Le politique belge n’est pas prêt à céder une partie de son pouvoir au citoyen
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Publié le 04-07-2020 à 07h02 - Mis à jour le 05-07-2020 à 08h01
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Certes, il existe en Belgique une série d’initiatives à l’échelon local. Certes des expérimentations, notables, frémissent en Communauté germanophone et en Région bruxelloise. Mais à quand une véritable démocratie participative à l’échelon national ?
À en croire les spécialistes, les mentalités politiques dans notre pays ne sont pas - encore - mûres pour l’exercice. Le cap serait même plus difficile à franchir chez nous que dans la majorité des démocraties voisines, où les systèmes sont moins rigides.
La faute à la prédominance de la particratie ? Assurément, estime Dave Sinardet, politologue à la VUB et à l’Université Saint-Louis Bruxelles. "La démocratie délibérative va à l’encontre de beaucoup de logiques qui sont inhérentes à notre système, observe-t-il. La Belgique est une démocratie consociative, ce qui implique que beaucoup de pouvoir réside chez les élites qui sont supposées être mieux placées pour représenter les différents intérêts dans la société et qui sont supposées pacifier les conflits. C’est aussi lié à la logique particratique. On reste donc frileux à l’idée d’impliquer le citoyen dans la prise de décision. C’est regrettable. Je reste convaincu qu’il faut diminuer le poids de la particratie dans notre pays et renforcer celui des experts et des citoyens."
La N-VA, premier parti du pays, n’y est pas favorable
Ce n’est pas un secret : les partis belges ne sont pas unanimes à l’idée de renoncer à une partie de leur pouvoir au profit des citoyens-électeurs. Ce sont les libéraux et les verts qui sont grosso modo les plus ouverts à cette petite révolution. On notera aussi la récente impulsion donnée en la matière par le CDH dans le contexte de sa refondation.
Le premier parti du pays, la N-VA, n’y est, lui, pas favorable. Forcément, cela complique d’emblée les choses. Les partenaires sociaux, non plus, ne manifestent pas un enthousiasme débordant dès lors que la participation citoyenne en Belgique a souvent été organisée au travers des syndicats et organisations patronales ou autres associations. Dans l’histoire du pays, l’intervention directe ou semi-directe du citoyen dans la prise de décision a ainsi toujours été mineure, voire inexistante.
"Dans beaucoup de pays, lorsque l’on mène des réformes constitutionnelles, on organise généralement des référendums pour valider ou non le résultat, expose Dave Sinardet. Par exemple, un premier projet de Parlement écossais avait été rejeté par les Écossais en 1979. En Belgique, on a fait six réformes de l’État depuis 1970 et il n’y a eu absolument aucun impact des citoyens sauf à travers la logique de démocratie représentative : les gens votent pour tel ou tel parti pour beaucoup de raisons différentes, puis les élus utilisent leur mandat pour réformer complètement la Constitution et la Belgique. Il serait bénéfique d’avoir enfin un peu d’air frais dans les discussions, notamment au sujet du système institutionnel belge."
L’Irlande, source d’inspiration
L’Irlande constitue un modèle inspirant de démocratie délibérative. Trois assemblées citoyennes tirées au sort ont fait de ce pays un laboratoire en la matière, entraînant des révisions constitutionnelles majeures : les légalisations sur le mariage homosexuel et sur l’avortement (IVG). Ces assemblées sont nées dans le contexte de la crise financière et bancaire de 2008. À l’époque, la perte de confiance dans les institutions est notable. C’est en réaction à cela que des assemblées de citoyens tirés au sort ont été constituées. En 2014, trois de leurs propositions ont été soumises à référendum. Le pays a ainsi approuvé le mariage homosexuel à 62 %. Très catholique, la nation irlandaise est également parvenue à se positionner sur un dossier aussi délicat que celui du droit à l’avortement. Le recours au processus délibératif dans ce cadre-là a permis de dépolariser les discussions, jusque-là exclusivement politiques.
"Les questions éthiques sont des dossiers sur lesquels nous pourrions également instaurer chez nous davantage de participation citoyenne, suggère M. Sinardet. Cela touche au quotidien des gens." À l’ère du coronavirus, la problématique des soins de santé en Belgique pourrait aussi être soumise à l’appréciation d’un panel de citoyens tirés au sort. "Le CD&V veut scinder encore davantage les soins de santé parce que tout le secteur, en Flandre, est entre les mains du pilier chrétien. En défédéralisant, il renforce son pouvoir là-dessus. D’autres sont contre pour la même raison… Si on laissait réfléchir les citoyens sur cette question, les positions seraient peut-être plus indépendantes des logiques de piliers ou de lobbies qui dominent souvent la décision politique en Belgique."
Des panels de citoyens qui comptent
Pratiquement toutes les problématiques éthiques, sociales, économiques ou environnementales pourraient faire l’objet d’une telle participation citoyenne. En France, le président Emmanuel Macron a proposé, lors du grand débat qui a suivi la crise des "gilets jaunes" à l’hiver 2018-2019, de constituer une assemblée citoyenne de 150 Français tirés au sort et chargés de proposer des mesures pour la sauvegarde du climat. Certaines mesures défendues par cette dénommée "Convention citoyenne pour le Climat" pourraient forcer la main au gouvernement en matière d’écologie, si l’on en croit les récentes déclarations de M. Macron. En Belgique, on pourrait imaginer qu’un tel panel soit constitué dans le cadre des discussions sur la relance économique post-Covid.
"C’est une question de volonté politique. Et à ce propos, je suis beaucoup plus pessimiste en ce qui concerne la Belgique, dit Dave Sinardet. Je crois qu’il sera vraiment difficile de convaincre tous les présidents de parti d’aller dans cette logique, à moins d’avoir une majorité gouvernementale qui soit plus enthousiaste à cette idée de la démocratie délibérative."
À l’heure où les décideurs politiques se cassent les dents sur la formation d’un gouvernement fédéral majoritaire de plein exercice, il semble - a priori - illusoire qu’ils s’entendent sur l’idée de céder une partie de leur pouvoir aux citoyens. La note rédigée en novembre 2019 par le président du PS, Paul Magnette, alors chargé d’une mission d’information royale, atteste toutefois d’un certain volontarisme en la matière. Le texte suggérait de réformer le Sénat pour en faire une "Assemblée mixte composée de citoyens tirés au sort". Cette nouvelle assemblée serait chargée de délibérer sur des enjeux de long terme et des questions éthiques. De quoi entreprendre un travail de fond et de réflexion visant à dégager une nouvelle vision de la Belgique à l’horizon 2025.