Zakia Khattabi: "Les années Jambon à l’Intérieur, c’était les années Robocop"
Zakia Khattabi (Écolo) réagit aux révélations en série dans la mort de Jozef Chovanec à Charleroi. La députée veut lutter contre l’omerta qui régnerait dans la police à l’égard de ce genre de drames.
- Publié le 30-08-2020 à 19h23
- Mis à jour le 01-09-2020 à 19h11
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En mai dernier, la candidature de l’ancienne coprésidente d’Écolo à un poste de juge à la Cour constitutionnelle avait été définitivement recalée. Zakia Khattabi avait alors annoncé qu’elle poursuivrait son combat politique depuis la Chambre des Représentants. L’actualité dramatique à l’aéroport de Charleroi l’a particulièrement marquée. Membre de la commission Justice au Parlement, la députée suit de près les rebondissements du dossier Chovanec. Zakia Khattabi juge durement l’influence des nationalistes flamands sur la vision de la sécurité en Belgique.
La mort de Jozef Chovanec à l’aéroport de Charleroi met en évidence des violences policières, aggravées par le salut nazi réalisé par une policière. Cette affaire est-elle révélatrice d’un malaise plus général en Belgique ?
Le pouvoir politique a une responsabilité dans la relation entre la police et la communauté nationale. Il y a quelque chose qui se passe avec cette institution, en effet. Il y a une multiplication des incidents, c’est presque quotidien. Soit il s’agit de la violence dont fait preuve la police, soit de la violence dont la police est victime elle-même. Il est urgent de s’emparer collectivement de ce thème. Quelle police voulons-nous pour le XXIe siècle ? On a le sentiment que la police est presque devenue une institution ennemie de la communauté nationale. Il y a une césure entre le citoyen et la police. Quand des policiers qui effectuent des contrôles durant la crise sanitaire se font cracher dessus, il y a de quoi avoir peur. Au parc Maximilien, à chaque descente de police, cela se passait mal. Pour être respectée, une institution doit être respectable. Toutefois, la police n’est pas une entité fasciste. Ce qui sape la confiance dans la police, ce ne sont pas les actes individuels, c’est l’omerta, ce silence organisé par cette institution. Il a fallu deux ans pour que le dossier Chovanec émerge. Tout cela rend les choses suspectes.
La police n’est-elle pas que le reflet de la société, avec ses qualités et ses défauts ?
Les policiers sont en effet des citoyens avant tout. Mais quand même… Si les électeurs votent à 25 % pour l’extrême droite, il ne serait pas acceptable de trouver 25 % de fachos dans la police. Cette institution est fondamentale et garante de notre État de droit. Cela ne me choquerait donc pas que l’on veille à ce qu’il n’y ait aucun agent de police d’extrême droite. Quel est le screening du profil des individus réalisé à l’entrée des écoles de police ? Autre question : les policiers qui sont d’extrême droite le sont-ils dès le départ ou le deviennent-ils au cours de leur carrière ?
Faut-il lancer une enquête dans la police pour mesurer l’ampleur de cette problématique ?
Le ministre Geens (CD&V) a expliqué qu’aucun rapport n’existait sur la présence et la menace de l’extrême droite au sein de la police. Des corps existent pourtant dans la police qui peuvent réaliser cette enquête. Des procédures disciplinaires en interne sont prévues. Si la hiérarchie faisait son job, on n’en serait pas à imaginer que notre police est noyautée par l’extrême droite. Mais la première victime de l’omerta dans ce genre de dossiers, c’est la police elle-même.
Cette affaire montre que la Belgique n’échappe pas à la violence que l’on peut voir, par exemple, aux USA ou même en France.
Ces dernières années, il y a eu une véritable libération de la parole raciste. J’ai toujours lié cela au projet politique du gouvernement Michel, la "suédoise", qui a ouvert les digues au plus haut niveau à des discours parmi les plus extrémistes sans que cela ne choque personne. Pour la police, la vision politique de Jan Jambon (N-VA) quand il était ministre de l’Intérieur était très sécuritaire. Elle assumait et permettait la violence. Cette affaire, qui implique la responsabilité de Monsieur Jambon, démontre que ceux qui roulent le plus des mécaniques, veulent de l’ordre partout, ne sont même pas capables de mettre de l’ordre dans leur propre maison. Je serais curieuse de connaître le nombre d’affaires de violence policière lorsque Joëlle Milquet (CDH) était à la manœuvre à l’Intérieur par rapport aux années Jambon, les années "Robocop".
Au sein de la police, un sentiment de ras-le-bol semble monter sur l’instrumentalisation politique de cette institution. Est-ce également votre perception ?
L’instrumentalisation est là, oui. Certains convoquent une commission en urgence suite aux problèmes à Blankenberge et parlent de "racaille bruxelloise". Ce sont les mêmes qui disent aujourd’hui, attention, ne jetez pas l’opprobre sur l’ensemble de la police… Je leur réponds : jeter l’opprobre, c’est votre fonds de commerce, pas le nôtre ! Au Parlement, le Vlaams Belang débarque, fait son show et puis ses députés quittent la salle et n’écoutent rien. Il faut sortir de ce genre d’instrumentalisation.
Plus de vingt ans après le décès de Semira Adamou, demandeuse d’asile nigériane, Jozef Chovanec meurt par étouffement. La police doit-elle changer de méthodes ?
C’est ça qui est le plus scandaleux… La question de la formation des agents se pose. Pourquoi les policiers étaient-ils aussi nombreux dans la cellule de Monsieur Chovanec ? Pourquoi un policier l’a-t-il écrasé de tout son poids ? Pourquoi cette séquence dure-t-elle 16 minutes ? Si le cabinet Jambon avait fait son job, il aurait revu à l’époque toutes ces techniques d’intervention. Or rien n’a été fait. Il y a beaucoup de leçons à tirer de cette affaire pour de futures réformes. Et je ne parle même pas des gestes scandaleux des agents sur place : le salut nazi, les rires… Mais la première chose à faire : c’est assurer la transparence, la communication. Pour lutter contre l’omerta, il faut comprendre que les agents n’osent pas toujours parler car ils craignent des conséquences négatives pour eux-mêmes. Il faut protéger les lanceurs d’alerte dans la police. Il existe une loi fédérale qui protège les lanceurs d’alerte dans la fonction publique, mais il faut un dispositif spécifique pour la police.

"L’accord entre le PS et la N-VA était un déni de démocratie"
Les négociations au fédéral évoluent. Une coalition Vivaldi est privilégiée par Egbert Lachaert, le président de l’Open VLD, dans le cadre de sa mission royale. La N-VA, finalement, resterait dans l’opposition.
Avec la mort de Monsieur Chovanec, à nouveau, c’est tout le mythe de la N-VA qui tombe. Après l’affaire du trafic de visas au cabinet Francken et d’autres couacs, cela commence à faire beaucoup… La meilleure chose qui puisse arriver à la Belgique, c’est que la N-VA ne revienne pas au pouvoir. On verra ce que donnent les négociations actuelles. J’ai vu ces dernières années l’évolution du discours de ce parti. Bart De Wever avait dit qu’à Anvers, il avait éradiqué le Vlaams Belang. Mais non, la N-VA a en fait absorbé le Vlaams Belang et a accueilli dans ses propres rangs les cadres de ce parti. Il n’y a plus de limite avec la N-VA, c’est "open bar".
En attendant, Paul Magnette (président du PS) a obtenu un accord avec Bart De Wever pour former un gouvernement…
Je ne veux pas perturber les négociations actuelles. Mais quand je vois les leçons de démocratie que Theo Francken nous donne… Il a affirmé récemment qu’il serait scandaleux que le nouveau gouvernement fédéral n’intègre pas la N-VA et que cela provoquerait une majorité avec le Belang en 2024. C’est typique des techniques d’intimidation de la N-VA. Je ne suis pas constitutionnaliste, la Terre entière le sait (Zakia Khattabi fait référence aux critiques de la N-VA à l’égard de sa candidature à la Cour constitutionnelle, NdlR), mais je sais que nous sommes dans un système de scrutin proportionnel. Par conséquent, s’il n’y a pas de partenaires pour former une coalition avec la N-VA, ce n’est pas un déni de démocratie de les laisser dans l’opposition. Aucune règle ne stipule qu’il est nécessaire d’avoir un gouvernement qui dispose d’une majorité dans les deux groupes linguistiques à la Chambre. Cela n’existe que dans l’imaginaire nationaliste de la N-VA… Par contre, le vrai déni de démocratie, c’était l’accord de cet été entre le PS et la N-VA. Le ciment de ce deal est constitué d’éléments qui n’ont pas fait l’objet de la campagne électorale : les citoyens belges ne se sont pas prononcés sur la régionalisation de la justice, de la police, de l’emploi…
Bart De Wever a proposé en août de former un gouvernement avec la famille écologiste après avoir rejeté les libéraux. Avez-vous craint que les actuels co-présidents d’Écolo, Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet, acceptent cette formule ?
Je n’ai jamais imaginé un gouvernement qui associerait la famille écologiste et la N-VA. Comme présidente, j’avais clairement dit que je refusais de discuter avec eux car cela n’aurait servi à rien dans la mesure où tout nous sépare. Certains projets politiques sont irréconciliables. On ne peut pas trouver des compromis sur tout et avec tout le monde. C’est un danger dans le débat public aujourd’hui de laisser croire l’inverse.