, se félicite un responsable libéral. Beaucoup le suivent sur la refédéralisation de compétences, qui est l'un des grands dossiers de demain."

Qu'à chaque coup porté au MR suive une facture envoyée à l'adversaire. Lundi, lors du bureau de parti du PS tenu au boulevard de l'Empereur, plusieurs mandataires ont fait part au président Magnette de leur agacement face à l'attitude offensive de Georges-Louis Bouchez. Dans l'après-midi, La Libre révèle le contenu de leurs interventions peu aimables.

Au lieu de laisser passer le coup et de se réjouir d'excéder à ce point les grands rivaux des libéraux, Georges-Louis Bouchez lance une contre-attaque le soir même. Il envoie Denis Ducarme, son ancien concurrent à la présidence du parti, faire la leçon aux "camarades" socialistes et diffuser un message subliminal sur la nouvelle unité du MR.

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Une image de droite réac

Ne pas se résigner face aux chasses gardées des autres partis. Il y a trois semaines, le président libéral présente un plan de sauvetage pour le secteur culturel, durement touché par la crise sanitaire. "Du jamais-vu au MR, juge un proche du président libéral. D'habitude, on laissait au PS et à Écolo les sphères culturelles, considérées comme hantées par les gauchistes. Ici, Georges-Louis a balancé un pavé dans la mare en démontrant que les libéraux ne s'intéressent pas qu'à la fiscalité…" Cette séquence marque une évolution personnelle de Georges-Louis Bouchez depuis son élection à la tête du MR, le 28 novembre 2019 : "Lorsqu'il bataillait encore pour se faire connaître, il cultivait une image de droite réac, proche de Francken, et se serait plutôt mis le secteur culturel à dos par quelques tweets. La fonction présidentielle et la confrontation à des horizons très différents qu'elle implique ont élargi le spectre de ses idées."

Une fusion présidentielle

Dans l’esprit de Georges-Louis Bouchez, de son propre aveu, sa personne se confond désormais avec le MR. Chaque flèche envoyée vers le parti qu’il dirige le blesse personnellement et suscite une réaction de sa part, en particulier sur les réseaux sociaux où il semble omniprésent. Cette conscience aiguë de la mission qui lui a été confiée pourrait se révéler, à l’avenir, fort toxique. Car Georges-Louis Bouchez se mêle de tout, tout le temps. Il intervient dans les sections locales, donne son avis sur le moindre amendement élaboré par les groupes parlementaires du MR, prend en main les dossiers gouvernementaux les plus brûlants. Quitte à froisser. À bonne source, il se dit que son implication dans la tentative de sauvetage de Brussels Airlines a détérioré ses rapports avec Alexander De Croo, le vice-Premier Open VLD.

Toutefois, pour l’instant en tout cas, le président libéral évite le style jupitérien, écrasant et dominateur, de quelques-uns de ses prédécesseurs. Il ne broie pas ses seconds de son intelligence comme Jean Gol pouvait le faire. Il n’isole pas dans le silence inquiétant de la disgrâce les élus qui auraient déplu, une torture douce dont usait Didier Reynders. Il se laisse encore atteindre par les choses et par les gens, contrairement à Charles Michel que la dureté de la vie politique avait rendu hermétique.

Par exemple, son arrivée avenue de la Toison d’or, où le MR loge son quartier général bruxellois, n’a pas provoqué de purge parmi les couches successives de collaborateurs et de conseillers héritées des années Reynders, Michel et Chastel. Tout le monde a pu rester en place. C’est très progressivement que le jeune loup libéral dispose ses pions. Cette prudence dans la gestion des ressources humaines n’est pas que philanthropique, bien entendu. Il s’agit également de consacrer la fin de la guerre des clans qui a miné pendant tant d’années les relations entre "amis" politiques au sein du MR : désormais, les anciennes éminences grises reyndersiennes se confondent avec les anciens techniciens micheliens.

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©Reporters / QUINET

Choisir est douloureux

"En fait, Georges-Louis est un faux dur, confie un libéral de haut rang. Dans l'affaire Khattabi, après une première déconvenue pour l'ancienne coprésidente d'Écolo, il savait que le MR ne pouvait pas voter à nouveau en sa faveur en vue de la désigner à la Cour constitutionnelle. Mais il n'a pas pris cette décision à la légère. Quelques heures avant le vote au Sénat, il était traversé de sentiments mitigés, entre l'envie de faire plaisir à Zakia qu'il apprécie humainement et la nécessité politique." Lorsqu'il a fini par trancher, il a tenu à expliquer sa position à Jean-Marc Nollet et à Rajae Maouane, les actuels coprésidents des verts francophones, avant d'annoncer sa décision sur le site web de La Libre peu avant la séance.

La solitude du pouvoir

Hyperactif, inquiet de l'image qu'il renvoie, dissimulant ses doutes, toujours en réunion ou le regard fixé sur l'un de ses deux smartphones, Georges-Louis Bouchez expérimente aussi, à 34 ans, la solitude qu'implique le pouvoir. C'est le prix de l'investissement total dans une cause qui le dépasse et qui dévore sa vie privée. Le soir, dans le parking du siège du MR, son SUV Mercedes, noir et rutilant, reste souvent seul lorsque le personnel du MR est parti. La journée d'un président de parti est longue. Elle commence vers 6 ou 7 heures pour se terminer vers 21 heures les jours sans embûches ; vers 1 heure du matin lorsque l'actualité est plus dense. Georges-Louis Bouchez n'a alors qu'un escalier à monter pour passer de son bureau situé au 9e étage à son appartement de fonction au 10e, se coucher et, une fois la nuit passée, recommencer. "Je sais que je ne ferai pas de la politique toute ma vie", avait affirmé lors de son élection à la présidence libérale celui qui ambitionne aussi de devenir, un jour, Premier ministre.

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