Rajae Maouane : "Écolo ne fait pas de la sortie du nucléaire une question dogmatique"
Rajae Maouane, coprésidente d’Écolo, livre son analyse de l’accord de gouvernement au fédéral. Le chapitre migratoire ou encore celui sur l’éthique ne la satisfont pas entièrement. La jeune présidente revient aussi sur l’ambiance des négociations.
- Publié le 09-10-2020 à 20h51
- Mis à jour le 10-10-2020 à 09h09
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La coalition Vivaldi, qui réunit au fédéral la famille socialiste, la famille écologiste, la famille libérale et le CD&V a vu le jour après des mois de crise. Rajae Maouane, en tant que coprésidente d’Écolo, a participé aux négociations avec Jean-Marc Nollet. À ses yeux, l’accord de gouvernement qui constitue le socle de la coalition dirigée par Alexander De Croo n’est pas parfait. Mais elle estime que l’équipe ministérielle a tout pour réussir. Elle revient sur les points les plus sensibles du pacte de majorité.
En matière migratoire, l’accord de majorité prévoit une politique de retour plus efficace, plus "dynamique". Ce n’est pas vraiment ce qu’Écolo voulait… Sammy Mahdi (CD&V), le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, prône une "politique ferme et humaine", une expression qui hérisse les poils à gauche car elle rappelle la politique du gouvernement Michel.
Je ne vais pas vous mentir : ce n’est pas sur ce chapitre-là que je suis la plus satisfaite. Mais il faut se rendre compte que la négociation pour la formation gouvernementale a été très, très courte. On savait qu’on n’arriverait pas à faire changer d’avis certains partis en quelques jours. Cette question est éminemment sensible en Belgique et particulièrement en Flandre. On doit pouvoir l’entendre. Il y a pour moi tout de même des avancées majeures : la Vivaldi met fin, dès maintenant, à l’enfermement des enfants. Autre avancée : le changement de récit, le changement d’histoire, la volonté de ne pas faire de la migration un problème de gouvernement, de ne pas en faire une question idéologique, comme à l’époque de Theo Francken. Cette question est sensible et on va la traiter de manière correcte et responsable. Durant les négociations, ce chapitre a été tranché vraiment au dernier moment, vu la distance entre certains partis flamands et les partis de gauche du côté francophone.
En novembre 2021, on devrait connaître les résultats d’une étude portant sur la faisabilité de la sortie du nucléaire en 2025. Si les conclusions sont négatives, le gouvernement fédéral devra probablement prolonger deux centrales. Est-ce un scénario avec lequel Écolo pourra vivre au sein de la Vivaldi ou cela pourrait-il constituer une question de gouvernement ?
Écolo ne fait pas de la sortie du nucléaire une question dogmatique. Nous, on défend la transition énergétique. Nous sommes en contact constant avec le monde de l’entreprise et avec les acteurs de la transition énergétique. Et ils nous disent : "On est prêt". Ils attendent un signal du politique. Voilà, on l’a donné. Mais on n’est pas dans une attitude du tout ou rien. On ne sortira pas du nucléaire du jour au lendemain, ça se prépare, notamment sur la question de la sécurité d’approvisionnement. Par ailleurs, c’est Tinne Van der Straeten (Groen), la ministre de l’Énergie, qui porte ce dossier. Elle est incontestée et incontestable dans ces matières.

Parmi les zones d’ombre de l’accord de gouvernement, on trouve la mesure fixant la pension minimale à 1 500 euros. Les socialistes disent que c’est un montant net, les libéraux que c’est brut… Qui a raison ?
La réalité, c’est que l’on devra tendre pour 2024 à 1500 euros net. On y est presque. Cette mesure a été portée par les socialistes mais pas que par eux. Tous les partis de gauche, dont Écolo, l’ont défendue.
L’accord Vivaldi contient une mesure fiscale aux contours particulièrement incertains : un impôt sur la fortune mais dont on ne connaît rien. Le gouvernement De Croo devra préciser ce point. On imagine déjà les tensions entre les sept partis de la Vivaldi à ce sujet... Quelle version de cette taxe Écolo défend-il ?
On traverse une crise très importante et le fossé entre les plus riches et les plus pauvres continue de se creuser. L’accord de gouvernement n’est en effet pas précis, il va falloir négocier. Mais ce que je sais, c’est qu’il faut faire participer les très, très, très riches à la solidarité.
Avec ces nombreuses incertitudes, pensez-vous que le gouvernement fédéral atteindra la fin de la législature ?
La majorité Vivaldi peut tenir jusqu’en 2024. Car on a à la barre (Alexander De Croo, NdlR) quelqu’un qui a l’envie de tenir. Et cette volonté est partagée. La Vivaldi n’est pas un mariage d’amour, mais on doit réussir. On va tout faire pour réussir. Il faut que ce gouvernement tienne. Son cadre de travail est ambitieux. En termes environnementaux et climatiques, c’est l’accord de gouvernement fédéral le plus ambitieux de l’histoire du pays. Je pense, entre autres, aux investissements très importants qui sont prévus en matière de mobilité. Je pense par ailleurs aux avancées très importantes obtenues en matière d’égalité des genres et de droits des femmes.
Par contre, la proposition de loi pour l’assouplissement des règles encadrant l’IVG a été gelée, "encommissionnée" au Parlement. Il s’agissait d’une condition sine qua non émanant du CD&V. Un échec pour Écolo ?
Oui… Je dirais que je suis moins satisfaite sur ces questions, en effet.

Comment avez-vous vécu ces négociations en tant que jeune coprésidente d’Écolo ? Quels enseignements en tirez-vous ?
Du haut de mes 30 ans, j’ai été marquée par ce que j’ai vu et vécu. Cela paraît banal à dire, mais j’ai senti qu’avant toute chose, nous étions une bande d’humains avec chacun sa part de vécu, son expertise, son parcours et ses propres idées à défendre. Les négociations ont donc aussi été impactées par tout cela. Par exemple, quand je revenais avec des idées qui me sont chères comme la parité et la diversité, alors que j’étais quasiment la seule femme autour de la table, je n’en parlais pas juste pour le plaisir ou parce que cela fait joli. Si j’insistais sur ces sujets, c’est parce qu’il s’agit d’éléments fondamentaux. Et cela a été pris en considération puisque nous avons un gouvernement paritaire - le premier en Belgique - avec des ministres jeunes, des profils issus de la diversité, une ministre transgenre, bref, un gouvernement qui est davantage le reflet de notre société, qui ressemble à la Belgique que nous souhaitons voir fonctionner.
Le fait de se retrouver entre "jeunes" a-t-il réellement influencé le sens des discussions ou, au contraire, fallait-il être plus stratégique, par peur de manquer d’expérience ?
Je ne sais pas si je peux dire qu’il y avait un manque d’expérience avec des personnes comme Jean-Marc Nollet ou Paul Magnette (PS) autour de la table. Mais ce qui est certain, c’est que le fait d’avoir une génération plus jeune s’est ressenti dans la façon de se réunir et d’échanger. Cela paraît anecdotique, mais l’image de négociations au bout de la nuit à coups de tasses de café et de verres de vin semble dépassée. Nous étions tous au soda, un peu comme une bande de jeunes qui se réunissent pour bosser. Sauf que ce n’était pas pour une petite réunion, mais pour une mission importante destinée à permettre, après des mois, d’aboutir à quelque chose de concret et avoir enfin un gouvernement à la tête du pays. En fait, au-delà des divergences ou des couleurs politiques, on sentait bien que l’objectif commun, c’était de prendre nos responsabilités pour trouver une issue à la crise. Nous étions prêts, pour cela, à bosser tard la nuit. La fatigue était d’ailleurs bien présente, ce qui pouvait d’ailleurs aussi influencer les discussions.
L’ensemble des présidents de parti, dont ceux d’Écolo, ont demandé à Sophie Wilmès de se joindre aux discussions quand c’était compliqué avec le président du MR, Georges-Louis Bouchez. Que s’est-il passé avec lui ?
Je ne vais pas revenir là-dessus, ni évoquer la situation au MR qui concerne, d’abord, le MR. Je peux juste vous dire que nous voulions terminer sereinement notre mission et respecter nos engagements. Pour y arriver, il fallait maintenir un socle de confiance, coûte que coûte. Mais de façon générale, si les négociations ont été très humaines, il y a aussi beaucoup d’ego. Et ça aussi, fatalement, cela pouvait influencer les discussions. Pour ma part, ce que je trouve important à rappeler, c’est que, depuis mai 2019, on constate que les présidentes et présidents de parti jouent, à nouveau, un rôle majeur dans la machine politique. Ces négociations, et surtout la dernière ligne droite permettant d’aboutir à un accord, renvoient aussi ce signal quant à l’importance des dirigeants de partis…
Quelles seraient, selon vous, les pistes à envisager pour éviter que les prochaines négociations soient moins compliquées entre les différents partenaires ?
Pour éviter que cela vire au spectacle, il faut écouter et oser parler aux autres, notamment de l’autre côté de la frontière linguistique. Chacun négociait dans sa propre langue, nos échanges étaient bilingues et cela s’est très bien passé. Je crois que c’est aussi une force propre à la Belgique, quelque chose qui doit nous être envié dans d’autres pays.