Maggie De Block cible à nouveau les migrants "dublinés"
La ministre De Block durcit le ton avec les demandeurs d’asile “dublinés” suspectés d’abus. Elle veut les placer en centre fermé avant leur transfert. Les associations dénoncent des mesures à rebours de la réalité.
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Publié le 13-07-2020 à 21h07 - Mis à jour le 13-07-2020 à 21h57
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"Volontairement si possible, forcés s’il le faut." C’est avec cette formule que la ministre en charge de l’Asile et de la Migration, Maggie De Block (Open VLD), résume ses nouvelles mesures concernant le retour des demandeurs d’asile en procédure Dublin. La ministre a en effet confirmé son intention de généraliser l’allongement de délai de la procédure pour les fameux "dublinés", passant de 6 à 18 mois. Objectif recherché : éviter que les demandeurs d’asile "se cachent" en étant logés dans des familles d’accueil le temps de "casser leur Dublin". Plus spécifiquement, Maggie De Block vise ici les demandeurs d’asile qui refusent de retourner dans le pays d’entrée dans l’Union européenne.
Un règlement controversé
Mais, d’abord, rappel de ce qu’on entend par ces "cas Dublin". En résumé, ce règlement européen détermine que l’État responsable de l’examen de la demande d’asile du candidat qui arrive en Europe est le pays dans lequel le migrant arrive en premier. Un candidat arrivé en Italie, en Espagne ou à Malte par exemple doit s’enregistrer dans son premier pays de contact et reçoit l’obligation d’y inscrire sa demande d’asile. Le règlement, actuellement à sa troisième mouture, connaît de nombreuses critiques et est souvent accusé d’augmenter la pression sur les pays du sud de l’Europe, où arrivent aujourd’hui la majorité des migrants.
Une fois enregistrés dans ce pays, les demandeurs d’asile ne sont pas autorisés à introduire une nouvelle demande dans un autre État signataire des règlements Dublin mais doivent attendre que leur demande d’asile y soit traitée. Par exemple, un demandeur d’asile qui serait enregistré en Espagne, qui quitte le pays pour venir en Belgique et enregistre une demande à l’Office des étrangers (l’institution belge en charge des demandes d’asile) sera détecté et recevra l’ordre de retourner en Espagne. Il s’agit là d’une demande de transfert.
Selon les chiffres fournis par l’Office des étrangers, les demandes de transfert connaissent une nette augmentation depuis trois ans. En 2017, sur les 18 340 demandes de protection internationale introduites en Belgique, 5 575 faisaient l’objet d’une demande de transfert vers un autre État membre, soit 30 %. En 2019, le chiffre monte à 43 %, avec 11 882 demandes de transfert vers le pays européen où la personne a effectué sa première demande. "Ce qui ne signifie pas que la personne est effectivement rentré e", tempère-t-on toutefois à l’Office des étrangers. "Parfois, l’État n’accepte pas la demande ou le candidat ne quitte pas la Belgique", explique Dominique Ernould, porte-parole de l’institution.
Enfermer dans les centres
En effet, si la décision de transfert est prise, une période de 6 mois commence au terme de laquelle le demandeur d’asile doit avoir quitté le territoire belge pour le pays où il a été enregistré en premier. Ce délai court à partir du moment où l’Office des étrangers effectue la demande auprès du pays. Au bout des 6 mois, si l’intéressé n’a pas quitté le territoire, la Belgique devient responsable du dossier et doit le prendre en charge. Ce délai peut toutefois être étendu à 18 mois si le candidat à l’asile ne se rend pas à une convocation de l’Office des étrangers et devient ainsi suspect de "dissimulation", et donc de faire traîner la procédure pour dépasser le délai de 6 mois.
Surcharge de travail
La ministre De Block veut aujourd’hui généraliser le délai dans lequel le transfert doit s’effectuer à 18 mois. Autrement dit : les demandeurs d’asile devront désormais attendre 18 mois avant d’espérer "casser leur Dublin" et tomber sous la responsabilité de la Belgique pour l’examen de leur dossier.
"L’accent sera à présent mis sur la prévention : éviter à l’avance que les cas Dublin se cachent, plutôt que de les sanctionner après coup", explique le cabinet. "Ils se cachent pendant une longue période, apparemment sans avoir besoin de l’accueil", affirme la ministre, qui veut assurer un meilleur suivi. "Cet accompagnement prendra la forme de nouvelles places qui seront prévues dans les centres fermés."
Plus tôt cette année, Maggie De Block avait déjà pris des mesures concernant les cas Dublin. Elle avait annoncé en janvier que ceux-ci ne pouvaient plus être hébergés dans un centre d’accueil pendant le délai de 6 mois. La mesure avait été décriée par de nombreuses associations et avait par ailleurs fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État, toujours pendant à l’heure actuelle.

"Beaucoup des "dublinés" donnent leur adresse et se montrent disponibles"
Dans le secteur associatif et de défense des droits des étrangers, cette nouvelle annonce passe mal. "Ça me choque. C’est de la musculation en disant que la ministre va durcir la position de la Belgique sur le règlement de Dublin. Finalement, elle propose de renvoyer les demandeurs d’asile vers les pays d’entrée qui sont souvent la Grèce et l’Italie et l’Espagne, alors que ces pays ne savent pas faire face à la demande actuelle", déplore Alexis Deswaef, avocat au barreau de Bruxelles et par ailleurs coprésident de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. "Est-ce que ça va vraiment faire avancer la problématique de l’asile, que de priver de liberté de personnes avant de les renvoyer ?" demande-t-il.
Un an de plus pour le retour
Au Ciré aussi, on dénonce un système de répartition qui ne fonctionne pas. Sotieta Ngo, directrice générale de l’ASBL de défense de droits des personnes exilées : " C’est un des rares sujets sur lequel nous sommes tous d’accord, associatifs, politiques, et même les migrants eux-mêmes. Le système Dublin ne fonctionne pas. Or ici, c’est un peu facile de s’attaquer aux demandeurs d’asile. Nous nous attendions plutôt à ce qu’elle change les règles." Les acteurs de terrain parlent d’une mesure qui s’attaque davantage aux conséquences du problème, plutôt qu’à sa source. L’accompagnement annoncé entend donner la possibilité à l’Office des Étrangers d’enfermer les demandeurs d’asile qui ne collaborent pas dans les centres fermés afin qu’ils ne puissent trouver refuge dans une famille et ainsi "se cacher" le temps du délai. Un argument que réfute Sotieta Ngo : "Beaucoup des ‘dublinés’ donnent leur adresse et sont disponibles. Mais la Belgique ne parvient pas à organiser leur transfert vers le pays d’entrée. En passant d’un délai de six à 18 mois, l’Office des Étrangers dispose d’un an de plus pour organiser le retour", développe-t-elle.
"C’est la deuxième fois que Maggie De Block s’en prend à ce public, après une série de mesures introduites début janvier. Nous y voyons une façon de décourager les personnes elles-mêmes, tant les demandeurs d’asile que les hébergeurs qui assurent l’accueil. Nous avons l’impression qu’un bras de fer est lancé. Et nous ne pouvons nous baser que sur nos impressions puisque le dialogue est impossible", déplore la présidente de l’association.