Nawal Ben Hamou (PS): "Sans Sophie Wilmès, on n’aurait pas pu avancer sur le droit des femmes"
La secrétaire d’État bruxelloise à l’Égalité des chances présente ce jeudi son plan de lutte contre les violences faites aux femmes. Nawal Ben Hamou (PS) le pense : si le Premier ministre avait été un homme, la conférence interministérielle “Droits des femmes” n’aurait probablement pas vu le jour. Elle dénonce aussi l’instrumentalisation du vote de la loi IVG.
- Publié le 13-07-2020 à 06h38
- Mis à jour le 13-07-2020 à 08h30
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Cela fait tout juste un an qu’elle a été propulsée secrétaire d’État en Région bruxelloise. Non réélue au fédéral à l’issue des élections du 26 mai 2019, Nawal Ben Hamou (PS) avait en effet créé la surprise en intégrant, sur décision de la négociatrice en chef de l’époque Laurette Onkelinx, l’équipe du gouvernement de Rudi Vervoort. Cette nomination avait alors généré une déferlante de critiques à l’égard de la jeune femme, désormais âgée de 33 ans. "J’ai eu mal pendant dix minutes puis, je suis passée à autre chose, confie l’intéressée. Ce qui compte, c’est ce que je fais de ma fonction et des compétences qui m’ont été confiées." Actuellement en charge du Logement et de l’Égalité des chances dans la capitale, celle qui deviendra maman pour la seconde fois dans moins de deux mois a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes un véritable combat. "Ce que je veux dire aux autres femmes, au travers de ma grossesse, c’est que même si on est en politique et que l’on a des fonctions importantes, c’est possible. C’est rude, mais c’est possible." Avec ses homologues wallonnes Christie Morreale (PS) et de la Fédération Wallonie-Bruxelles Bénédicte Linard (Écolo), Nawal Ben Hamou a lancé fin 2019 la Conférence interministérielle (CIM) Droits des femmes, un lieu de concertation entre les entités fédérées et le fédéral pour lutter contre les violences faites aux femmes. C’est elle qui en est l’actuelle présidente.
Pendant le confinement, de nombreuses femmes se sont retrouvées enfermées avec leur bourreau. Comment avez-vous réagi en tant que présidente de la CIM Droits des femmes ?
Dès le mois de mars, nous nous sommes saisis de la question au niveau francophone. Nous avons mené des campagnes de communication, avec des lignes d’écoute, des ouvertures de places pour les femmes victimes de violences. Au niveau bruxellois, nous avons demandé à toutes les zones de police de recontacter les femmes qui avaient porté plainte pour suivre la situation et voir comment elles vivaient le confinement. Nous avons immédiatement cherché à apporter des solutions concrètes. Nous avons agi où c’était possible, mais il restait le niveau national : il fallait agir de façon coordonnée.
Comment avez-vous procédé ?
Avec Christie Morreale et Bénédicte Linard, nous avons formulé notre demande auprès du fédéral. Chacune a inscrit le point à l’ordre du jour de son gouvernement. Et puis, il y a eu un comité de concertation où moi, jeune secrétaire d’État, j’ai défendu la création de cette CIM. Tous les ministres étaient présents. Il y a un petit hic : nous voulions que cela soit uniquement dédié aux droits des femmes, pas à l’égalité des chances. Certains n’étaient pas d’accord. La Première ministre, Sophie Wilmès, a soutenu la demande venant des trois entités. Elle est intervenue et elle a fait basculer les choses. Personne n’a répliqué. Au début de mon mandat, je ne croyais pas vraiment à la sororité : je me disais que ça devait être un combat de tous pour arriver à l’égalité des femmes et des hommes. C’est vrai, il faut aussi que les hommes s’impliquent mais, là, sans le soutien de la Première ministre, femme, on n’aurait pas eu la CIM dédiée à la lutte pour les droits des femmes, spécifiquement avec le volet des violences conjugales.
Autrement dit, si le Premier ministre avait été un homme, ce n’était pas gagné ?
En toute sincérité, je ne pense pas.
Avez-vous eu le sentiment que les ministres masculins présents ne se sentaient pas concernés par la question ?
Ils veulent qu’on prenne en compte le fait que des hommes sont aussi victimes de violences conjugales. Alors, c’est vrai, cela existe, il ne faut pas le nier, mais cela ne représente que 5 % des violences répertoriées. Aujourd’hui, dans notre pays, les personnes qui décèdent sous les coups de leurs compagnons, cela reste des femmes. Ce sont des femmes qui meurent parce qu’elles sont nées femmes. Ils auraient préféré qu’on parle d’égalité des chances sans tenir compte de l’aspect genré et du fait que ce sont très majoritairement des femmes qui sont victimes. La CIM a été créée grâce à Sophie Wilmès qui a été d’un soutien indéniable. La sororité s’est révélée de façon importante.
Cette CIM, c’est donc quelque chose créé par des femmes pour des femmes ?
Il y a des hommes au sein de la CIM Droits des femmes qui se sont tous saisi de la question. Nous avons déjà eu l’occasion de nous réunir à deux reprises. Il faut travailler étape par étape. J’ai souhaité qu’on fasse le premier focus sur les violences conjugales.
La crise du Covid-19 a-t-elle contribué à accélérer la mise en place de cette CIM Droits des femmes ?
Pour moi, en tant que présidente, c’était embêtant de perdre trois mois pour rien, surtout lorsque l’on a la motivation et l’envie de faire changer les choses. La CIM s’est réunie une première fois le 2 avril, puis le 17, en visioconférence. Tout le monde a accepté que deux experts accompagnent les travaux de la CIM, dont Françoise Tulkens (ex-juge à la Cour européenne des droits de l’homme, NdlR). Nous nous sommes rendu compte qu’au fédéral, ils n’avaient pas cette sensibilité d’aller sur le terrain ou de se concerter avec les associations, même s’ils recevaient des cartes blanches. J’ai voulu faire comprendre aux autres les revendications du secteur associatif. Nous avons procédé à des auditions. Il y a eu là une prise de conscience, mais il a fallu l’initier. Ce qui était normal pour moi ne coulait pas de source pour les ministres fédéraux. Ça ne fait pas partie de leur culture, ni leur manière de faire. Le ministre Geens a par ailleurs suggéré que les ministres de l’Éducation soient impliqués dans la CIM et il a tout à fait raison : ils seront intégrés à la CIM. Il a fallu intégrer cette approche-là. Les attentes du secteur associatif sont énormes.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement marquée durant ces rencontres de terrain ?
En entendant certains récits, j’avais la rage. Quand une femme qui subit des violences doit quitter son domicile avec deux ou trois enfants et qu’elle n’a aucun revenu parce que son mari ne l’a jamais autorisée à travailler ; quand une femme se retrouve seule, sans un rond, et qu’elle a des difficultés pour se loger, pour se nourrir, elle fait quoi, si elle n’a pas de famille vers qui se tourner ? On ne peut pas rester indifférente à tout cela. Il est temps que ça change.
Vous êtes jeune, femme et d’origine étrangère. Au sein du gouvernement bruxellois, fait-on encore régulièrement référence à ces caractéristiques ?
Cela fait un an que je suis en fonction. Au départ, je ne devais avoir que l’Égalité des chances. Puis, on m’a transféré la compétence du Logement. C’est une bonne chose. Cela me permet d’avoir beaucoup plus de poids au sein de l’exécutif et, du coup, que l’on me regarde autrement. Mais je trouve dommage que l’Égalité des chances ne soit pas suffisamment considérée aujourd’hui à Bruxelles. Le budget qui y est accordé, c’est peanuts. Pourtant, nous savons pertinemment bien que la lutte contre le racisme est une priorité et qu’il y a tellement de choses à faire en matière d’égalité hommes-femmes. Avec le budget que j’ai, deux millions et des poussières, ce n’est pas suffisant. L’objectif, c’est de doubler cette enveloppe à la fin de la législature. Je ne peux pas quitter cette compétence en n’ayant rien fait et en la laissant comme cela. C’est inconcevable, surtout aujourd’hui, avec tout ce qu’il y a à faire en matière de cohésion et de vivre-ensemble.
Comment réagissez-vous au report du vote de la loi IVG à la Chambre des représentants ?
J’étais heureuse que huit partis se mettent d’accord pour l’élargissement de la loi. J’espérais qu’on aboutisse enfin d’avoir le choix d’interrompre sa grossesse jusqu’à 18 semaines. On sait que chaque année entre 500 et 1 000 femmes quittent le pays pour se faire avorter aux Pays-Bas parce qu’elles ont dépassé les 12 semaines. Ce qui s’est passé est pire que tout. On fait la politique de l’autruche et on marchande des accords politiques sur le corps des femmes, sur leurs choix, avec une pression des conservateurs pour que les femmes ne disposent pas librement de leur corps ! Cela me met hors de moi, en tant que progressiste et socialiste.
Ce sont les mêmes que ceux que l’on retrouve autour de la table de la CIM…
Oui. C’est vrai. Mais, pour le moment, je me concentre sur la recherche de solutions relatives aux violences conjugales. Et cela, ensemble.
Ne faut-il pas aller plus loin et créer une ministre des droits des femmes ?
En tant que féministe, je ne demanderais pas mieux, si un budget suit. Qui sait, pour la prochaine législature ? Il faut que ce soit une volonté politique. Le plan bruxellois que je présente ce jeudi, où le secteur associatif se retrouve, est un premier pas.